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Images au quotidien / Images du quotidien (revue Mise au point)

Images au quotidien / Images du quotidien (revue Mise au point)

Publié le par Emilien Sermier (Source : Sarah Leperchey)

Images au quotidien / Images du quotidien

Notre rapport aux images en général, et aux images en mouvement en particulier, est devenu extrêmement familier et quotidien[1]. Le smartphone emblématise cette évolution : écran nomade, appareil connecté, il permet d’avoir accès en permanence à tous types de produits audiovisuels – en les « tenant » au creux de la main. En outre, une réversibilité technique rend possible aussi bien le visionnage que la production des images : les conditions de leur lecture et de leur enregistrement sont réunies sur le même appareil. Il faut enfin tenir compte d’une troisième relation aux images que permet cette technologie numérique couplée à celle du web, celle de pouvoir mettre en circulation des images (autoproduites ou non) – et ce, instantanément, sans dépendre d’aucun intermédiaire.

Ces nouvelles formes d’expériences méritent d’être mises en relation avec une fascination croissante pour la vie quotidienne qui a marqué la vie culturelle de ces trente dernières années, donnant lieu à des œuvres nombreuses et variées, se situant au croisement de différents genres et de différents médias[2]. Dès lors, il semble intéressant de se pencher sur les productions audiovisuelles récentes qui se consacrent à la question du quotidien, en les interrogeant à plusieurs niveaux : comme pratique de production, comme représentation et/ou objet de médiation, et comme modalité de réception. Ce questionnement pourra également s’appuyer sur l’analyse de productions moins contemporaines, afin de mettre en valeur des variations et des reconfigurations possibles dans la prise en charge du quotidien par les images animées et sonores.

Le quotidien relève à la fois de l’évidence et de l’énigme[3]. La notion soulève plusieurs problèmes, et notamment celui de savoir si, dans les œuvres étudiées, le quotidien se définit comme un contenu (à savoir un certain type d’activités et de situations qui reviennent chaque jour), s’il constitue une forme d’expérience (et dans ce cas on le pensera à travers des concepts comme le familier, l’évident, la sérialité, le générique, etc.) ou encore s’il se présente comme l’héritier de traditions narratives ou discursives préalables aux médias audiovisuels (chronique, journal intime, biographie, etc.). De façon surprenante, malgré son caractère banal, ordinaire, insignifiant, le quotidien donne lieu, lorsqu’il est saisi ou construit par les images et les sons, à une grande pluralité formelle, énonciative, narrative et générique. Cette profusion fait d’ailleurs apparaître une tension entre les enjeux de la représentation et ceux de la médiation par les images audiovisuelles. Dès lors, une façon d’aborder la question consiste à se demander si les spécificités du dispositif cinématographique et du dispositif audiovisuel les rendent – ou non –  particulièrement aptes à saisir, capter et restituer quelque chose de la vie quotidienne. De même, on peut s’interroger sur les caractéristiques de certains genres ou certains médias, en pointant que certains d’entre eux paraissent plus propices que d’autres à relater ou représenter l’existence ordinaire.

Du point de vue de la création artistique, l’un des problèmes les plus intéressants consiste à analyser les formes qui s’inventent autour de la représentation du quotidien : l’énumération (la liste, l’inventaire), le travail du rythme (à travers les cycles journaliers, les jeux de répétition), les flux (le passage des heures, le vide et le plein, la circulation urbaine), l’étude des gestes et du mouvement des corps, et l’étude des échanges verbaux ritualisés. On peut aussi se demander ce que les films et les productions audiovisuelles nous disent de notre vie de tous les jours[4]. Notons que, si l’on admet plus facilement qu’un quotidien filmé, reconstitué ou « capturé » par des dispositifs optiques puisse satisfaire des enjeux documentaires ou référentiels, ceux-ci ne sont nullement exclusifs. En effet, que signifie le fait d’accorder une place de choix à l’existence ordinaire dans le champ de la fiction – qu’elle soit unitaire ou sérielle ? Que cela révèle-t-il des rôles sociaux des récits audiovisuels, sans oublier les attendus qu’on projette, à une époque donnée, sur ce champ de la fiction imagée ? Nous pouvons également nous interroger sur l’existence de spécificités – ou non – du quotidien au sein des domaines cinématographiques, télévisuels ou encore audiovisuels numériques (YouTube, par exemple). Autrement dit, le quotidien peut-il être discriminé par des logiques et dispositifs médiatiques distincts ? Est-il unique ou pluriel ? Commun ou différencié ?

