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Archives de la quotidienneté et « littérature poubelle » : regards croisés France – Amérique Latine (Paris)

Archives de la quotidienneté et « littérature poubelle » : regards croisés France – Amérique Latine (Paris)

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Paula Klein)

Journée d’études

Université Paris-Est- Créteil

Le 8 décembre 2017

 

Université de Paris-Est (Créteil-UPEC)

Université de Poitiers (FoReLL)

 

Archives de la quotidienneté et « littérature poubelle » : regards croisés France – Amérique Latine

 

Paula Klein et Benoît Coquil

Depuis les années 1970, de nombreux écrivains et artistes ont à cœur d’échapper à une vision de l’archive comme activité institutionnelle de composition d’un patrimoine national. Ils cherchent plutôt à en faire le moyen d’une mémoire du quotidien et des « choses communes », à partir de bribes et de rebuts. Georges Perec et sa notion d’« infra-ordinaire » occupe bien sûr ici un rôle de pionnier vis-à-vis d’écrivains qui se proposent, à travers l’exploration du quotidien, d’approcher une dimension commune, voire impersonnelle de la mémoire d’une époque ou d’une génération.

En Amérique Latine et en particulier dans le Cône Sud, le Perec de Penser/Classer ou de la Tentative d’épuisement… est cité comme une référence incontournable chez nombre d’écrivains contemporains (Roberto Bolaño, Sergio Chejfec, Eduardo Berti, Alejandro Zambra). Cette influence pérecquienne et plus généralement cet intérêt pour un archivage du quotidien a pu transiter notamment via l’œuvre de Julio Cortázar qui dans Libro de Manuel intègre des articles de presse afin de conserver les traces d’une mémoire quotidienne marquée par la violence politique, ou bien dans une visée plus ludique dans les « miscellanées » La vuelta al día en ochenta mundos et Ultimo Round.

Les gestes de prélèvement et d’archivage du banal, de l’ordinaire ou du minuscule peuvent même parfois donner lieu à ce qu’on appellera ici une « littérature poubelle ». Le terme n’est pas à comprendre ici au sens qu’en donne le mexicain Guillermo Fadanelli, qui l’associe à la subversion des valeurs et à la culture underground de son pays, ni comme l’expression péjorative qui désignerait une littérature de mauvaise qualité, dénuée de valeur littéraire. Par « littérature poubelle », nous entendons ici une littérature qui opère un recyclage de matériaux textuels mineurs, souvent considérés comme non littéraires, destinés ordinairement à la destruction ou tout du moins à l’oubli, afin de les assembler et les transformer par un ensemble de procédés tels que le collage, le classement ou le montage.

L’oulipien François Le Lionnais a rangé dans le  « troisième secteur » (les deux premiers consistant en la littérature et la paralittérature) ces actes de langage restants : « annuaires, langages d’animaux, graffiti, enseignes lumineuses ou non, et autres notules en tout genre, le plus souvent inclassables et surtout, inclassées ». Cette catégorie, qualifiée par Perec de « poubelle des choses écrites », est centrale pour des ouvrages qui incorporent divers types d’imprimés, comme La Vie Mode d’emploi, ou bien des projets comme Lieux ou L’Herbier des villes, conçus sur le principe des « bombes de temps ». On peut également  penser ici à Tokyo-infra ordinaire de Jacques Roubaud, ouvrage composite qui inclut de la poésie, des fragments de prose narrative ainsi que des transcriptions de documents aussi divers qu’un catalogue de sanitaires japonais. Citons de même certains livres-objets (L’Herbier des villes d’Hervé le Tellier, Buenos Aires Tour de Jorge Macchi et María Negroni) qui proposent un regard original sur la ville contemporaine en se faisant les réceptacles de ses détritus.

Par ailleurs, caractérisé par une forte tradition d’avant-garde, le champ littéraire du Río de la Plata semble particulièrement réceptif ces dernières années aux pratiques d’écriture « non-créative » théorisées par le nord-américain Kenneth Goldsmith. Tandis que l’ouvrage La cadena del desánimo de Pablo Katchadjian, figure majeure de l’expérimentation dans les lettres argentines, est intégralement composé de coupures de presse collectées pendant un an, la chercheuse Claudia Kozak s’intéresse de près aux graffitis de Buenos Aires, qu’elle analyse comme les fragments d’une littérature collective, d’une archive du temps présent.

