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Aux frontières de l’essai. Pour un bilan sur les destinées de la forme essayistique

Aux frontières de l’essai. Pour un bilan sur les destinées de la forme essayistique

Publié le par Philippe Robichaud (Source : Simona Carretta)

Aux frontières de l’essai. Pour un bilan sur les destinées de la forme essayistique

Sous la direction de Federico Bertoni, Simona Carretta, Nicolò Rubbi

À l’aube du siècle dernier, aux débuts du célèbre texte L’Âme et les Formes, György Lukács confie à son ami Leo Popper comment le simple désir de présenter son œuvre s’était rapidement transformé en une interrogation purement théorique : qu’est-ce que l’essai ? En 1911 remontait ainsi à la surface une question vieille de plusieurs siècles, dont Michel de Montaigne et Francis Bacon avaient été les premiers inspirateurs et dont la production littéraire du XVIIIème siècle avait représenté l’ἀκμή. L’âge moderne semble avoir ensuite favorisé le développement de cette vocation antisystématique, qui avait déjà été attribué à l’essai par son étymologie même : sa dérivation du bas latin exagium (la « balance ») a permis d’identifier dans l’attitude de « peser », à savoir de ramener perpétuellement les idées établies à l’épreuve concrète de l’expérience, le caractère fondamental de l’écriture essayistique. Le repérage de ce trait distinctif (son inclination expérimentale) a facilité la reconnaissance de l’essai en tant que forme autonome, et a également permis d’en découvrir les interactions de plus en plus fréquentes avec les autres arts littéraires.

Si, aussi bien que la poésie, l’essai se caractérise par sa propension à la forme brève ainsi que sa tendance à procéder par associations libres, il semble partager avec le roman son ontologie : cette dernière germerait du même regard ironique, que l’essayiste et le romancier emploient dans la critique des vérités présumés, et du choix commun de la prose comme instrument de relation avec le monde. Le débat critique n’a pas manqué de souligner ces ressemblances : des critiques tels que Thomas Pavel ont bien reconnu dans le mélange de narration et de méditation essayistique un aspect décisif du roman moderne et contemporain (on pense à Marcel Proust, Thomas Mann, Robert Musil, Jorge Luis Borges et, parmi les exemples plus récents, à Thomas Bernhard, Milan Kundera ou à Enrique Vila-Matas). Cela a conduit François Ricard – dans le numéro que la revue française L’Atelier du roman a consacré aux rapports entre le roman et l’essai (Roman, essai : affinités électives, 2007) – à considérer le roman comme le chantier par excellence du développement de la pratique essayistique au XXème siècle. C’est dans cette période que la critique littéraire signée par les romanciers fut l’un des territoires plus fertiles rattrapés par l’essai : des auteurs comme Hermann Broch, Julien Gracq, Alejo Carpentier, Julio Cortázar, Milan Kundera, Javier Cercas, Ricardo Piglia et Martin Amis, renommés pour leurs œuvres romanesques, se sont révélés également de grands essayistes ; parmi ceux-ci, on peut certainement compter Julio Cortázar pour l’essai Imagen de John Keats. L’intensité de l’échange que l’essai a entretenu avec les autres formes littéraires révèle peut-être le scénario contradictoire dans lequel est contraint d’opérer l’essayiste moderne :  frère du poète et du romancier, contrairement à eux il ne peut toutefois compter sur la reconnaissance d’une tradition suffisamment définie avec laquelle se confronter ; ainsi, à part les cas rares mais lumineux d’essayistes pures, à savoir d’écrivains qui ont embrassé l’art de l’essai avec un certain niveau de conscience (outre Montaigne, probablement Alain, Cioran ou José Ortega y Gasset, notamment pour ses Méditations sur Don Quichotte), tous les autres ne l’ont été qu’incidemment. L’absence d’un nombre suffisant de modèles a rendu difficile pour les chercheurs d’atteindre une analyse, plus ou moins complète, des objectifs esthétiques et cognitives de l’essai. Il a donc été plus facile procéder par négation, selon la méthode suivie par Irène Langlet dans sa récente monographie (L’Abeille et la Balance : penser l’essai, 2015). Donc, déterminer ce que l’essai n’est pas : traité académique, article, pamphlet, poème en prose, journal intime, autobiographie, etc. ; tous genres dans lesquels, cependant, des aspects de l’essai subsistent. Malgré la difficulté objective d’encadrer le portrait de l’essayiste (qui est toujours « en apprentissage et en épreuve », comme l’écrit Montaigne), il a quand même été possible de voir que, dans les dernières années, des intellectuels tels que Theodor Adorno, Walter Benjamin et Jean Starobinski avaient réfléchi sur l’essai et donc préparé le terrain pour ce qui va être l’un des débats critiques européens les plus prometteurs.

En Italie, à part dans des études très récentes, où toutefois l’essai n’est traité que partiellement, par exemple en ce qui concerne son rapport avec le roman – voir Il romanzo-saggio de Stefano Ercolino, 2017 – ou avec l’écriture humoristique – L’umorismo letterario. Una lunga storia europea (secoli XIV-XX) de Giancarlo Alfano, (2016) –, le texte de référence à cet égard est encore le bilan qu’Alfonso Berardinelli a tenté avec sa Forma del saggio. Definizione e attualità del genere letterario (2002). Selon le critique italien, l’essayiste serait l’expression de la conscience laïque, de la subjectivité individuelle problématique et divisée, il serait antidogmatique et ironique tout comme un authentique esthète. Toutefois, à part l’exception représentée par quelques proses de Leopardi et par la production de De Sanctis, pour Berardinelli la critique essaystique italienne en XXème siècle paraît épuisée, écartelée entre la tentation de l’évasion et la tentation de l’encadrement historique ; cela attesterait l’impossibilité des essayistes italiens du siècle dernier d’atteindre une médiation entre continuité et rupture, tradition et innovation. Berardinelli se concentre également sur la condition d’exilé de la contemporanéité qui serait le propre de l’essai : exilé alors que l’avènement et le développement du journalisme et des écritures spécialisées semblent menacer, la vocation des vrais essayistes restant rare.

Près de vingt ans après La forma del saggio et plus de cent après L’Âme et les Formes, ce numéro monographique vise à fournir un nouveau bilan des destins multiples de cette fascinante forme littéraire. On souhaiterait encourager les propositions portant sur l’étude du panorama actuel et passé formé autour de l’essai, examiné par une perspective supranationale ou nationale ; les études de grande envergure seront acceptées, tout comme les analyses ponctuelles de textes essayistiques. On prendra notamment en considération les propositions de communication consacrées aux sujets suivants :             

Reconstructions et propositions d’interprétation théorique du sujet.

Propositions de périodisation et d’historisation de la forme essayistique.

Interventions autour d’auteurs uniques, de leur production spécifiquement essayistique ou de leur rapport à l’essai.

Reconstructions d’une possible tradition de l’essai en tant que forme d’art.

Comparaison entre essayistes.

Analyses des rapports entre essai et roman ; essai et poésie, etc.

Études de l’évolution de l’essai au cours des dernières décennies.

 

Calendrier et renseignements

Pour envoyer des propositions ou demander de renseignements : confinidelsaggio@ticontre.org.

Langues : italien, français, espagnol, anglais.

Extension des articles : 50 000 signes maximum, espaces inclus.

Abstract : 300 mots — Notice biobibliographique : 150 mots

Envoi des propositions (abstract et notice biobibliographique) : 25 juillet

Notification de l’acceptation des propositions : 31 juillet

Envoi des articles définitifs : avant le 30 octobre

Publication du numéro de la revue : mai 2018 ; peer review : oui.