Acta fabula
ISSN 2115-8037

2017
Juin 2017 (volume 18, numéro 6)
titre article
Thomas Bruckert

L’Asie de Paul Claudel

Jacques Houriez, Paul Claudel rencontre l’Asie du tao. Paris : Honoré Champion, 2016, coll. « Poétiques et Esthétiques xxe-xxie siècle », 326 p. EAN : 9782745331304.

1Jacques Houriez entend avec cet ouvrage

découvrir l’itinéraire emprunté par le poète dramaturge en recherche de l’esprit de la Chine antique et dans sa quête jamais achevée d’une écriture nouvelle.
Il n’a cessé, en effet, d’approfondir son contact avec l’Asie dans son interrogation du vide positif… (p. 9)

2Au départ et au centre de cette interrogation, qui sera incessante et évolutive, est le tao. Paul Claudel rencontre ce néant créateur pour la première fois en 1896, une décennie après l’illumination fondatrice de Notre-Dame et alors qu’il est consul à Shanghai. Sa pensée de la spiritualité orientale s’enrichit deux ans plus tard d’un voyage au Japon, et s’élargit dans les années vingt dans ce même pays, durant sept années d’ambassade. « Comme le vide est ce qui sépare pour unir, Claudel en structure son univers » (p. 10).

3Le poète et le dramaturge se laisse inspirer par le tao plus qu’il ne cherche à en respecter la conception exacte ni même à la reproduire dans ses œuvres. Il est d’ailleurs fidèle en cela au principe même du tao qui exige écoute et souplesse : pour qui sait le percevoir, le tao accompagne sans imposer. Claudel procède donc à son élargissement à une Asie personnelle et vécue : « La poésie créatrice, née du vide positif ne relèvera plus alors d’une nation, mais de l’Asie toute entière » (p. 11).

4J. Houriez suit l’expérience de Claudel au plus près, le mûrissement d’une pensée de et par l’Orient asiatique, sans pour autant négliger de remarquer que nulle évolution strictement linéaire – et encore moins ascendante — ne saurait être dégagée ici. Ainsi, son ouvrage déjoue la stricte chronologie tout en respectant le progrès d’une pensée. Tantôt annonce-t-il ce qui d’abord demeure en réserve, tantôt revient-il sur ce qui était en préfiguration ou préconception.

5On peut cependant repérer six jalons principaux, qui sont autant d’œuvres majeures, où le vide créateur a un rôle déterminant. Connaissance de l’Est (1900 puis 1907), Le Repos du septième jour (1901), Cent phrases pour éventails (1927 au Japon et 1942 en France), Le Soulier de satin (1929), Paul Claudel interroge le Cantique des cantiques (1948) et Emmaüs (1949). En sus de ces œuvres, chacune étudiée longuement, on peut citer La Ville (1893 puis 1901), Partage de midi (1906 puis 1949), l’Art poétique (1907), L’Ours et la Lune (1919) et L’Oiseau noir dans le Soleil levant (1929) où les empreintes asiatiques s’affichent clairement. Essais, théâtre, traités, recueils ou dialogues, nombreux sont donc les textes que le vide créateur nourrit à l’évidence. Œuvres auxquelles il faut bien sûr ajouter la documentation que constituent le précieux Journal et la correspondance où se donne à lire ici et là le cheminement de Claudel vis-à-vis du taoïsme. Autant dire que la sagesse taoïste est omniprésente chez Claudel et qu’elle ne saurait être réduite à un simple principe de composition poétique ou dramaturgique, et encore moins à un thème emprunté : elle irrigue tout son parcours, spirituel et littéraire.

