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Appels à contributions

"Fabriquer les mémoires". Journées des doctorant.e.s de l'École Doctorale Pratique et Théories du Sens (Paris 8)

Publié le par Marc Escola (Source : Natacha D'Orlando)

Appel à communications pour la Journée des Doctorant.e.s 2017
Université Paris 8, Vincennes-Saint-Denis
École Doctorale 31 « Pratiques et théories du sens »

 

« Fabriquer les mémoires »
Pour la neuvième année consécutive, l' École Doctorale 31 « Pratiques et théories du sens » propose une Journée des Doctorant.e.s, organisée par un comité de doctorant.e.s. Elle aura lieu le 6 juin 2017, et portera sur le thème : « Fabriquer les mémoires ». 


PRÉSENTATION
 Les événements historiques et les bouleversements idéologiques du XXème siècle ont ouvert, à partir des années 1970, un « moment-mémoire » dont les effets s’appliquèrent à tous les champs de la pensée et de la création. Témoignage de cette prolifération, les locutions composées à partir du terme se multiplient : on parle désormais de « devoir de mémoire », de « lieux de mémoire » ou encore de « travail de mémoire », tandis que les maisons d’édition font une part de plus en plus importante aux témoignages quasi directs d’acteurs et de victimes de l’histoire (Paroles de Poilus, Paroles d’étoiles, Paroles d’avortées). La mémoire devient un enjeu-clé des politiques nationales et internationales, un terrain de conflit où les acteurs publiques et les législateurs sont tenus de prendre position, en témoignent les débats autour des lois mémorielles, en France, pendant les décennies 1990-2000.
    Lorsque Saint-Augustin, qui définit la mémoire comme le « présent du passé », utilise l’image de l’entrepôt où se déversent et se conservent des trésors d’images et de réflexions, il semble envisager le processus mémoriel uniquement en termes de conservation, puis de restitution d’éléments appartenant au passé. Pourtant, les conflits de mémoire, les interprétations et représentations divergentes d’un même événement semblent contredire cette conception et nous indiquent qu’il y a toujours une intervention individuelle, institutionnelle ou étatique donnant forme et sens à ce passé, et que chaque passé est susceptible d’être mémorisé (mis en forme pour devenir mémoire) différemment selon les individus ou groupes et leurs intérêts propres. Ainsi, la mémoire dépend d’abord d’un processus, conscient ou inconscient, volontaire ou involontaire, de fabrication, elle relève d'un dispositif (au sens foucaldien), d’un ensemble de pratiques, discours, mesures, institutions qui lui donnent forme et la distinguent du rêve, de l’imagination ou du mythe. La mémoire se définit donc sur trois plans inséparables: comme l’action, volontaire ou involontaire, de se remémorer, comme le produit de cette action et, enfin, comme un processus, impliquant des transformations psychiques hétérogènes chez le sujet ou le groupe mémorisant. Le passé n’est jamais, nous apprend Maurice Halbwachs, conservé par la mémoire, il est toujours reconstruit à partir du présent. Aussi le processus de fabrication de la mémoire peut-il être d’abord convoqué comme un outil d’analyse du présent, de ses codes, ses valeurs et ses enjeux, par opposition à l’histoire définie par Marie-Claire Lavabre comme une opération intellectuelle vouée à « instituer une distance entre le passé et le présent » et éviter l’anachronisme.
Les fabriques de la mémoire sont multiples, de l’inconscient individuel reconfigurant ses souvenirs à la structure étatique qui régit les mémoires officielles, en passant par le laboratoire de l’artiste qui fournit des représentations du passé susceptibles de s’inscrire dans les mémoires collectives. Cette fabrication mémorielle peut être saisie de deux manières, axiologiquement opposées. Manipulation des souvenirs d’un.e patient.e par son analysant.e, d’un collectif par ceux qui le gouvernent (ou désirent le gouverner), la fabrication mémorielle peut se présenter comme un outil de falsification, d’occultation ou de contrôle des croyances sur le passé. Elle représente alors un puissant et dangereux « capital de pouvoir » (Nora, 1979). A l’inverse, la fabrication de la mémoire peut être un terrain d’expérimentation pour l’artiste produisant des mémoires fictives et introduisant volontairement du flou dans la distinction entre des éléments de réel et des éléments de fiction, ou un espace de revendication pour les groupes qui s’unissent ou se réunissent autour de la mémoire totémique qu’ils travaillent à ériger. La dualité de ce processus est à la fois accentuée et reconfigurée par l’apparition de nouveaux outils numériques, Internet passant à la fois pour un moyen d’ouvrir au plus grand nombre les outils mémoriels, un espace de libre contestation des récits historiques hégémoniques et le vecteur d’une parole incontrôlée, où histoires et mémoires peuvent être manipulée à des fins complotistes. Cette proposition a vocation à interroger l’ensemble du processus de fabrication mémorielle, ses divers acteurs, ses conditions, ses conséquences et les logiques qui le sous-tendent. 


