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Colloque "Enfances dystopiques" (Le Mans)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Sylvie Servoise)

« Enfances dystopiques »

Le Mans-Université, 19-21 juin 2019

Colloque international organisé par Sylvie Servoise (3L.AM, Le Mans-Université)

avec le soutien du 3L.AM (Le Mans-Université),

du programme de recherche régional EnJeu[x] Enfance et Jeunesse (Université d’Angers)

et de la Chaire UNESCO/Université de Nantes, "Pratiques de la philosophie avec les enfants, une base éducative pour le dialogue interculturel et la transformation sociale".

 

Argumentaire

Il n’aura échappé à personne que les dystopies, qu’elles soient comprises au sens restreint de fictions contre-utopiques (des utopies en sens contraire, critiques de l’utopie réalisée) ou au sens plus large de fictions anti-utopiques (le contraire des utopies, décrivant un monde cauchemardesque, souvent post-apocalyptique), connaissent aujourd’hui un succès immense auprès d’un vaste public, jeune et moins jeune. Adossées à un imaginaire puissant de la catastrophe, coïncidant avec le sentiment contemporain d’un « épuisement de l’enthousiasme » (J. Berchtold), elles seraient le symptôme le plus visible de la fin de l’âge des utopies, politiques bien sûr, mais également scientifiques et philosophiques. En somme, les dystopies offriraient le miroir faussement déformant de notre époque en même temps que des angoisses et fantasmes qui la travaillent. Ce succès suscite autant qu’il accompagne une attention soutenue de la critique littéraire et artistique, mais aussi des sciences humaines et notamment de la philosophie qui interrogent les enjeux et les formes de la dystopie et de l’imaginaire dystopique : sont ainsi discutés l’histoire et l’historicité d’un genre plus ancien qu’on ne le croit (K. Kumar, C. Braga), les inflexions propres aux dystopies pour la jeunesse, la complexité des rapports entre « utopie et catastrophe » (J.-P. Engélibert et R. Guidée), les liens entre dystopie, « utopie et désenchantement » (Cl. Magris) contemporain, inquiétudes environnementales et fictions de fin du monde (Ch. Chelebourg), ou encore la réévaluation positive, qui n’est qu’apparemment paradoxale, de la notion même d’utopie à notre époque (P. Macherey, M. Abensour).

 Participant de cet intérêt pour la question dystopique en lien avec l’utopie et l’imaginaire post-apocalyptique, le colloque « Enfances dystopiques » propose cependant un décentrement de regard susceptible de l’éclairer sous une lumière nouvelle : il s’agit en effet de porter l’attention sur une figure a priori secondaire, « mineure » de la fiction dystopique classique : la figure de l’enfant et de l’adolescent. Si celle-ci n’apparaît pas au premier plan dans les récits dystopiques fondateurs que sont par exemple Nous autres de Zamiatine ou Nineteen Eighty-Four d'Orwell, elle est pourtant essentielle dans le dispositif de la société dystopique, en ce qu’elle incarne tous les fantasmes de « l’homme nouveau » à construire et par ailleurs centrale dans ce sous-genre, en pleine expansion à l’heure actuelle, des dystopies enfantines ou adolescentes qui trouvent leur modèle originaire dans le célèbre Lord of the Flies de William Golding.

 Le colloque a ainsi pour objectif de s’interroger, dans une perspective littéraire et philosophique à la fois, sur les figures et représentations de l’enfant et de l’enfance, ainsi que de l’adolescent et de l’adolescence dans les récits dystopiques des XXe et XXIesiècles. Partant du paradoxe inaugural selon lequel l’enfant, être en devenir, est amené, dans les fictions en question, à vivre dans un univers à l’horizon barré – parce que le futur est déterminé à l’avance dans les sociétés contre-utopiques ou bien parce qu’il apparaît comme particulièrement sinistre dans un monde ravagé par la catastrophe - on peut envisager de lui prêter deux rôles majeurs : soit le personnage enfantin ou adolescent est en lutte contre le monde dystopique instauré par les pères – ou dont les pères n’ont pu empêcher l’instauration – et figure alors une sorte de justicier, voire de rédempteur, du fait même de sa non-corruption avec le monde adulte et de traits considérés comme spécifiquement liés à la jeunesse (l’audace, la radicalité, l’innocence, la bonté, l’idéalisme, la révolte…). On trouve maints exemples de cette figure dans les héros et héroïnes des dystopies contemporaines à destination de la jeunesse et, dans une perspective moins épique que théologique, dans le récit post-apocalyptique de Cormac Mac Carthy, The Road où le jeune garçon, né pendant la catastrophe, est précisément celui qui incarne la promesse d’une nouvelle ère; soit (mais les deux voies ne sont nullement exclusives l’un de l’autre) l’enfant/adolescent, apparaît, du fait de sa vulnérabilité constitutive, comme une figure emblématique de victime, une sorte de « super-victime », en qui se donneraient à voir de façon particulièrement manifeste et douloureuse les ravages d’une société injuste et destructrice. Dans ce cas, le jeune personnage peut aussi bien se présenter sous les espèces de l’enfant-martyr (victime consciente de son statut) que sous celles de l’enfant-bourreau, victime qui s’ignore de la propagande, collaborateur zélé du régime contre-utopique, comme la jeune Parsons qui dénonce son père dans Nineteen Eighty-Four.