En ce qui concerne les questions de production et de diffusion, deux pistes principales s’ouvrent à la réflexion. La première est d’interroger les enjeux d’une pratique filmique quotidienne : qu’est-ce qu’implique le fait de filmer au quotidien ? On pense ici, bien sûr, à la pratique historique du journal filmé, mais aussi aux internautes qui choisissent de (se) filmer jour après jour, et de partager leur vie en mettant en ligne les vidéos qu’ils ont réalisées, par exemple sous forme de vlog. Et cette contrainte quotidienne qui pèse sur la production peut se retrouver également opérante dans le champ cinématographique en tant que principe créatif délibéré. Une deuxième piste questionne la quotidienneté en tant que critère temporel de diffusion des images, des films et autres émissions. C’est la notion de programmation  qui se retrouve au cœur de cette construction du quotidien par les médias audiovisuels et avec elle, le modèle de mise à disposition des émissions et des œuvres auprès des publics. Avec ce qu’il convient d’appeler la « délinéarisation » rendue possible par les plateformes, la VOD ou encore le replay, le modèle du rendez-vous quotidien est-il pour autant frappé d’obsolescence ? Comment se reconfigure-t-il ?

On en arrive ainsi à la question de la réception : quels sont les rapports que les téléspectateurs entretiennent avec un contenu audiovisuel qu’ils regardent quotidiennement ? Comment penser la façon dont le quotidien du téléspectateur et le quotidien représenté au sein de l’émission télévisée s’articulent et se superposent ? Dans la même perspective, on peut aussi analyser les liens qui se nouent entre un spectateur et les séries qu’il regarde (séries qui bien souvent offrent un spectacle du quotidien, mais un quotidien ancré dans des univers qui, eux, ne sont pas familiers, sont de l’ordre de l’exotique plutôt que de l’« endotique »[5]). La question de la réception offre enfin une piste particulièrement intéressante, qui consiste à se demander comment, à travers ses pratiques quotidiennes, le spectateur (ou le téléspectateur, ou l’internaute) « bricole » avec les contenus qui sont mis à sa disposition[6].

Les contributions pourront porter aussi bien sur des films et des programmes de télévision que sur des vidéos mises en ligne par les internautes sur des blogs personnels ou des sites de partage comme YouTube ou Dailymotion. Michael Sheringham souligne le caractère interdisciplinaire de la pensée du quotidien[7]. La notion, en elle-même, nous invite à accueillir dans ce numéro des recherches issues de différentes approches des études cinématographiques et audiovisuelles, qu’il s’agisse d’approches ancrées dans l’esthétique et la philosophie, la sociologie, les sciences de l’information et de la communication, les cultural studies et gender studies, l’histoire ou, bien entendu, l’anthropologie.

 

 

Les contributeurs intéressés peuvent adresser un abstract de 250-500 mots, accompagné d’un bref CV, à Marie-France Chambat-Houillon : mfchambat@sfr.fr, Sarah Leperchey : sarah.leperchey@univ-paris1, et Barbara Laborde : barbara.laborde@unv-paris3.fr pour le 31 octobre 2018. Les articles complets seront à soumettre au plus tard le 1er mars 2019.

 

 

 

 

 

 

[1] André Gaudreault et Philippe Marion estiment notamment que la révolution numérique a débouché sur une « désacralisation » du cinéma. In La Fin du cinéma, Un média en crise à l’ère du numérique, Paris, Armand Colin, 2013, p. 208.

[2] Michael Sheringham parle ainsi d’une « remarquable explosion d’intérêt pour le quotidien qui a caractérisé la culture française à partir des années quatre-vingt », in Traversées du quotidien, Des surréalistes aux postmodernes, Paris, Presses Universitaires de France, collection « Lignes d’art », 2013, p. 18.

[3] De façon liminaire, Bruce Bégout définit par quotidien « tout ce qui, dans notre entourage, nous est immédiatement accessible, compréhensible et familier en vertu de sa présence régulière », in La Découverte du quotidien,  Paris, Allia, 2005, p. 37-38. En retour, Maurice Blanchot écrit dans « La parole quotidienne » que le quotidien est « ce qu’il y a de plus difficile à découvrir », in L’entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 355.

[4] « Les gens, en général, ne savent pas bien comment ils vivent », note Henri Lefebvre. In Critique de la vie quotidienne I. Introduction, Paris, L’Arche, 1958, p. 106.

[5] Le terme est emprunté à Georges Perec. In L’Infra-ordinaire, Paris, Seuil, 1989, p. 12.

[6] Pour Michel de Certeau, « les tactiques de la consommation, ingéniosité du faible pour tirer parti du fort, débouchent donc sur une politisation des pratiques quotidiennes ». In L’Invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, coll. « folio essais », 1990 [1980], p. XLIV.

[7] Traversées du quotidien, op. cit., p. 20.