AXES
1.    Fabriquer les mémoires, construire l’oubli
Le processus de fabrication mémorielle s’accompagne d’un processus de sélection : certains éléments du passé sont mémorisés tandis que d’autres sont occultés, refoulés, voire interdits. Cet axe s’intéressera à tout ce qui est capable de modifier la réalité interne d’un sujet ou d’un groupe lorsqu’il s’agit de convoquer leur ou la mémoire. Pour comprendre ce processus de fabrication par l’oubli, il conviendra d’analyser les motivations derrière le rejet, volontaire ou involontaire, de certains éléments du passé au-delà des frontières mémorielles, dans un lieu où ils sont susceptibles de disparaître : refoulement individuel d’un passé traumatique, non-transmission de mémoires minoritaires, disparition des souvenirs et traditions de peuples exterminés ou occultation de souvenirs polémiques pour pacifier l’espace public (notamment dans le cas des politiques d’amnistie).


2.    Mémoires machiniques
A l’ère du numérique, la mémoire peut se construire en usine, se stocker sur disque, se mesurer en giga-octets et s’acheter pour quelques pièces ou plusieurs millions. A première vue, la machine, à moins d’un dysfonctionnement technique, met l’humain à l’abri de tout « trou de mémoire ». Mais cette mémoire devient aussi l’inquiétante hypermnésie du big data qui recueille et monétise les informations personnelles, forçant l’humain à établir des recours juridiques pour défendre son « droit à l’oubli » ou des outils numériques pour mettre ses données à l’abri. Cette nouvelle donne mémorielle confronte les vecteurs traditionnels de mémorisation à la question de leur possible caducité, mais révèle en même temps la particularité de la mémoire mise en forme par l’histoire, la littérature ou l’art par rapport à cette « super-mémoire » technologique.


3.    Refaire la mémoire
Quand se dresse, entre le passé et celui ou celle qui veut lui donner forme et sens, l’écueil de l’oubli ou de représentations partielles ou erronées, la fabrication mémorielle se veut correction, refabrication d’une mémoire hégémonique jugée insatisfaisante C’est ainsi que se fabriquent et s’affirment des contre-mémoires susceptibles de passer par tous les vecteurs traditionnels de mémorisation, mais aussi par de nouveaux vecteurs plus libre d’accès, dans le cas d’Internet. Le concept de post-mémoire traduit ce travail de reconfiguration d’une mémoire par des individus qui n’ont pas été eux-mêmes témoins des traumatismes historiques qu’ils ont pourtant mémorisés (Hirsch, 2012). Cette refonte mémorielle questionne les méthodes de recherche et de création : comment, par exemple, retracer l’histoire des peuples exterminés et en transmettre la mémoire quand ces peuples ont pu ne laisser aucune des traces que les historien.ne.s utilisent comme sources dans leurs travaux ? Les œuvres littéraires et artistiques sont-elles parfois les seuls recours pour construire une mémoire semi-fictive à laquelle le destinataire serait capable s’identifier ? Sur le plan individuel, il s’agira aussi d’envisager les voies possibles pour guérir les phénomènes amnésiques, conçus comme des déplacements du souvenir dans un lieu où il semble inaccessible.


