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Appels à contributions
Au-delà de la comparaison (appel à contribution pour volume collectif)

Au-delà de la comparaison (appel à contribution pour volume collectif)

Publié le par Marc Escola (Source : Nikol Dziub)

Université de Haute-Alsace

Institut de recherche en Langues et Littératures Européennes (ILLE – EA 4363)

Beyond comparison : interculturality and metacriticism

Au-delà de la comparaison : interculturalité et métacritique

Appel à contributions

Projet de volume collectif, sans journée d’étude ni colloque

Le propos de ce volume est de repenser la théorie de la comparaison littéraire, interculturelle et intermédiale en partant de cette idée, que la comparaison est un acte intellectuel, cognitif (la comparaison est, cognitivement parlant, un acte fondamental, « generalized and ubiquitous », qui mobilise deux facultés : « abstraction and complexity »[1]) et créatif. D’un point de vue cognitif, la comparaison, tout en étant un acte irréductible à aucun autre, tout en se présentant, pour le sujet, comme une voie d’accès originale au monde des objets, suppose, pour l’esprit, la capacité à concentrer son attention sur plusieurs points distincts, et par conséquent à penser (à) plusieurs choses à la fois.

Notre objectif sera d’analyser les vertus de la comparaison, en particulier quand elle touche ses limites, et prétend les outrepasser. Selon Marcel Detienne, il convient de se libérer de cet interdit logique, qui dit qu’ « on ne peut comparer que ce qui est comparable ».[2] En effet, l’incomparable est autre chose qu’une relation impossible, il s’affiche comme une valeur, ou comme une propriété. Dès lors, on ne pourrait comparer que l’incomparable : Deleuze, d’ailleurs, décrit dans Différence et répétition la comparaison comme un acte pur, qui permet de conserver des incomparables.[3] Propice à la communication (au sens qu’Habermas donne au terme) interculturelle aussi bien qu’intermédiale, l’(in)comparaison serait donc à la fois un ethos et une éthique. De fait, un certain comparatisme contemporain, qui s’attache à prendre en compte l’évolution des médiums numériques notamment, et qui se veut culturaliste et transmédial (voir en particulier l’ouvrage d’Antonio Dominguez-Leiva, Sébastien Hubier et Frédérique Toudoire-Surlapierre, Le Comparatisme : un univers en 3D ?, 2012), prétend travailler à « relier le Même et l’Autre ».[4]

Voici quelques axes (nullement exclusifs) que nous nous proposons de suivre :

1. La Comparaison créatrice. La comparaison n’est pas forcément un acte critique. Elle n’est pas nécessairement révélatrice ; elle peut aussi créer de l’incomparable. Ne peut-elle pas par exemple précéder ou accompagner la genèse d’une œuvre littéraire ? Certains comparatistes, en tout cas, cèdent à la tentation de se faire écrivains et beaucoup d’écrivains (Mme de Staël, Goethe, Hugo, Tourgueniev, Tolstoï, Proust, Gide, Thomas Mann, Virginia Woolf, Sartre, Borges…) se comportent en comparatistes dans leurs ouvrages à dimension métatextuelle. Quand Tourgueniev entreprend de comparer Hamlet à Don Quichotte, il ne cache pas ce que cette démarche peut avoir d’incongru : « Shakespeare et Cervantès, se demandera-t-on peut-être, quelle comparaison peut-on établir entre eux ? » Quant à Thomas Mann, dans son Goethe und Tolstoï (1923), il effectue une comparaison « croisée », il élabore une comparaison entre deux comparaisons : Goethe/Tolstoï et Schiller/Dostoïevsky.

Peut-on dès lors parler d’un comparatisme d’écrivain (comme on parle de la comparaison homérique, ou de la comparaison poétique – pensons aux analyses heideggériennes d’Hölderlin) ? Qu’est-ce que comparer en romancier, en dramaturge, en poète ? Que nous apprennent les pratiques créatives de la comparaison sur la nature de l’œuvre (au sens actif, dynamique du mot) linguistique de la littérature ?