La découverte du tao

6La découverte des spiritualités asiatiques par Claudel ne va pas d’abord sans quelques réticences. Ce qu’il perçoit dans le tao comme un renoncement, ou dans l’hindouisme comme une extase de la dilution, s’accorde mal à un enthousiasme lyrique et mystique persuadé que l’individu est projet au milieu du monde : « Il opposera toujours aux mysticismes orientaux sa foi en un Dieu personnel et en l’intégrité individuelle de ses créatures » (p. 26). Par ailleurs, d’abord circonscrit à l’expérience chinoise, le tao peine à se défaire, dans l’esprit de Claudel, d’une Chine moderne excessivement mandarine, rongée par la lourdeur de son administration et de ses édiles, et également relativement hostile à l’esprit chrétien. Mais c’est le voyage de 1898 au Japon, pays qui conserve un ancrage fort dans le sacré, qui permet à Claudel d’accorder le divin chrétien avec le sacré de l’Asie qu’il découvre et connaît petit à petit : « Ce qui était en Chine un obstacle entre lui et l’univers religieux de l’Asie est devenu sympathie, familiarité » (p. 38). Dès lors, le vide créateur fait son chemin, sans pour autant contredire quelques traits chrétiens essentiels, notamment la conception d’un néant associé au mal par le manque, la carence et le défaut — néant négatif et mortifère qu’il décèle et abhorre dans l’Europe laïque et positiviste qui lui est contemporaine.

7Deux œuvres sont les témoins de ce moment, et font l’objet du premier chapitre : « Un premier tao claudélien, Le Repos du septième jour et Connaissance de l’Est » (p. 9-76). Elles sont caractéristiques de cette période et leur lecture aide à comprendre en quoi Claudel s’oriente lentement alors vers l’idée que le vide, auparavant conçu ainsi qu’un néant improductif, est en réalité également une notion fertile :

La pensée claudélienne s’oriente alors vers une conception nouvelle du rapport de l’être au néant. Leur union qui a présidé à la création de notre univers substitue à leur opposition un rapport dialectique. Sortis du néant, nous sommes néant et ce vide qui est en nous permet d’accueillir l’Être, ce rien que nous sommes, de nous donner à lui. (p. 61)

8Le tao accompagne donc la vision chrétienne de Claudel : il permet la respiration des êtres et leur imprime un rythme. Par ailleurs, Claudel voit en lui la confirmation d’un monde ordonné duquel le hasard et la contingence sont exclus et où chaque élément est à sa juste place dans un ensemble — sans que cette place ne s’oppose au mouvement et à la malléabilité. C’est lors de son court séjour de 1898 au Japon que cette conception affleure, sous la forme d’un monde « solide et cohérent » (p. 149), que l’Art poétique et Connaissance de l’Est attestent notamment. Le thomisme s’accorde même avec la pensée du vide créateur : un accord universel régit — et surtout agit — le monde. La nature est créatrice et tous les éléments qui la composent sont reliés en un vaste accord harmonieux. Le vide est alors cela qui permet au poète de les relier entre eux, afin que, selon la notion claudélienne, ils « co-naissent » les uns aux autres (Art poétique).

9Mais, entre le voyage de juin 1898 au Japon et l’Art poétique, une évolution a eu lieu. Le poète ne songeait alors qu’à goûter et comprendre l’harmonie universelle, sans encore imaginer créer son propre univers sur ce même modèle :

Il revient au « Traité de la co-naissance » [Art poétique] de définir la place de l’homme à l’intérieur de ce système vivant et de préciser la nature de ce rapport. À ce moment, Claudel est passé de la notion de connaissance à celle de co-naissance. (p. 51)

10Se précise pour Claudel l’idée que le poète crée un univers non pas exactement identique à celui de Dieu, ce qui serait crime de lèse-majesté, mais structurellement analogue : l’artiste oriental — le peintre notamment — est le modèle de celui qui, au lieu de copier ou reproduire la nature, doit en comprendre les lois pour les appliquer ensuite à sa propre composition, et ainsi devenir maître de son univers créé, « à l’image » de Dieu qui est maître du sien — le nôtre : « L’art qu’a la nature d’assembler les éléments qui la composent et celui du poète sont les mêmes. Ils ont en commun notamment l’absence de contingence » (p. 48-49).

