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Autopsie de l'échec littéraire (8e journées d'études du groupe COnTEXTES, Bruxelles)

Autopsie de l'échec littéraire (8e journées d'études du groupe COnTEXTES, Bruxelles)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Christophe Bertiau)

Autopsie de l'échec littéraire

Huitièmes journées d'études du groupe COnTEXTES 

Bruxelles, 15-17 mai 2019


En tant qu'elle participe de la consécration des auteurs et entretient des rapports intéressés avec la question de la valeur, l'histoire de la littérature a tendance à accorder beaucoup plus d'attention aux succès qu'aux échecs. Tout se passe comme si la distance temporelle qui sépare le chercheur de son objet avait figé la valeur des œuvres, constitué un panthéon immuable tout prêt à être « reconnu » et aux marges duquel il n'y aurait que des œuvres « mineures », en cela moins dignes d'être étudiées. La réussite, cependant, n'est que la pointe de l'iceberg littéraire. En se focalisant sur les « grands » écrivains, sur les « modernes », sur les « originaux », ne risque-t-on pas de donner une image sinon faussée, du moins (trop) partielle, de la littérature d'une époque ?

Dans un premier temps, l'échec peut s'entendre aussi bien comme exclusion des instances de consécration spécifiques à la fraction du champ (sous-champ de production restreinte ou grande production) dans laquelle l'auteur souhaite s'investir, que comme absence ou quasi-absence de l'histoire littéraire (oubli ou omission volontaire). Il restera à mieux circonscrire la notion et à définir ce qui la distingue de notions proches telles que l'insuccès, la non-consécration ou encore l'illégitimité.

L'étude de l'échec peut profiter à l'histoire de la littérature au moins à deux égards : d'une part, elle permet de rappeler que la consécration repose sur des bases incertaines et qu'il est dès lors toujours possible d'interroger les classements et de chercher à comprendre leur logique ; d'autre part, elle aide à mieux appréhender la réussite elle-même, conçue comme prise de position dans l'espace des possibles qu'est le champ littéraire.

Consacrées à l'échec littéraire, les huitièmes journées d'études du groupe COnTEXTES ne cherchent pas tant à réhabiliter des écrivains méconnus qu'à mettre au jour des logiques de l'exclusion symbolique. On propose de réfléchir à partir des cinq axes suivants.

1. Les raisons de l'échec

S'il ne fait guère de doute que la qualité des œuvres joue un rôle important dans les processus de sélection et d'exclusion, elle ne permet toutefois pas de rendre compte de ceux-ci à elle seule. Les instances de consécration et les lois du champ s'imposent à l'écrivain, sommé de jouer le jeu, – quitte à en subvertir les règles – pour être reconnu. Quelles sont donc ces règles qui excluent de la course la majorité des auteurs ? Dans quelle mesure, par exemple, le fait de recourir à certains genres passés de mode (la tragédie classique après le Premier Empire), d'écrire dans une langue jugée obsolète (le latin à partir du xixesiècle) ou encore le simple fait d'être née femme rend toute tentative de se faire un nom dans le champ en quelque sorte perdue d'avance ? La posture (Meizoz) qu'adopte un auteur peut-elle être cause de son échec ?

La postérité, quant à elle, possède ses propres critères de sélection, ses propres obsessions, ses propres classements, toujours susceptibles d'être remis en question. Antoine Compagnon (1990), par exemple, souligne combien l'historiographie a tendance à être obnubilée par une certaine modernité au point de faire l'impasse sur ce qui n'entre pas dans sa grille de lecture. William Marx (2004) prend le contrepied de cette tendance en dirigeant un collectif sur les « arrière-gardes » au xxesiècle. Ce penchant pour le moderne joue-t-il un rôle dans la constitution du canon avant l'apparition des premières « avant-gardes » ? Peut-on identifier d'autres logiques d'exclusion qui font fi de la qualité des œuvres ?

