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Formes fixes et identités noires (Paris)

Formes fixes et identités noires (Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Pierre Leroux)

Formes fixes et identités noires

Paris, les 15 et 16 juin 2018

 

Si les versets senghoriens et les vers blancs de Langston Hughes conditionnent en grande partie la réception de ces grands mouvements que sont la Négritude et la Harlem Renaissance, la question de la contrainte poétique est loin d’être anecdotique. L’émergence et la construction d’identités noires, qu’elle se fasse en Afrique, aux Antilles ou en Amérique du Nord, s’est en effet accompagnée de débats esthétiques et formels houleux. Pour des auteurs forcés de se positionner en fonction d’une tradition blanche, le choix, notamment, du sonnet élisabéthain ou pétrarquiste se charge d’un lourd poids symbolique.

Le doudouisme en Martinique, tout comme les vers publiés dans certaines revues coloniales, témoigne d’une première approche qu’il nous semble essentiel de questionner. Il s’agit pour ces auteurs aujourd’hui largement oubliés de prouver, par un classicisme rigoureux, leur attachement à la langue du dominant. La forme fixe représente alors, en raison même de ses possibles lourdeurs académiques, une élévation sociale et la perspective d’une intégration à une culture de l’élite. Le poète afro-américain Countee Cullen s’inscrit dans cette perspective lorsqu’il souhaite que ses sonnets puissent figurer dans n’importe quelle anthologie de poésie américaine, sans que l’on puisse lui attribuer une identité noire. A ce premier positionnement qui fait de la forme fixe un signe de conformité, s’opposent des auteurs qui, assez logiquement, refusent cet héritage au nom d’une spécificité culturelle. Langston Hughes, mais aussi Aimé Césaire quand il répond à Aragon, perçoivent la fixité de la forme comme un carcan dont il faut se séparer. Se lançant dans des polémiques parfois violentes, ces poètes semblent prendre la forme fixe comme un prétexte pour réactiver des questions plus politiques, qu’il s’agisse de droits civiques ou de lutte contre le colonialisme. On pourra également évoquer le rapport aux formes fixes des poètes du Black Arts Movement nord-américain.

La question de la forme ne se limite cependant pas à un affrontement entre adhésion enthousiaste et rejet brutal. L’utilisation de formes alternatives non-européennes ne doit pas être négligée, et le sonnet lui-même ressurgit dans des textes qui proposent une véritable appropriation. Quand Winston McKay, notamment, adapte le sonnet à la défense du droit des Noirs, il se détache de la fascination pour le romantisme ou la période élisabéthaine afin de s’approprier poétiquement la forme associée à son oppresseur. D’autres, comme le Congolais Tchicaya U Tam’si ou le sénégalais Birago Diop, retracent dans leur premier recueil un parcours formel qui part d’un sonnet liminaire d’inspiration verlainienne pour aboutir enfin au vers blanc (Diop) ou au poème en prose (Tchicaya). Comment cette mise en scène doit-elle être interprétée ? La forme fixe est en effet à la fois exhibée et reniée comme une errance, une erreur de jeunesse ayant tout au mieux valeur de témoignage. De même, le parcours de Gwendolyn Brooks témoigne d’un abandon de la forme fixe, et en particulier du sonnet, manié avec virtuosité dans ses premiers recueils, A Street in Bronzeville ou Annie Allen, mais qui disparaît de son œuvre ultérieure.

Le problème ne se pose pas dans les mêmes termes pour les littératures en langues africaines ou en dialectes qui peuvent reposer sur des formes fixes spécifiques. Le cas de la poésie swahilie est à ce sujet révélateur d’une dynamique bien différente de la poésie occidentale contemporaine. La querelle du vers libre qui traverse l’espace tanzanien des années 1960 et 1970 mobilise ainsi des enjeux tant culturels et politiques que linguistiques : « Lorsque le poète de l’île de Lamu, Haji Gora, compare les genres classiques en vers à des barques de pêcheurs qui permettent à la poésie de ne pas se défaire dans la mer tumultueuse de la langue, il ne part pas des mêmes prémices que les jeunes poètes de Dar es Salaam, qui tablent sur une langue standardisée, aux règles et au lexique stabilisés, pour composer leurs vers libres. » (Garnier, Bourlet, p. 294)