Un principe poétique

11La longue période de Claudel au Japon dans les années vingt est déterminante. Il y vit en s’imprégnant profondément de tout le contexte culturel, artistique, rituel, religieux, et sa spiritualité s’en trouve durablement influencée. La correspondance et le Journal vont en ce sens : ce qu’il avait confusément ressenti et accueilli en 1898 s’approfondit ici. Pour ce qui est de l’œuvre, les Cent phrases pour éventails sont sans doute la manifestation la plus triomphale de cette imprégnation. J. Houriez y consacre deux chapitres, respectivement intitulés « Le vide et le mystère du tao initiateurs des Cent phrases pour éventails » (p. 77-118) et « Le pouvoir du blanc, du vide et de l’absence dans Cent phrases pour éventails » (p. 119-158). Le premier s’attache à dégager la conception claudélienne du tao qui s’affine, et le second à analyser la poétique à l’œuvre dans le recueil. Ce dernier exprime l’harmonie à laquelle Claudel accède et le poème lui-même prend la forme d’une maturation — on y lit d’ailleurs à la fin l’instauration d’un véritable ethos spirituel. Peut-être est-ce dû aussi à la tempérance apportée par l’âme japonaise, elle aussi perceptible dans le texte : « Claudel a banni le souffle puissant du lyrisme. La Muse ne tient plus cheveux au vent à la proue du navire » (p. 110).

12Au-delà de motifs tirés de la culture japonaise et qui parcourent le recueil, le pouvoir du blanc y est inscrit au cœur, il en est le principe même. Le tao nourrit directement la poétique des Cent phrases pour éventails. Claudel brise ainsi une écriture latine qui a tendance à entraîner « la plume sur le plan horizontal » (p. 124) pour suspendre l’écriture à la façon de l’idéogramme, et laisser « à chaque mot […] l’espace — le temps — nécessaire à sa pleine sonorité, à sa dilatation dans le blanc. » (Paul Claudel, préface de 1941 aux Cent phrases pour éventails, cité par J. Houriez, p. 126). Tandis que, dans Connaissance de l’Est, le blanc agissait comme celui de la peinture chinoise, pour suggérer, les Cent phrases pour éventails l’élèvent au rang de principe d’animation : le vide de l’écriture doit permettre au rapport entre les choses d’advenir, afin là encore qu’elles se « co-naissent ». Son rôle n’est donc plus seulement d’indiquer les rapports qui existent entre les choses, mais bien cette fois de les appeler et de les susciter.

13C’est sans doute dans « Jules ou l’Homme aux deux cravates » (L’Oiseau noir dans le Soleil levant) que l’on peut lire, propose J. Houriez, la précision de la poétique qui structure les Cent phrases pour éventails. Les blancs, loin de fragmenter et d’établir la discontinuité, contribuent à lier et créent une « grande nappe sonore » (Paul Claudel, « Jules ou l’Homme aux deux cravates », cité par J. Houriez, p. 155). C’est bien une harmonie qui est affirmée.

14Ce sont donc pendant les années de Claudel en tant qu’ambassadeur au Japon que le vide créateur s’affirme comme principe de structure et d’impulsion essentiel : la prose de cette époque et la poésie des Cent phrases pour éventails visent à « créer un univers […] garant de cette unité et de sa mélodie » (p. 149). À ce qui était, dans les premiers temps, conçu ainsi qu’une simple solidité, et à qui manquait donc le mouvement, s’ajoute cette fois l’idée d’animation :

La co-naissance à l’autre et de soi-même, et au monde dont il a perçu l’unité et la solidité, a permis au poète, après qu’il en eut compris l’harmonie, d’en suspendre la mélodie. De cette découverte est née l’unité mélodique et symphonique des Cent phrases pour éventails. (p. 150)

Un principe dramaturgique & spirituel

15C’est par le théâtre que le vide positif se développe encore. Les théâtres de et de bunraku, que Claudel fréquente, le marquent par les univers codifiés et épurés qu’ils mettent en jeu, éloignant notamment ce que la présence humaine a d’intruse. Cette inclination est déjà perceptible dans L’Ours et la Lune, œuvre écrite en 1917 et publiée en 1919 et qui se lit ainsi qu’une farce avec marionnettes. Mais c’est toujours « de façon latérale » (p. 167) que Claudel se laisse toucher. La seconde version de L’Échange laisse par exemple entrevoir à quel point Claudel s’inspire du bunraku pour développer ses propres envies : le jeu des marionnettes y fait signe non vers la vie et son exaltation outrée comme dans le bunraku, mais vers l’enfermement dans une identité unique mortifère. Il en est de même dans Le Soulier de satin, la pièce comporte quelques exemples de courtisans et diplomates ridicules et serviles qui sont des pantins et baudruches désarticulés : marionnettes inspirées des théâtres japonais, peut-être, mais dont la fonction dramaturgique est toute différente.