2. La Comparaison des arts : l’alternative, le paragone, la concurrence, la séparation. La comparaison est en quelque sorte un trait de (dés)union entre les arts. Chaque art conduit différemment à l’Idée, écrit Mallarmé : « la Musique et les Lettres sont la face alternative ici élargie vers l’obscur ; scientillante là, avec certitude, d’un phénomène, le seul, je l’appelai l’Idée. »[5] Qu’est que la comparaison entre les arts et quelle est la place de la comparaison dans les arts ?

Prenons l’exemple de Proust, qui, dans un geste doublement métatextuel, compare et dit qu’il compare. Pour faire le portrait de Gilberte, il trouve en effet utile de « prendre une comparaison dans un autre art ».[6] Quant à La Toison d’or, où Gautier raconte comment il s’en va « au pourchas du blond »[7], n’est-elle pas le résultat du désir qui tourmente son auteur de comparer la réalité à un idéal qui la précède (à savoir la flamande aux cheveux d’or) ? La comparaison devient alors le prétexte d’une quête, elle s’accompagne de l’aspiration, non vers un Idéal, mais vers sa réalisation.

Se pose aussi la question de l’évolution des points de comparaison. La littérature se comparait à la peinture avant que la photographie soit inventée, et lui serve de point de comparaison mimétique autant que de repoussoir : « La photographie a permis de comparer, c’est-à-dire de faire une science »[8], écrit Émile Mâle dès la fin du XIXème siècle. Mais la comparaison, du point de vue de l’éthique artistique, n’est-elle pas condamnable ? Et que reste-t-il de l’ut pictura poesis aujourd’hui ? En quels termes les arts contemporains comparent-ils, quels critères, quelles pratiques mobilisent-ils ?

Mais d’abord, comment la comparaison entre les arts fonctionne-t-elle exactement ? Compare-t-on la littérature à la musique comme on compare la littérature à la peinture ? Calvin S. Brown, dans Music and Literature A Comparison of the Arts (1948), proposait une comparaison dialectique entre les deux arts : science et art, harmonie et contraste, thème et répétition, motif et fiction, description et narration dans la musique et musicalité d’une œuvre littéraire. L’ut pictura poesis, en revanche, apparaît comme un agencement analogique plutôt que dialectique. La comparaison héritée de l’ut pictura poesis n’est ni théorique, ni locale. C’est tout le système de l’écriture qui peut être comparé à celui de la peinture. C’est tout le système des écrivains qui peut être comparé à celui des peintres – à ceci près que l’esprit comparant bute parfois sur un Incomparable, sur ce que Deleuze appelait, après Melville, un Original. Cet Incomparable ruine alors le système de la comparaison analogique/allégorique. À la comparaison filée ou continuée succède une (in)comparaison qui, loin de diviser l’artiste en une série de quoi, pour reprendre la terminologie derridienne, en fait un qui inanalysable. En témoignent ces lignes de Montesquieu : « S’il faut donner le caractère de nos poètes, je compare Corneille à Michel-Ange, Racine à Raphaël, Marot au Corrége, La Fontaine au Titien,[…]. Si nous avions un Milton, je le comparerais à Jules Romain ; si nous avions le Tasse, nous le comparerions au Carrache ; si nous avions l’Arioste, nous ne le comparerions à personne, parce que personne ne peut lui être comparé. »[9]

Une autre question sur laquelle nous voudrions nous arrêter est celle des figurations autoréflexives de l’(in)comparaison. En d’autres termes, quels sont les objets ou les dispositifs (balances, emblèmes, miroirs, images, doubles) qui figurent la comparaison ? Et comment les œuvres d’art ou les codes allégoriques appellent-ils à la comparaison ? Pensons à la Mélancolie de Dürer, qui propose au spectateur plusieurs allégories (c’est-à-dire plusieurs figures construites sur un principe de comparaison) de la mélancolie, allégories qui deviennent à la fois lisibles et relatives précisément parce qu’on les compare. 