2. Les luttes pour l'échec (d'autrui)

Il n'y a pas de réussites sans échecs. Partant, souhaiter qu'un auteur réussisse, c'est forcément souhaiter que d'autres échouent. Le champ littéraire fourmille d'entreprises de disqualification (cabales, pamphlets, campagnes de dénigrement, diffamation, etc.) visant à définir une bonne pratique de la littérature. On pourra jauger l'efficacité de ces entreprises et leur impact sur les règles de fonctionnement du champ. Quelles conditions doivent être réunies pour qu'elles soient efficaces ? Dans quelles circonstances, à l'inverse, s'avèrent-elles inefficaces, voire contre-productives ? Dans quelle mesure peuvent-elles bénéficier à des auteurs ralliés au camp des assaillants ?

3. Les auteurs face à leur échec

Pour un écrivain qui souhaite être reconnu, l'échec ne peut laisser indifférent. On s'intéressera aux réactions des écrivains face à leur échec et à la pression que celui-ci exerce sur les trajectoires et les productions. L'échec est un révélateur des règles implicites du champ littéraire : si l'œuvre a échoué, c'est qu'elle n'était pas aux normes et/ou que l'auteur n'a pas joué le jeu qu'il aurait dû jouer. Pour connaître le succès, l'écrivain peut alors chercher à conquérir un autre public, réorienter sa stratégie ou tenter de modifier les règles du jeu. C'est ainsi par exemple qu'après avoir, sans succès, imité les romantiques, Leconte de Lisle adopte une stratégie plus efficace en proclamant sa rupture et en se posant comme l'initiateur d'une nouvelle esthétique.On se demandera donc si les réactions des écrivains portent leurs fruits ou prolongent leur échec. On pourra également se pencher sur les cas d'inertie face à l'échec : comment expliquer ceux-ci ? l'inertie condamne-t-elle les auteurs à un échec permanent, ou finit-elle un jour par payer ?

4. De l'échec au succès, du succès à l'échec

On le sait, la fortune est capricieuse. Jadis renommés, ou du moins jouissant d'un certain succès, des auteurs tombent dans l'oubli ou ne sont plus guère lus que par des spécialistes (ainsi Edme Boursault, Claude-Joseph Dorat, François Coppée, Catulle Mendès, Jean Aicard, Alcanter de Brahm). D'autres, méconnus ou marginalisés, gagnent en considération, tels le marquis de Sade, Pétrus Borel et le comte de Lautréamont réhabilités par les surréalistes. Comment et pourquoi ces retournements se produisent-ils ? Que nous apprennent-ils sur les classements opérés par les acteurs du monde littéraire ? Les jugements postérieurs sont-ils forcément plus « justes » que les jugements contemporains ?

5. L'échec en diachronie

Il y a différentes façons d'échouer : l'échec dans le premier champ littéraire (Viala) a peu de rapports avec celui des écrivains d'aujourd'hui, soumis à de tout autres contraintes. On pourra se pencher sur les différentes formes que revêt l'échec littéraire au fil des époques. À partir de quand peut-on parler d'échec littéraire ? Faut-il attendre pour cela la constitution du premier champ littéraire ? À l'heure des avant-gardes, alors que l'échec est perçu comme une condition nécessaire au succès (différé), comment appréhender le véritable échec, celui qui ne sera pas réhabilité par les générations futures, et comment le distinguer de l'échec des avant-gardes ?

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Le colloque aura lieu à Bruxelles les 15, 16 et 17 mai 2019.

Les propositions de communications (environ 500 mots) sont à envoyer à Christophe Bertiau (cbertiau@ulb.ac.be) et à Chanel de Halleux (cdehalle@ulb.ac.be) avant le 30 novembre 2018.

Après évaluation par le comité scientifique du groupe COnTEXTES, un avis sera communiqué aux auteurs avant la fin du mois de janvier 2019.

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