16Le Soulier de satin témoigne donc aussi de cette influence librement investie et c’est l’objet du quatrième chapitre de J. Houriez : « Le vide et le néant dans Le Soulier de satin » (p. 159-209). La pièce « s’inscrit dans l’évolution claudélienne de l’époque japonaise » (p. 159). Si la première Journée est terminée dès janvier 1922, et doit son argument à une légende chinoise, c’est surtout à partir de la troisième que l’atmosphère japonaise se fait le plus sentir, de sorte que la pièce elle-même, dramaturgiquement, semble épouser l’évolution claudélienne : « L’imprégnation du séjour japonais selon une évolution qui paraît suivre harmonieusement le progrès de l’intrigue n’est guère douteuse » (p. 163).

17Entre les Cent phrases pour éventails et Le Soulier de satin, certaines images et certains motifs demeurent, mais sont traités différemment. Malgré tout, le vide est encore, à l’image de l’océan dans la pièce, ce qui divise pour mieux réunir. Il s’applique cette fois aux situations et à ce qui sépare les personnages : il est au centre de la pièce pour installer l’attente et préparer la venue du divin. Il en va ainsi également des thématiques négatives qui jalonnent l’intrigue (le désir du néant, le péché, le désordre guerrier de l’humanité livrée à elle-même) et qui ouvrent la perspective d’une issue par la salvation divine.

18Si Le Soulier de satin montre que Claudel a parfaitement incorporé la leçon taoïste (voir notamment la deuxième scène de la quatrième Journée, entre Daibutsu et Rodrigue, où se disent la pureté de l’absence et la fertilité du silence qui permet l’écoute), la pièce est aussi la preuve que Claudel ne reproduit pas servilement la pensée taoïste : « il y a pour lui deux Japon, l’un auquel il adhère totalement, celui du poète, un autre, celui du dramaturge, qui se laisse difficilement pénétrer » (p. 206). Paradoxalement, la forme théâtrale, par rapport à la poésie des Cent phrases pour éventails, a heureusement retenu Claudel d’acquiescer entièrement à la pensée taoïste, et l’a invité à construire ainsi une œuvre personnelle, où le Dieu chrétien a la parole finale. Le tao n’a pas le mot de la fin, mais il a pour fonction fondamentale d’en solliciter l’avènement.

Un mouvement de la maturation

19Les chapitres v et vi s’intitulent respectivement : « Le pouvoir du vide dans Paul Claudel interroge le Cantique des cantiques » (p. 211-246) et « La rencontre d’Emmaüs » (p. 247-262). J. Houriez voit en ces deux œuvres la maturation claudélienne de la conception du vide positif, conception désormais formée et sûre d’elle-même. Le Paul Claudel interroge le Cantique des cantiques est un poème plus qu’un commentaire : la parole du texte sacré ne peut en effet faire l’objet d’une glose, puisqu’elle est parole de révélation et qu’elle est donc rétive à l’approche herméneutique. Interrogeant ce texte, Claudel écrit l’œuvre « d’un poète, et non d’un conteur » (p. 214). Il persiste dans sa vision d’un blanc par lequel « filtre le sens » (p. 217), perpétuant la poétique des années japonaises, mais celui-ci se présente désormais sous la forme du Saint-Esprit, qui « ne le fait pas par des paroles, ni même par des émanations de paroles, mais par la révélation de sa présence. » (p. 218) Prolongeant la leçon du Soulier de satin, le vide est cela qui est introduit et creusé, jamais comblé en l’être afin que le divin s’engouffre en lui. Dans Paul Claudel interroge le Cantique des cantiques :

La grande figure de Lao-tzeu préside toujours à l’œuvre claudélienne. Sa disponibilité à l’accueil, son pouvoir du vide, le creux du vase ont inspiré le creux du calice qui tire tout à lui, le vide qui fait entrer la lumière dans le poète, le néant de la Fiancée à sa naissance comblé peu à peu par la Grâce, et le Jardin fermé qui se remplit des fruits ensemencés par l’homme. Quant aux vides qu’imposent les écarts entre les thèmes et les images, ils ont suggéré le progrès du mûrissement en les faisant dialoguer.
Le poète s’est peut-être alors éloigné du tao, et la pensée du sage a agi par suggestions, propositions de directions qui n’ont pas toujours été fidèlement suivies. Mais Claudel, au lieu de cesser d’être claudélien, y a trouvé le moyen d’affermir sa personnalité et d’affirmer son originalité. (p. 246)

