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Critique féministe des savoirs : corps & santé (Toulouse)

Critique féministe des savoirs : corps & santé (Toulouse)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Collectif Arpège-EFiGiES)

Appel à communications :

 

« Critique féministe des savoirs : Corps et santé »

 

 

Colloque organisé par le collectif Arpège-EFiGiES Toulouse

Université de Toulouse Jean Jaurès – 29 et 30 mars 2017

 

Cet appel s’adresse aux jeunes chercheur.se.s (doctorant.e.s, post-doctorant.e.s, docteur.e.s, masterant.e.s), aux collectifs  et associations non universitaires, aux professionnel.le.s de santé et autres personnes de la société civile concernées par la thématique.

 

            Dans les années 1970, les critiques énoncées par des mouvements militants et des universitaires à l'encontre du savoir scientifique ont permis la formulation des théories des « savoirs situés ». Selon Sandra Harding (1986, 1991), Donna Haraway (1991) ou encore Patricia Hill Collins (1990), la construction de « savoirs situés » doit permettre non seulement d'expliciter le point de vue masculin, blanc et hétérocentré à partir duquel sont majoritairement produits les savoirs scientifiques, mais aussi de faire émerger de nouveaux savoirs à partir desquels déconstruire les rapports de domination. La posture réflexive que chacun-e est invité-e à avoir sur son expérience et sur l'impact que celle-ci a sur sa production scientifique doit fournir les ressources pour critiquer et renouveler la pensée produite par les dominants, tout en prenant conscience de ses propres privilèges (McIntosh, 1989 ; Kebabza, 2009).

Loin de constituer un frein à la progression de la connaissance, le « positionnement » (standpoint : Harding, 1986) peut permettre de produire des savoirs « plus vrais » et de visibiliser certains sujets, savoirs ou personnalités scientifiques. Depuis, les théories des savoirs situés ont été reprises et prolongées, notamment à l'aune du développement des perspectives intersectionnelles (Dorlin 2009 ; Bentouhami 2015 ; Collins et Bilge 2016), dans le champ universitaire aussi bien que dans celui du militantisme.

            En tant que collectif de jeunes chercheuses situées à la frontière de ces champs, nous souhaitons participer à la production et à la mise en valeur de ces savoirs nouveaux à travers ce projet construit sur deux années.

Le présent appel à communications concerne la critique et la production de savoirs et de pratiques sur le corps. Il s'adresseaussi bien aux jeunes chercheur-e-s qu'aux collectifs et militant-e-s, dans un objectif de valorisation des expériences vécues par des personnes en situation d'oppression dans les rapports sociaux de genre, race, classe, en situation de handicap (etc.) d'une part, et des savoirs produits à partir de ces positions dominées d'autre part.

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Depuis le développement de la clinique au XVIII e siècle (Foucault, 1963), la médecine ne cesse de renforcer son emprise sur les corps et la sexualité. Instance d'autorité, elle participe à leur normalisation et à leur contrôle avant même la naissance et jusqu'à la mort. Les travaux de féministes en sciences de la vie ainsi que de sociologues, d'anthropologues et d'historiennes ont mis en évidence le rôle fondamental de la médecine dans le processus de sexualisation (Löwy, 2006). Celui-ci renvoie aux mécanismes de socialisation hiérarchisants et binarisants dont le principal vecteur est le traitement différencié et inégalitaire des corps des femmes et des hommes. La médecine participe donc à la naturalisation de la binarité sexuelle.

Des études historiques ont aussi montré comment la médecine a pathologisé les corps des femmes, en les associant systématiquement au « malsain » et à la faiblesse (Dorlin, 2009). Pour devenir officielle, la médecine a également rendu les femmes subalternes à sa pratique, non sans auparavant s'être appropriée les savoirs traditionnels des sages-femmes ou « sorcières » de l'époque moderne (Federicci, 2004 ; Ehrenreich et English, 1976). L'histoire du XIX e siècle a également étudié les processus de stigmatisation et de pathologisation des corps et des individu-e-s considéré-e-s comme indésirables tels les homosexuel-le-s, les prostitué-e-s, les colonisé-e-s ou les « hermaphrodites », en lien avec le développement de la médecine moderne. L'étude des progrès décisifs de la médecine clinique réalisés grâce à des expérimentations sur les « corps vils » (Chamayou, 2008) a ainsi permis de prolonger la conception foucaldienne de « biopolitique » en l'abordant sous l'angle de l'intersectionnalité (à l’exemple du concept de « nécropolitique » développé par Achille Mbembé, 2006).