4.    Fictions de la mémoire
S’il y a toujours reconfiguration de l’événement lorsqu’il est intégré dans les mémoires, il conviendra de s’intéresser aussi aux cas où la mémoire créé des souvenirs à partir d’un passé inexistant. A l’échelle individuelle, les neuroscientifiques connaissent les moyens de manipuler la mémoire et de faire accroire certains faits comme appartenant au vécu d’un individu, ce que les psychanalystes expérimentent aussi en constatant les faux souvenirs (retrouvés ou induits) de certain.e.s de leurs patient.e.s, et que la justice doit considérer comme une hypothèse pour juger certaines plaintes. A l’échelle collective, on nomme « effet Mandela » un souvenir collectif erroné, élaboré conjointement et indépendamment par plusieurs individus isolés (dans le cas qui donne son nom au phénomène, une retransmission de l’enterrement de Nelson Mandela dans les années quatre-vingt, dont plusieurs témoins assurent avoir un souvenir net et précis). Ces mémoires fictives constituent enfin un genre littéraire à part entière, parfois de manière non-assumée et trompeuse, parfois comme un jeu assumé et signalé avec les codes de la représentation et de l’illusion narrative.


5.    Usages et abus de la mémoire
Les enjeux entourant ces questions sont d’autant plus grands que la mémoire apparaît comme un socle sur lequel se construisent individus, communautés et nations. Pour l’enfant, la mémorisation est un élément central de la construction subjective, une faculté qui s’acquiert par l’éducation et conditionne la conscience de soi. Les structures étatiques ou institutionnelles, travaillent aussi à donner forme à une mémoire collective unifiée et socialement partagée à travers des politiques éducatives, lois mémorielles, monuments commémoratifs, fêtes patriotiques ou canonisation de figures historiques. Du fait de son caractère affectif et passionnel, elle est un terrain propice à des conflits pour la mise en place d’une interprétation hégémonique du passé, et est régulièrement convoquée comme « un instrument de pouvoir aux mains des manipulateurs de la politique » (Nora, 1979), une fable façonnée pour servir les ambitions d’acteurs de la vie publique. Souvenir des conséquences tragiques d’événements du passé, la mémoire peut aussi être prise comme un modèle pour agir dans le présent, une connaissance lucide censée empêcher que l’histoire ne puisse se reproduire à l’identique. 


MODALITÉS DE SÉLECTION
Les propositions seront sélectionnées par un comité scientifique composé des membres du bureau de l’École Doctorale 31 « Pratiques et théories du sens ». 
La proposition de communication (rédigée en Times New Roman 12, interligne 1,5 et en format .doc ou .odt) devra contenir :
-Un résumé de la communication en 1500 caractères maximum.
- Le titre de la communication.
-Une bibliographie indicative.
Elle devra être accompagnée des coordonnées du/ de la doctoran.t.e (nom, prénom, email, établissement et discipline d’inscription), à faire figurer dans le mail uniquement. 
La durée de la communication est fixée à 20 minutes. 


CALENDRIER
Les propositions peuvent être envoyées jusqu’au vendredi 14 avril 2017 inclus.
Les réponses seront envoyées à partir du mardi 18 avril 2017. 
La Journée des doctorant.e.s aura lieu le mardi 6 juin 2017. 


CONTACT
Les membres du Comité d’Organisation de la Journée des doctorant.e.s 2017 sont : 
Tiphaine Catalan
Azadeh Dalir-Naghinia
Guadalupe Deza
Natacha d’Orlando
Christelle Etoundi
Raphaël Horrein
Nedjma Khelifi-Otmane
Vu Hung Nguyen 
Daniel Schug
Zsófia Szatmári

Pour toute information ou renseignement complémentaire : ed31.jdd@gmail.com