Enfin, au-delà de la théorie, il serait important de comprendre et de décrire comment les arts « fonctionnent fraternellement » dans leurs différentes manifestations, depuis leurs origines jusqu’à leurs réalisations les plus contemporaines, non seulement en Occident, mais aussi en « Orient ». Un exemple particulièrement éclatant de la fécondité des échanges intermédiaux est la culture du Caucase, où les arts (poésie, chant, musique instrumentale, danse, artisanat) fonctionnent par vocation en réseau. Un tel exemple soulève de nombreuses questions, et d’abord celle-ci : le cloisonnement des arts ne serait-il pas l’œuvre de structures  académiques qui sont loin d’être universelles ? 

3. En lisant, en comparant. Dans The Art of Comparison : How Novels and Critics Compare ? (2011), Catherine Brown a mis en lumière la manière dont le comparatisme se veut métacritique. Le lecteur-comparatiste ne peut s’empêcher de développer une réflexion sur l’acte de comparaison. Ce que nous voudrions tenter de comprendre, c’est ce que fait la comparaison à la lecture. Lit-on autrement, quand on lit pour comparer ? Et peut-on, d’ailleurs, lire sans comparer ? Selon Virginia Woolf en tout cas, lire, c’est comparer : « “We have only to compare” – with those words the cat is out of the bag, and the true complexity of reading is admitted »[10], écrit-elle dans How Should One Read a Book ?

Les articles proposés par des spécialistes en littérature française, générale et comparée, en histoire de l’art, en arts de la scène, en arts visuels sont les bienvenus, le volume étant relatif aux études culturelles et interculturelles. Votre proposition (1/2 page environ), accompagnée d’une brève notice bio-bibliographique, devra parvenir à Nikol Dziub (nikol.dziub@uha.fr) avant le 8 janvier 2017. Après acceptation, les articles seront à rendre pour le 31 juillet 2017. 

Comité scientifique :

Eric Dayre (Professeur, ENS de Lyon)

Nikol Dziub (Post-doctorante, Université de Haute-Alsace)

Florence Fix (Professeure, Université de Lorraine)

Thomas Hunkeler (Professeur, Université de Fribourg)

Greta Komur-Thilloy (Professeure, Université de Haute-Alsace)

Dominique Massonnaud (Professeure, Université de Haute-Alsace)

Chloé Ouaked-Conant (Maître de Conférences, Université de Limoges)

Peter Schnyder (Professeur émérite, Université de Haute-Alsace)

Frédérique Toudoire-Surlapierre (Professeure, Université de Haute-Alsace)

 

[1] Ronald W. Langacker, Foundations of Cognitive Grammar. Volume 1. Theoritical Prerequisites, Palo Alto, Stanford University Press, 1987, p. 101.

[2] Marcel Detienne, Comparer l’incomparable, Paris, Seuil, 2000, p. 12.

[3] Gilles Deleuze, Différence et Répétition, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, p. 340.

[4] Antonio Dominguez-Leiva, « Pour un (nouveau) comparatisme culturaliste », dans Antonio Dominguez-Leiva, Sébastien Hubier et Frédérique Toudoire-Surlapierre, avec une préface de Didier Souiller, Le Comparatisme : un univers en 3D ?, Paris, L’Improviste, 2012, p. 206.

[5] Stéphane Mallarmé, « La musique et les lettres », La Revue Blanche, tome 6, no. 30, avril 1894, p. 304.

[6] Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, (À la recherche du temps perdu), Paris, Gallimard, 1919, p. 170.

[7] Théophile Gautier, La Toison d’or [1839], Œuvres. Nouvelles, Paris, Lemerre, 1897, p. 227.

[8] Émile Mâle, L’Enseignement de l’Histoire de l’art dans l’Université, Paris, Colin, 1894, p. 10-20.

[9] Montesquieu, « Tome septième : Discours, Lettres, Voyage à Paphos », Œuvres complètes. Texte établi par Édouard Laboulaye, Paris, Garnier frères, libraires-éditeurs, 1879, p. 149-181.

[10] Virginia Woolf, « How Should One Read a Book ? » [1926], The Common Reader. Second Series, London, Hogarth, 1965.