Actualité
Appels à contributions
Revue Cinétrens :

Revue Cinétrens : "Brouillon"

Publié le par Marc Escola (Source : Revue Cinétrens)

Présentation

La revue Cinétrens est née à l’École Normale Supérieure de Lyon d’une initiative étudiante. Son ambition est d’ouvrir le champ cinématographique à une approche transdisciplinaire, c’est la raison pour laquelle nos appels à contributions s’adressent tout autant à des écrivains de cinéma – théoriciens, critiques ou auteurs – qu’à des cinéphiles d’autres horizons, désireux d’éprouver leur champ de spécialisation sur le territoire du cinéma. Chaque numéro propose ainsi un objet susceptible d’intéresser le cinéma, qui le travaille de l’intérieur et participe à sa définition ou à celle des pratiques des réalisateurs et des spectateurs. Cet appel est donc ouvert à toutes formes d’écriture, analytique, critique ou de création. Après avoir abordé dans ses premiers numéros le « Rituel » et la « Cartographie », elle s’attaque aujourd’hui à la question du « Brouillon. »

« Rien de plus beau qu’un beau brouillon. Dire ceci quand je reparlerai de poésie. […] Un poème complet serait le poème de ce Poème à partir de l’embryon fécondé - et les états successifs, les interventions inattendues, les approximations. Voilà la vraie Genèse… Épopée du Provisoire. » Paul Valéry, Cahiers

Qu’est-ce qu’un brouillon ? Cette question posée si frontalement peut faire sourire tant cette interrogation revient à formuler une autre question peut-être encore plus retorse : qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? À première vue, le brouillon constitue le matériau d’un type de recherche qui abandonnerait le terrain de la réception afin de s’interroger sur l’avant-texte, les manuscrits de l’auteur ou le carnet à croquis du peintre, dans le but de comprendre l’ensemble des processus cheminant vers l’œuvre achevée. Le brouillon renvoie ainsi, pour le chercheur ou le lecteur scrupuleux, à l’ensemble des documents où l’artiste essaye, rature et donne forme petit à petit à ce qu’il ne peut pas encore nommer. Si nous associons rapidement le brouillon à l’esquisse de l’écrivain, il désigne en fait plus essentiellement ce moment où la pensée se couche pour la première fois sur un support physique – qui n’est pas nécessairement le type de support final de l’œuvre – et où l’esprit affronte les premières résistances du réel. Plus qu’un matériau ou qu’un document, le brouillon évoque ce geste à la fois rhétorique et poétique de l’esprit qui cherche à s’extérioriser. Ne parle-t-on pas d’un style brouillon ou d’une parole brouillonne pour évoquer les bégaiements ou les circonlocutions d’une pensée qui cherche encore son objet ? C’est que le brouillon trouble et renverse l’adresse du document. En effet, hautement réflexif, le brouillon est avant tout un dialogue paradoxal entre soi et soi-même que l’œil extérieur à cette circularité individuelle doit déchiffrer pas à pas Que nous offre la pratique cinématographique pour penser ce complexe indiscernable de matériau et de geste qu’est le brouillon ? Cette juxtaposition permet à la fois d’éclairer la profondeur de la notion de brouillon en partant d’un art auquel ce concept n’est encore que trop rarement associé – puisque la pluralité des formes d’écriture du film semble comprendre en elle-même et comme justifier une production progressive sur des supports multiples : feuille du scénario, plateau de tournage, banc de montage – mais également de s’interroger sur le paradoxe de l’art cinématographique, entre fixation mécanique de la forme et production de mouvement et de temps. En dernier lieu, parce qu’il est avant tout un art du temps, le cinéma pourrait bien être à même d’approcher au plus près de la temporalité paradoxale qui se trouve au cœur du processus génétique de l’œuvre.