Cependant, le personnage de l’enfant ou de l’adolescent ne figure pas toujours, ou pas seulement, comme le remède au monde dystopique ou son symptôme. On peut aussi l’envisager, comme un « personnage conceptuel » (I. Joseph), une figure analytique qui permet de penser l’expérience enfantine du monde dystopique comme expérience commune à tous. L’enfant ou l’adolescent peut dès lors se faire symbole de la condition humaine, et des invariants anthropologiques qui pèsent sur les diverses modalités du vivre-ensemble, comme on le voit dans les nombreuses dystopies enfantines qui, de Lord of the Flies à Battle Royale du japonais Kōshun Takami, semblent illustrer un état de nature hobbesien marqué par la lutte de chacun contre tous. On peut également voir, dans le sillage de la tradition de l’enfant-poète ou « fanciullino » de Giovanni Pascoli, l’enfant ou l’adolescent comme une métaphore de l’artiste, de celui qui voit (ou peut voir) autrement, et souvent mieux, les arcanes du monde dystopique et peut-être, aussi, les moyens d’en sortir. Mais l’enfant, infans, constitue aussi le support privilégié d’un questionnement sur l’expérience de la parole, l’expérience et la parole, comme le rappelle Giorgio Agamben dans Enfance et histoire, et sur la faculté même de dire un monde ravagé et défiguré, comme en a témoigné exemplairement George Perec dans W ou le récit d’enfance. Enfin – et bien des pistes demeurent encore à explorer – l’on ne saurait négliger la signification politique du geste même de décentrement du regard vers le sujet enfantin ou adolescent, figure d’altérité radicale ou objet d’un déni de reconnaissance qui affecte tout sujet maintenu en état de minorité.

 

Seront privilégiées les communications qui inscrivent l’analyse de récits dystopiques français et/ou étrangers des XX et XXIe siècles, de littérature générale comme de jeunesse, dans une perspective conceptuelle, d’ordre littéraire et/ou philosophique. Des communications sur les adaptations cinématographiques (films, séries) de récits dystopiques sont également bienvenues. Plusieurs axes sont envisageables :

1) Ce que la dystopie fait à l’enfant et à l’enfance :

- Figurations de l’enfant et de l’enfance dans l’univers dystopique : quel(s) rôle(s), quelle(s) place(s) sont attribués à l’enfant et à l’enfance dans sociétés cauchemardesques décrites ? La jeunesse peut renvoyer au fantasme d’une humanité régénérée, sous contrôle donc (eugénisme, contrôle des naissances, propagande…), ou au contraire à une période de liberté, réprimée, refoulée chez les protagonistes adultes plongés dans la machine dystopique infernale.

- Le rapport aux topoï sur l’enfance et l’enfant dans les récits dystopiques.

- La fabrique de nouvelles figures héroïques, éventuellement de nouveaux modèles 

 2) Ce que l’enfant fait à la dystopie :

- Les multiples formes de la présence enfantine/adolescente dans les récits dystopiques - protagonistes, personnages secondaires, ou œil du récit : quels effets esthétiques et éthiques ? 

- Les enjeux du regard de l’enfant sur la société dystopique : si l’on considère que la dystopie constitue l’envers de notre monde, comment comprendre le redoublement d’effet d’étrangéisation induit par le regard enfantin ?

- Comment s’articulent les positions et points de vue de l’enfant et de l’adulte dans les récits dystopiques ?

- Que fait la présence enfantine /adolescente au genre dystopique ? Elle peut le tirer du côté du récit d’aventures, de la fantasy mais aussi de la fable politique, de la réflexion métaphysique et/ou psychanalytique sur l’origine du mal et de la civilisation.

3) Ce que nous disent les enfances dystopiques

- Rapport enfance/langage, pouvoirs du verbe et univers dystopique.

- Enfance et enjeux environnementaux 

- Enfance et retour de l’utopie au sein des configurations dystopiques.

- Enfance et genre : les héros des dystopies contemporaines, notamment pour la jeunesse et young adults, sont souvent des héroïnes, qui jouent sur les codes masculin/féminin, quand il ne s’agit pas purement et simplement de les brouiller.

- Univers dystopique et pratiques culturelles de la jeunesse : monde virtuel, communauté de fans, transmédialité….

Comité scientifique :

  • Edwige Chirouter (Chaire UNESCO/Université de Nantes)
  • Raphaëlle Guidée (Université de Poitiers)
  • Delphine Letort (Le Mans-Université)
  • Patricia Lojkine (Le Mans-Université)
  • Nathalie Prince (Le Mans-Université)
  • Patrick Savidan (Université Paris-Est Créteil)
  • Sylvie Servoise (Le Mans-Université)

 

Les propositions de communication, de 1500 signes (espaces compris), assorties d’une brève présentation bio-bibliographique, sont à envoyer à Sylvie Servoise (sylvie.servoise@univ-lemans.fr) avant le 30 octobre 2018. Elles seront examinées par les membres du comité scientifique et les réponses seront adressés fin novembre 2018.