            Encore aujourd'hui, tandis que les femmes sont « particularisées » du côté de leur santé sexuelle et reproductive, elles restent invisibilisées du côté des grands problèmes de santé publique comme les maladies cardio-vasculaires (Membrado, 2006). De plus, elles sont reléguées du côté du care à la fois en tant que praticiennes et patientes. En effet, la profession d'infirmier-e, impliquant un contact direct avec les corps des patient-e-s reste très féminisée ; tandis que le statut de médecin, pour lequel l'on compte plus d'hommes que de femmes, fait figure d'autorité pour les patient-e-s. De même, les femmes sont invitées à prendre soin de leurs partenaires sexuels en prenant soin de la sexualité et de la contraception du couple. Ce sont aussi plus souvent les femmes qui s’occupent des membres de leur famille (enfants, parents vieillissants), ce qui n'est pas sans conséquences sur leur propre santé.

Le traitement réservé aux personnes intersexes, prises en charge dès la naissance par la médecine, traduit particulièrement bien la participation de la médecine au processus de binarisation sexuelle. Les études d'Elsa Dorlin (2008) ont ainsi montré que les critères des opérations étaient la possibilité de pénétration pour un vagin, tandis que la sélection du « bon pénis » se fait en fonction de la taille et de la capacité d'érection. Quant aux législations actuelles concernant les changements d’états civils, elles imposent la pathologisation du processus de transition comme préalable à toute demande.

            La santé doit donc être comprise non pas seulement comme un état physiologique fluctuant, mais aussi comme un attribut de la domination (Dorlin, 2009). Actuellement, les savoirs sur le corps et la santé doivent être envisagés dans un contexte de patriarcat et de capitalisme pharmacopornographique (Preciado, 2010) au sein duquel les intérêts de la médecine ont convergé avec ceux de l’État. Le corps des femmes, en tant que support de la reproduction de la population et en tant que « facteur essentiel pour l’économie d’un pays » (Takeshita, 2015, p. 118), est principalement visé par les enjeux de « biopolitique » (Foucault, 2004).

 

AXES

Il s'agit de propositions non exhaustives. Toute proposition de communication sur le thème de ce colloque sera étudiée avec attention même si elle ne correspond pas pleinement à ces différents axes. De plus, les réflexions portées lors de ce colloque valorisent les échanges interdisciplinaires et militants et ne demandent donc pas une inscription disciplinaire spécifique.

 

Axe 1 : Dépossession et négation des savoirs

Cet axe propose d'analyser en quoi les savoirs liés au corps et à la santé et/ou les savoirs médicaux peuvent participer à la dépossession des corps des femmes/des personnes en situation de domination, et de leurs savoirs.

Axe 2 : Réappropriation des savoirs et des pratiques

Ce deuxième axe propose une réflexion sur les formes et processus de réappropriation des savoirs : par exemple à partir des notions d'empowerment et d'agency, de la critique des savoirs médicaux masculins dominants. Il peut s'agir de visibiliser des formes de médecine, de soins subalternes/alternatives-ifs/rebelles, non allopathiques, favorisant la capacité d'agir des patientes et des femmes en général.

Nous encourageons aussi les propositions portant sur des pratiques militantes visant à remettre en question les normes imposées par le pouvoir médical, à permettre aux femmes cis et trans de se réapproprier leur corps, ou à court-circuiter le parcours gynécologique traditionnel (exemple : groupes de self-help).

Axe 3 : Articulations entre sciences et critique féministe

Cet axe est notamment l'occasion d'élargir les communications aux sciences « exactes » (biologie, médecine, neurosciences, etc.) et/ou aux domaines liés aux savoirs sur les corps et la santé. Comment s'articulent les sciences « exactes » et les critiques féministes ? Comment les savoirs et pratiques né-e-s de cette articulation sont-ils mobilisables dans les parcours de soins ?

