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Écrire l’animal pour le spectacle vivant en France. XIXe-XXIe s. (Valence, Espagne)

Écrire l’animal pour le spectacle vivant en France. XIXe-XXIe s. (Valence, Espagne)

Publié le par Marc Escola (Source : Ignacio Ramos Gay)

Écrire l’animal pour le spectacle vivant en France (XIXe-XXIe siècle)

Valence, 3-4 décembre 2018

“Exit pursued by a bear”. Celle qui constitue probablement l’une des plus célèbres indications scéniques relatives à la présence d’un animal sur scène, résume à elle seule toute une série d’interrogations textuelles liées à la difficulté d’écrire un élément vivant, non humain, pour le théâtre. Même si on ne saurait affirmer que William Shakespeare utilisa un animal réel pour la mise en scène (et ce, en dépit de la proximité de The Globe avec le bear-pit de Southwark), la large gamme de formats déployés pour faire monter sur les planches le fameux ours conçu par le Barde pour la scène 3 du troisième acte de The Winter’s Tale révèle que la mise en scène d’un animal représente non seulement un tour de force de créativité pour le metteur en scène, mais aussi pour l’écrivain. Que ce soit par le biais d’animaux vivants, empaillés, incarnés par un homme, pantomimiques, mécaniques, reconstruits de manière imaginaire au moyen d’ombres et de sons, conceptuels ou audiovisuels, mettre un animal en scène est tout un défi qui transcende le purement littéraire. Comment écrire un animal non humain pour rendre compte de sa présence dans un spectacle vivant ? Quels sont les recours verbaux et non verbaux à conjuguer pour sa visualité et pour déterminer son comportement sur scène ? Est-il possible et/ou nécessaire de narrer le comportement d’un animal sur les planches ?

La nature synthétique de la didascalie shakespearienne citée ci-dessus rend compte du vide linguistique auquel les dramaturges condamnent habituellement l’animal scénique. Le fameux piège lexical identifié par Derrida dans L’animal donc je suis (à suivre) (1999) va bien au-delà, dans le contexte des études théâtrales, du colonialisme institutionnel et réductiviste imposé par l’homme aux autres espèces animales, à travers le langage. Que ce soit en raison de la difficulté matérielle de trouver un animal qui réponde avec exactitude aux indications prévues par l’auteur, de son inhérente imprévisibilité, du peu d’intérêt que génère sa transposition lexicale, parce que l’usage d’un langage verbal écrit se révèle insuffisant (voir inadéquat) par rapport à la transposition visuelle de l’être vivant, ou à cause de la liberté concédée au metteur en scène vis-à-vis du texte écrit, l’animal non humain affiche un parcours linguistique limité dans le théâtre, sa textualité apparaissant toujours résiduelle ou incomplète. Partant, il convient de récupérer, trouver, ou créer un langage nouveau pour l’animal scénique qui rende compte de la richesse de sa présence. Peut-être le terme derridien « animot », s’engage-t-il dans cette voie.

Si elles occupent encore une place marginale dans les études animales, les recherches sur la performativité de l’animal scénique revêtent un intérêt critique indéniable, comme en témoignent les travaux des deux dernières décennies effectués, dans le contexte francophone, par Anne Simon (2011, 2012) Hélene Jacques (2009) ou Stéphanie Nutting (2013) et, dans le domaine anglophone, par Alan Read (2000), Nicholas Ridout (2006), Una Chaudhuri (2007), Peta Tait (2011) et Lourdes Orozco & Jennifer Parker-Starbuck (2015). Malgré tout, analyser la manière dont est configuré l’animal vivant de théâtre dans un texte littéraire constitue aujourd’hui encore tout un défi critique à relever, peut-être enceint, il est vrai, dans un paradoxe : en effet, comment fixer par le biais de mots ce qui, en essence, est spontané et transitoire. Ce colloque vise à proposer une réflexion sur la manière dont l’animal vivant mis sur les planches a été textualisé pour la scène en France, depuis l’apogée de l’industrie théâtrale du XIXe siècle jusqu’à nos jours, ainsi que sur la manière dont s’est opérée la transposition du texte à la représentation.