**

Considérant le processus de création ou de la structure d’un film, le cinéma se tient entre une génétique des formes (études des rushes, des choix de montage) et une génétique textuelle (l’écriture scénaristiques et les logiques de production soulevées par la pluralité d’écriture du film). Toutes deux peuvent être rassemblées en une « génétique numérique » capable de regrouper l’ensemble hétérogène des gestes d’écriture (textes, musique, rushs etc.) Cette position ambiguë, que le cinéma partage avec de nombreux aux arts de « l’image », est redoublée par la nature mécanique du cinéma d’une part, et par son présupposé réaliste d’autre part. Quel intérêt le brouillon peut-il prétendre avoir lorsque l’œil de l’artiste est remplacé par un œil reproduisant le réel par des procédés extérieurs au corps humain ? Cette dépossession de ’activité largement commentée dans la première partie du XXème siècle (Benjamin, Kracauer, Bazin…), se pose d’une nouvelle manière lorsqu’on envisage le matériau de « l’avant-film ». Sommes-nous condamnés à parler exclusivement des influences artistiques d’une œuvre finie pour en retracer la filiation sans être précis sur le matériau utilisé ou doit-on se restreindre en n’admettant que certains documents comme brouillons valides pour une étude génétique du cinéma ? De plus, si l’étude génétique littéraire se base sur la création individuelle et solitaire de l’écrivain, la production cinématographique ne peut se penser qu’à partir d’un travail collectif où plusieurs collaborateurs participent à la création. Si les différents états du manuscrit de l’écrivain peuvent effectivement se concevoir comme un organisme dont l’auteur serait l’unique créateur et dont on pourrait étudier les phases de construction, comment alors la genèse cinématographique doit-elle faire face à la polyphonie des coulisses de la création ? Sans nul doute, la génétique cinématographique fascine aujourd’hui autant pour les connaissances sur l’oeuvre qu’une telle approche peut apporter que pour la construction de son matériau de recherche, différente, nous semble-t-il, pour chaque réalisateur. Le brouillon est alors envisagé dans toutes ces formes, le chercheur s’adaptant à l’oeuvre dont il étudie la genèse.

**

Cette difficulté de l’analyse génétique du cinéma, se posant à la fois au niveau des matériaux légitimes à une telle approche et de la nature reproductible de l’image, ne doit pas occulter un autre aspect des interactions entre le cinéma et le brouillon. Dans sa configuration paradoxale d’art mécanique du mouvement, le cinéma a su représenter, rendre présent et visible l’état du brouillon sans trahir l’inachèvement ontologique de cette forme non-finie. La déconstruction du sujet en poésie et le dilemme naissant en peinture entre abstraction et figuration ont permis de faire évoluer le cinéma dans un environnement où le brouillon, le préparatoire et l’incomplétude gagnent l’espace de la représentation. Poser les interactions entre l’image cinématographique et un certain style brouillon nous paraît ainsi idéal afin d’interroger un siècle où le visible a fait entrer dans son domaine le Grand Verre de Marcel Duchamp, les Proêmes de Ponge ou bien les griffonnage de Cy Twombly ou de Francis Bacon. Entre la fragmentation et l’inachèvement, le cinéma dans sa forme expérimentale ou documentaire ne serait-il pas l’art par excellence pouvant explorer ce moment moderne du work in progress ? Du cinéma direct - qualifié péjorativement par Jean-André Fieschi de « cinéma brouillon » - à l’expérimentation de Brakhage dans Mothlight - film réalisé sans caméra qui présente une collection de fragments d’ailes d’insectes collées à même la pellicule - en passant par le cinéma hypergraphique des lettristes - vaste brouillon expérimental visant l’établissement d’un nouveau langage composé de l’ensemble des signes possibles - les expérimentations cinématographiques ont fait œuvre de ce qui n’était qu’essai, tentative ou fragment renversant la distribution logique du processus artistique. Doivent également être considérées ces œuvres avortées ou détruites auxquelles nous n’avons plus accès que par leurs brouillons, comme le célèbre Pré de Béjine dont la seule version existante correspond à un collage de fragments, de photos ou de bouts de pellicules, rassemblés à partir des notes d’Eisenstein (il en va d’ailleurs de même pour la musique originale de Gavriil Popov à laquelle nous accédons que sous la forme de brouillons de partitions et de témoignages). Le brouillon semble alors parfois devenir (pour des raisons économiques, politiques ou matérielles – ou bien dans le cas d’un égo démesuré pour le fameux Dune de Jodorowsky qui n’a abouti qu’à un immense story-board) la forme finale de l’œuvre ou les rouages d’un film en puissance.