Enfin, parmi les dernières générations de poétesses et poètes noir-e-s-américain-e-s, l’usage de la forme fixe, et en particulier du sonnet, connaît un renouveau et un succès certains : auteures de sonnets, Rita Dove et Natasha Trethewey sont nommées Poet Laureate pour le Congrès des États-Unis d’Amérique, en 1993 et 2012. Sous différentes acceptions, la forme permet également de sonder l’histoire noire-américaine (A Wreath for Emmett Till, de Marylin Nelson) ou de l’associer à sa musique (on pense en particulier aux tentatives de Yusef Komunyakaa d’allier formes fixes et jazz).

Notre réflexion, qui se développera sur le temps long (XXème – XXIème siècles) et des aires géographiques diverses (espaces africains et caribéens, identités noires américaines ou européennes), pourra ainsi s’étendre à d’autres formes de création artistique. La performance et le travail autour de la forme musicale – jazz, rumba, slam – nous semble pouvoir occuper une place de choix. Des études spécifiquement consacrées à un-e auteur-e seront aussi bien acceptées que des panoramas.

La perspective que nous souhaitons adopter pour considérer la place du débat poétique dans la constitution d’identités noires se veut résolument comparatiste et transdisciplinaire. Un soin tout particulier sera accordé à l’articulation, en poème ou en discours, entre constitution d’identités spécifiquement noires et usage ou prohibition des formes fixes.

 

Bibliographie indicative

Mélanie Bourlet et Xavier Garnier, « Trois enjeux de la poésie écrite en langues africaines », Po&sie n°153-154, Belin, 2016.

Aimé Césaire, « Sur la poésie nationale », Présence Africaine, n°4, octobre-novembre 1955, pp.39-41.

Anne Douaire-Banny, « “Sans rimes, toute une saison, loin des mares.” Enjeux d'un débat sur la poésie nationale. », À la littérature… Écritures, théories de la littérature et enseignement des lettres, disponible en ligne (URL : http://pierre.campion2.free.fr/douaire_depestre&cesaire.htm#_ftnref, mise en ligne le 20 mai 2011, dernière consultation le 4 janvier 2018).

Abiola Irele, « Négritude – Literature and Ideology », The Journal of Modern African Studies, 3, 4 (1965), p. 499-526.

Keith D. Leonard, Fettered Genius: the American bardic poet from slavery to civil rights, Charlottesville, Londres, University of Virginia Press, 2006.

Dambudzo Marechera, « The African Writer’s Experience of European Literature », in Flora Veit-Wild, Dambudzo Marechera : A Source Book on his Life and Work, Londres, Hans Zell Publisher, pp. 361-367.

D.B.Z. Ntuli, The Poetry of B.W. Vilakazi, Pretoria, J.L. van Schaik, 1984.

Jeff Opland, Xhosa Oral Poetry: Aspects of a Black South African Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1983.

Jean-Paul Sartre, « Orphée Noir », dans Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, dir. Léopold Sédar Senghor, Paris, PUF, 2015 (1948), ppIX-XLIV.

The Harlem renaissance, dir. Cary D. Wintz, vol.2, The politics and aesthetics of "new negro" literature. New York, Garland, 1996.

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Les propositions de communication (300 mots maximum) accompagnées d’une brève bio-bibliographie sont à adresser avant le 1er mars 2018 aux trois adresses suivantes : ths.vuong@gmail.com, pierr.leroux@gmail.com, liess.benlalli@orange.fr.

Les réponses seront adressées aux contributeurs dans la première moitié du mois de mars.

Les Journées d’Études auront lieu à Paris, les 15 et 16 juin 2018.

Comité d'organisation: 

Liess Benlalli (Paris 13 / Pléiade)

Pierre Leroux (Paris 3 / CERC-THALIM)

Thomas Vuong (Paris 13 / Pléiade)