Enfin, on pourra souligner l’importance d’internet comme moyen d’archivage, comme fonds infini de matériaux textuels plus ou moins éphémères mais aussi éventuellement comme générateur de déchets. C’est précisément avec ce « tout-venant » du web qu’a récemment travaillé le poète Carlos Gradin dans son projet livresque et numérique intitulé « Spam ». L’artiste Tálata Rodriguez, quant à elle, s’interroge sur le recyclage et la littérarisation des formes de communication en ligne (Carita feliz nube corazón rayo). Cette génération de jeunes créateurs parlera volontiers d’« écritures sampler » ou d’« écritures spam », selon les termes du critique Juan José Mendoza.

AXES :

1. Il s’agira de caractériser les différents procédés mis en œuvre dans ces dispositifs littéraires (collecte, recyclage, classement, notation, transcription), ainsi que les possibles filiations avec des formes plus anciennes (miscellanées, almanachs, albums). On prêtera également une attention particulière aux matériaux de base utilisés (« écritures ordinaires » de Daniel Fabre, « éphémères » de Maurice Rickards).

Ces questions de la transcription et du montage permettront de convoquer un certain nombre d’écrivains français tels que François Bon, Leslie Kaplan ou Annie Ernaux, qui explorent une littérature du moindre, faite de ce que Barthes nomme des « bribes du réel ».

2. Le dialogue entre littérature et art constitue un point essentiel de ces démarches. On constate une migration vers la littérature de pratiques issues des arts visuels, telles que le collage, le ready-made, le montage. Ainsi, des mouvements comme Fluxus, Merz ou encore l’arte povera ont pu influencer Perec et Cortázar. Les « bombes de temps » de Perec évoquent également le modèle des Time capsules d’Andy Warhol. Il pourra enfin être fructueux d’analyser les nombreuses collaborations entre artistes plastiques et écrivains (les travaux de Christian Boltanski ou Dominique Gonzalez-Foerster aux côtés de Jacques Roubaud, le livre-objet Buenos Aires Tour des Argentins Jorge Macchi et María Negroni).

3. Les textes qui nous occupent ont en commun de questionner la figure de l’auteur. Obéissant à des protocoles (les « modes d’emploi » chez Perec) ces écrivains se rapprochent davantage d’un opérateur. Dans ce cas, où se situe l’auctorialité, l’originalité, le geste créatif dans ces ouvrages ?

4. On pourra étudier les diverses « postures littéraires » (Jérôme Meizoz) investies par ces auteurs : la figure du chiffonnier, du cartonero, de l’archiviste des « choses communes », du collectionneur, du glaneur, etc.

5. En ce qu’ils questionnent l’idée de valeur littéraire, la réception de ces textes est aussi un enjeu à explorer. Il pourra être intéressant de se pencher sur les conceptions du littéraire que les auteurs opposent à une littérature canonique, sur leur façon de se situer en dehors de la bibliothèque des écrivains consacrés, en proposant notamment des stratégies éditoriales et des supports alternatifs (la coopérative porteña Eloísa Cartonera,  la poésie écrite sur des supports qui sont eux-mêmes des déchets chez le poète mexicain infra-réaliste Santiago Papasquiaro, la publication à la fois digitale et sur papier chez Carlos Gradin ou pour Tokyo infra-ordinaire de Jacques Roubaud).

7- Enfin, il sera fructueux de mettre en lumière les recours aux technologies numériques et l’usage d’internet à l’œuvre dans les manifestations les plus contemporaines de ces écritures expérimentales.

 

Modalités de soumission :

Les propositions de communication doivent comporter un titre, un résumé (une page max.), et une brève bio-bibliographie. Les interventions se limiteront à vingt minutes.

 

Les propositions seront envoyées aux adresses indiquées ci-dessous pour le vendredi 1er septembre  2017 : paula.klein@univ-poitiers.fr et coquilb@gmail.com

 

Une réponse individuelle sera communiquée au plus tard le 10 septembre.

Pour toute information pratique supplémentaire concernant la journée d’étude, merci d’écrire à la même adresse.