Axe 4 : Invisibilisation des femmes scientifiques

Cet axe appelle à l'analyse de trajectoires de femmes qui œuvrent ou ont œuvré dans le domaine médical et plus largement dans les domaines scientifiques liés aux corps et à la santé. Il permet de questionner l'invisibilité des femmes scientifiques, la présence et l’impact de la misogynie dans les métiers scientifiques.

 Axe 5 : Biopolitique et savoirs sur les corps

            Ce dernier axe invite à réfléchir sur la notion de biopolitique forgée d'abord par Michel Foucault. En quoi la perspective intersectionnelle permet-elle de prolonger, de renouveler voire de critiquer les théories foucaldiennes ? À quelles conceptions du corps les Queer Studies ou la pensée issue du cyberféminisme ouvrent-elles la voie ? Comment penser le corps et les savoirs sur le corps hors des dualismes traditionnels (naturel/artificiel, masculin/féminin, humain/animal, etc.) ?

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MODALITÉS DE PARTICIPATION

Les propositions de communication, rédigées en français, doivent nous parvenir en format .pdf et doivent contenir les informations suivantes :

- Nom, Prénom

- Statut et/ou rattachement institutionnel

- Adresse mail de(s) l’auteur-e(s)

- Titre envisagé de la communication

- Résumé d’une page maximum

 

Les propositions de communication doivent être envoyées au plus tard le 25 janvier 2017 en affichant en objet du mail : Nom, Prénom et « Colloque Arpège-Efigies » à : atelierarpege.efigies@gmx.fr

Le colloque se déroulera les 29 et 30 mars 2017 à l’Université de Toulouse II-Jean Jaurès.

 

Les participant-e-s seront informé-e-s par mail mi-février.

Pour toute information complémentaire, merci de contacter les responsables scientifiques du colloque : atelierarpege.efigies@gmx.fr

Pour en savoir plus sur les activités de l’atelier Arpège-EFiGiES Toulouse : https://efigies-ateliers.hypotheses.org/category/efigies-toulouse

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

                            Bellacasa Maria Puig de la, Politiques féministes et construction des savoirs: « Penser nous devons » !, Paris, L’Harmattan, 2013.

Bentouhami Hourya, Race, cultures, identités: une approche féministe et postcoloniale, Paris, PUF, 2015.

Chamayou Grégoire, Les corps vils: expérimenter sur les êtres humains aux XVIII e et XIX e siècles, Paris, La Découverte, 2008.

Dorlin Elsa, La matrice de la race? Généalogie sexuelle et coloniale de la Nation française, La Découverte, Paris, 2009.

Dorlin Elsa, Sexe, genre et sexualités, PUF., Paris, (coll. « Philosophies »), 153 p., 2008

Ehrenreich Barbara et English Deirdre, Sorcières, sages-femmes et infirmières: une histoire des femmes et de la médecine, Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 1976.

Federici Silvia, Caliban et la sorcière femmes, corps et accumulation primitive (2004), Genève, Entremonde, 2014.

Foucault Michel, Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical, Paris, Presses universitaires de France, 1963.

Foucault Michel, Naissance de la biopolitique : cours au Collège de France (1978-1979), Paris, Gallimard, 2004.

Hill Collins Patricia et Bilge Sirma, Intersectionality, Cambridge, Polity Press, 2016.

Harding Sandra G., The Science Question in Feminism, Cornell, Cornell University Press, 1986.

Harding Sandra, Whose Science? Whose Knowledge ?, 1991.

Kebabza Horia, « « L’universel lave-t-il plus blanc ? » : « Race », racisme et système de privilèges », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 14 | 2006.

Mbembé Achille, « Nécropolitique », Raisons politiques, 2006, vol. 21, nº 1, p. 29.

Membrado Monique, « Les femmes dans le champ de la santé : de l’oubli à la particularisation », Nouvelles Questions Féministes, février 2006, vol. 25, p. 16-36.

McIntosh, Peggy, « White privilege : Unpacking the invisible knapsack. », Peace and Freedom MagazineJuly/August, 1989, pp. 10-12.

Preciado Beatriz, « Biopolitique à l’ère du capitalisme pharmacopornographique », Chimères, N°74, nº3, p. 241257, 2010

Takeshita Chikako, « Biopolitique du stérilet. Stratégies au sud », Travail, genre et sociétés, n°34, 2015, p. 109-127.