L’amplitude du cadre chronologique s’explique tout d’abord par le besoin de rendre compte de la diversité des modes de représentation scénique des différentes espèces animales eu égard à leur limitation textuelle. Au cours des deux derniers siècles, les animaux non humains, réels ou non, tels que les chiens, les chevaux et les oiseaux de toute sorte tiennent une place prééminente sur les planches, sans oublier des espèces moins habituelles sur scène, comme les brebis, les éléphants et les cochons. On pourrait citer Le chien de Montargis, de Pixérécourt (1814), La pie voleuse, de Théodore Baudouin d’Aubigny et Louis-Charles Caigniez (1815), Jokko ou le singe du Brésil, d’Edmond Rochefort (1821), Mazeppa ou le cheval tartare, de Léopold et Cuvelier (1825), L’éléphant du roi de Siam, de Léopold (1829), Les éléphants de la pagode, d’Amable de Saint-Hilaire et Anicet Bourgeois (1845), parmi le cortège de mélodrames, d’hippodrames et de pantomimes zoologiques qui peuplèrent les scènes du XIXe siècle. Plus récemment, les spectacles de Bartabas, oscillant entre le cirque et la danse, les postures apocalyptiques de Jacques Rebotier (Contre les bêtes, 2008) et les animaux imaginaires de Matéi Visniec (Du pain, plein les poches, 2004 ; Théâtre décomposé ou l’homme-poubelle, 1996), Valère Novarina (Le discours aux animaux, 1987) ou Sybille Berg (Chien, Femme, Homme, 2012), en passant par le coq Chantecler dans l’œuvre éponyme d’Edmond Rostand (1910), la lecture religieuse des animaux de Marcel Aymé dans Clérambard (1950), ou les brebis paniques de Fernando Arrabal dans Le jardin des délices (1969), attestent que le bestiaire théâtral est aussi étendu que sa représentation est complexe. La diversité des supports qui s’évertuent à fixer leur présence – textes littéraires, gravures et illustrations, programmes, tournages audiovisuels, etc. – témoignent de la difficulté d’une telle entreprise, en mettant en exergue le recours obligé à des mécanismes qui vont au-delà du texte écrit.

Dans un second temps, un cadre temporel qui s’étend sur deux siècles permet d’analyser comment l’usage d’un dispositif théâtral déterminé met en évidence une évolution tant de la conceptualisation de l’animal que de la sensibilité du public à l’égard de celui-ci, toutes deux susceptibles de modifier les pratiques scéniques employées dans leur représentation face au public, ainsi que dans leur transcription textuelle. Face à des postures plus traditionnellement anthropomorphiques et logocentriques – des humains qui incarnent physiquement des animaux non humains, des animaux non humains dotés d’un discours articulé humain –, il faut se demander si, aujourd’hui, la textualité de l’animal scénique se montre insuffisante pour développer sa complexité éthologique et si, en conséquence, l’exercice d’écriture lui-même n’est rien de plus qu’un mode supplémentaire de domination et de soumission spéciste de la part de l’homme à travers l’art. Partant, il conviendra de poser dans quelle mesure la manière d’écrire l’animal pour la scène traduit le regard éthique que la société a cristallisé sur lui. Les récentes propositions en mode conceptuel abondent sur le besoin d’accorder une plus grande liberté scénique à l’animal non humain. Comment cette liberté (et imprévisibilité) se marie-t-elle sur les planches avec l’écriture dramatique ? Comment capturer au moyen de l’art l’animal en liberté ? S’inscrivant dans le tournant post-humaniste qui a marqué les deux dernières décennies, ce colloque propose donc une réflexion autour de la nécessité de chercher un nouveau langage cynégétique ou éthologique qui traduise plus précisément la présence d’un animal vivant, non humain, sur les scènes.

Ce colloque est le premier d’une série de journées d’études organisées à l’Université de Valencia autour du projet de recherche « Animal et spectacle dans le théâtre français actuel (1979-2016) : zooscénographie de l’acteur non humain », financé par le Ministère espagnol de l’Économie, de l’Industrie et de la Compétitivité (Référence FFI2017-83475-P).

Les propositions de communication, en français, sont à envoyer à Ignacio.Ramos@uv.es et à Claudia.Alonso@uv.es avant le 15 octobre 2018. Elles comprendront un résumé (500 mots maximum), ainsi qu’une brève note bio-bibliographique et 5 mots clés.