**

A l’occasion de la rétrospective « Marker mémoire » consacrée à son œuvre à la Cinémathèque française en 1998, Chris Marker annonçait vouloir « limiter le choix des programmes qu’on a la bonté de [lui] consacrer aux travaux d’après 1962, année du Joli Mai et de La Jetée », expliquant ne pas désirer imposer ses « brouillons » au public contemporain qui avait la chance de pouvoir accéder tout de suite à ses œuvres abouties sans devoir en passer par la « préhistoire » de son cinéma. Une telle déclaration d’un réalisateur si coutumier de l’enchevêtrement des temporalités nous semble constituer une intuition intéressante pour tenter de cerner la temporalité particulière de l’œuvre-brouillon. Pour Marker, le brouillon a une temporalité comparable à celle de la préhistoire : on pourrait alors comprendre qu’elle n’est pas seulement une temporalité passée, celle de l’enfance de l’œuvre, mais presque comme une temporalité rejetée de l’histoire. Placé sur une ligne de temps, le brouillon ne prendrait alors pas seulement la temporalité de l’essai infructueux, du passé amené à évoluer jusqu’au présent de l’œuvre, mais deviendrait une œuvre virtuelle, non pas conduite à s’actualiser dans une forme unique, mais à rendre possible une coexistence anachronique au sein de la globalité du parcours du cinéaste. À la manière d’André Habib dessinant la temporalité de l’archive au « futur antérieur », ce temps qui laisse à voir comment le présent aurait été s’il n’y avait pas eu de passé pour le détruire, peut-être le brouillon a-t-il aussi à voir avec une temporalité intempestive qui vient hanter sous une forme virtuelle la création présente.

Nous espérons ainsi qu’un dialogue entre la notion de brouillon et le champ du cinéma, tout en réduisant la fenêtre de la discussion, puisse être profitable à une meilleure compréhension du phénomène artistique et de la forme de l’objet brouillon. Loin d’essayer de fermer le sens, ce court appel à texte vise en effet à cerner ce qui constitue pour nous les principaux défis posés par l’association de ces deux objets.

Axes de recherche possibles 

1) Analyse qui interroge la genèse d’une oeuvre à partir de documents inédits visuels (photos de plateau, story-boards, affiches, influences artistiques) ou textuels (scénarios, notes d’intention, adaptations, entretiens avec des collaborateurs).

2) Validité et légitimité des matériaux génétiques mises à disposition pour l’étude des processus de création

3) Etude sur des films interrompus ou inachevés

4) La question du brouillon et de la modernité dans l’histoire de l’art

5) La temporalité de l’archive cinématographique (le « futur antérieur » d’André Habib) et la temporalité virtuelle du brouillon : quel renouveau de la notion de brouillon par l’image cinématographique ?

6) Marker et la forme essayistique au cinéma : quel dialogue de l’ « essai » et du brouillon ?

7) Génétique du spectacle et génétique théâtrale, qu’est-ce qu’un « brouillon scénique » ?

8) Etude sur des films qui utilisent des formes de brouillons comme rhétoriques ou processus de distanciation

Notes aux rédacteurs

- La date limite d’envoi des articles est fixée au 15 février 2017. - La contribution proposée devra au minimum comporter 8.000 signes (espaces comprises), et ne pourra excéder 25.000 signes.

- L’usage des intertitres est fortement conseillé dans le cours de l’article, pour mieux en montrer les articulations.

- Les contributions de type analytique devront respecter les conventions typographiques usuelles de la rédaction universitaire. Les notes de bas de page devront être au format : NOM, Prénom, Titre, Lieu, Edition, pagination.

- La soumission des articles se fait par courrier électronique au format .docx à l’adresse redaction.cinetrens@gmail.com