20Emmaüs est rédigé juste après, en 1946. Il ne s’agit pas plus d’une lecture fidèle des écrits religieux dont Claudel ne craint jamais de s’écarter. Mais l’ouvrage a pour structure en commun avec Paul Claudel interroge le Cantique des cantiques ce mouvement de maturation. Celle-ci porte désormais sur la destinée de l’humanité et non plus sur celle d’un seul peuple : c’est un « ouvrage de réflexion, une méditation sur le devenir spirituel de l’humanité » (p. 249). Là où Paul Claudel interroge le Cantique des cantiques faisait spectacle du poète au plus près d’un peuple en quête de l’aspiration divine, Emmaüs instaure une distance universalisante.

Les procédés diffèrent, pourtant c’est le même esprit de rupture de la continuité et de lent mûrissement de l’accomplissement du dessein providentiel. Les deux ouvrages se rejoignent non seulement par l’esprit mais aussi par une structure faite de moments dont le dialogue s’adresse à la sensibilité, à l’intuition du lecteur toujours invité à créer son propre poème. (p. 261)

21Le vide est dans cette perspective essentiel à nouveau, et tout comme il segmente les phrases et les moments dans les Cent phrases pour éventails, il segmente ici le récit pour mieux en donner l’unité secrète — et la finalité : divine.

22Outre Le Soulier de satin, c’est paradoxalement dans les deux dernières œuvres étudiées par J. Houriez que la conception claudélienne se distingue et s’affranchit de la pensée taoïste tout en la connaissant au plus près. Il faut attendre que Claudel ait parfaitement fait sa propre synthèse du tao pour qu’il s’en éloigne autant que son œuvre en manifeste la connaissance pointue et l’usage maîtrisé.

Dans Le Soulier de satin, l’harmonie est interdite par les contradictions et les désordres de ce monde et la mélodie doit attendre le dernier mot du livre écrit par Dieu.
Il n’en est pas ainsi de l’esprit du Japon défini par Claudel comme un jardin enchanté, mais fermé. Il est enchanté car il ignore la contradiction et les désordres apportés par la parole de Dieu qui n’y est pas entendue. Il est fermé car l’ignorance d’un temps linéaire lui fait méconnaître la révélation du sens au dernier jour. Le mouvement y est celui de l’éternel retour du yin et du yang, de la relation entre l’être et le non-être. Il n’en soupçonne ni le terme, ni le dernier mot. La spiritualité japonaise ignore ainsi le drame de la contradiction et le malaise de l’attente. (p. 153)

23Dans le court préambule intitulé « Du mode de connaissance selon Claudel » (p. 7-8), Jacques Houriez insiste sur le caractère fondamental d’expérience que revêt la connaissance et l’imprégnation claudélienne — dans la spiritualité asiatique comme ailleurs. Le consul et ambassadeur s’approche sans relâche par l’étude des cultures et lieux qu’il fréquente et habite, mais l’écrivain le fait plutôt par l’expérience sensible et personnelle du monde environnant, se livrant à « un tout autre mode de connaissance, immédiat, direct, donné, involontaire au besoin » (p. 8).

Claudel […] est insatisfait d’une connaissance intellectuelle de la réalité. Il ne pourra vivre en connivence avec les mouvements intérieurs de la nature qu’en les ressentant dans sa chair et dans le bouillonnement de son sang. (p. 20)

24Ce portrait d’un Claudel écrivain suivant son propre chemin, qui témoigne sans cesse et heureusement d’une influence « biaisée et infidèle » (p. 171), fait de lui un véritable créateur plutôt qu’un simple penseur ou commentateur du tao :

Dès le premier moment de sa découverte du tao, Claudel s’en est donc nourri, non en disciple, mais en créateur, qui affirme son originalité. Il ne cessera d’en approfondir la connaissance, mais dans l’intention toujours de construire une spiritualité et une création personnelles. (p. 20)

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