Actualité
Appels à contributions
L'Accessoire d'écrivain au XIXe siècle : le sens du détail

L'Accessoire d'écrivain au XIXe siècle : le sens du détail

Publié le par Emilien Sermier (Source : Marine Le Bail)

Appel à communications

Colloque Jeunes Chercheurs PLH / ELH

Université Toulouse Jean Jaurès

« L’accessoire d’écrivain au XIXe siècle : le sens du détail »

11, 12, 13 octobre 2017

 

            La canne de Balzac, le gilet rouge de Théophile Gautier, la pipe de George Sand, la cape de toréador de Barbey d’Aurevilly, la barbe blanche de Victor Hugo, le homard de Gérard de Nerval…Ce bref inventaire à la Prévert nous invite à prendre toute la mesure de l’importance qu’a pu prendre, dans le « Grand Bazar » d’images, d’artefacts et de représentations constitutif du XIXe siècle, la notion d’accessoire, ici associée à la figure de l’écrivain.

            L’accessoire se caractérise d’emblée par une ambiguïté fondamentale. Sa définition même semble en effet le cantonner à la sphère du superflu et du secondaire, le maintenant dans une relation de stricte sujétion par rapport à un ensemble qu’il complète sur le mode de l’inessentiel : « accessoire », comme son nom l’indique, il se rapproche dès lors du détail ou de l’ornement, tandis que son caractère amovible ou transposable l’empêche de faire sens, pris isolément. Dans le même temps toutefois, l’accessoire est susceptible de représenter dans son intégralité l’ensemble auquel il est associé, suivant en cela une logique métonymique qui l’élève au rang de vecteur épistémologique privilégié. Néanmoins, l’accessoire ainsi placé au premier plan menace de s’émanciper de toute exigence de représentativité et de s’autonomiser au point de revendiquer une forme de gratuité, conduisant ainsi à un renversement complet des échelles et des hiérarchies.

            C’est précisément cette ambivalence constitutive de la notion d’accessoire, entre insignifiance et sur-signifiance, que ce colloque se propose d’explorer, en l’associant à la question de la progressive médiatisation de la figure de l’écrivain : nombre d’auteurs se montrent en effet de plus en plus soucieux, au cours du siècle, de promouvoir auprès de leur lectorat une image supposée renvoyer, par une forme de prolongement organique, à leur œuvre elle-même. Or, l’association plus ou moins délibérée ou subie d’un auteur avec un accessoire spécifique occupe précisément, par la cristallisation des enjeux représentationnels qu’elle autorise, une place de choix dans l’élaboration et la réception d’un certain ethos littéraire.

La réflexion pourra ainsi s’inscrire avec profit dans la continuité des recherches menées par José-Luis Diaz autour de la notion de « scénographie auctoriale », mais également de manifestations récentes explorant les diverses stratégies d’exposition, voire de surexposition, que l’essor de pratiques comme le photoreportage met en œuvre au cours de la période. Il sera par ailleurs pertinent de s’interroger sur le positionnement de l’accessoire d’écrivain en regard des autres « objets dérivés » – affiches, mais aussi bibelots divers – susceptibles d’être mis au service de la promotion publicitaire d’une œuvre, et étudiés il y a peu à l’occasion d’un colloque consacré par Marie-Ève Thérenty et Adeline Wrona aux « objets insignes, objets infâmes de la littérature ».

De ce fait, des sources plurielles, allant de l’article de presse au témoignage biographique ou autobiographique, en passant par divers types de documents iconographiques comme la photographie ou la caricature, seront susceptibles d’être mobilisées, dans une perspective interdisciplinaire vouée à faire dialoguer histoire culturelle, histoire de l’art, et histoire littéraire du XIXe siècle, à partir des axes suivants :

 

 

L’accessoire en régime médiatique

Le XIXe siècle marquant l’entrée de notre société dans ce que Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Eve Thérenty et Alain Vaillant ont appelé « la civilisation du journal », il sera fructueux d’interroger le traitement médiatique de l’accessoire et de voir comment l’outil de publicité que fut la presse a pu s’articuler aux stratégies auctoriales de promotion de soi. Le journal, dans ses affinités particulières avec la littérature, travailla en effet à la visibilité de la figure d’écrivain, figure particulièrement en vogue à partir des années 1830. Toutefois, la scénographie journalistique des célébrités littéraires fut partagée entre sacralisation et démythification. Par le portrait d’écrivain, le reportage ou encore l’interview – qui se développe dans la deuxième moitié du siècle, les journalistes manipulèrent l’accessoire, et à travers lui, l’image auctoriale, sous la direction ou à l’insu du principal intéressé. Objet de réclame ou, à l’inverse, instrument de caricature, l’accessoire acquiert, à travers le média journalistique, une représentativité spécifique à laquelle il convient d’être particulièrement attentif.

 

L’accessoire et la construction de l’ethos auctorial

Les écrivains du XIXe siècle peuvent utiliser l’accessoire pour promouvoir une identité auctoriale, non seulement dans les œuvres autobiographiques mais également dans les épitextes et péritextes (préfaces, manifestes, lettres, journaux intimes, etc.) qui programment ou infléchissent la réception de l’œuvre. Comme le rappelle José-Luis Diaz, le jeu littéraire moderne consiste à bousculer les images d’Epinal, les « prêt-à-être auteur ». Il sera donc pertinent d’examiner le rôle de l’accessoire dans l’élaboration d’une originalité auctoriale. Si l’accessoire rend lisible le rôle de l’écrivain sur la scène littéraire, il rappelle aussi, par sa fonction de pure représentation, qu’il ne s’agit que d’un rôle : le goût des accessoires affiché par le dandysme littéraire des années 1830 n’est-il pas une manière de tourner en dérision et de résister à la vedettarisation de l’écrivain qui ne peut échapper à la pose ? Plus tard, Barbey d’Aurevilly et Charles Baudelaire feront du dandysme une véritable « philosophie des apparences », donnant à l’artifice, et donc à l’accessoire, une souveraineté inédite.

 

 

L’accessoire, entre individuel et collectif

On pourra également envisager l’accessoire comme un instrument par lequel l’écrivain du XIXe siècle affiche une appartenance esthétique, idéologique ou sociétale, parfois aux dépens de sa singularité individuelle. Quand Théophile Gautier arbore son fameux gilet rouge lors de la première représentation d’Hernani, il se revendique membre du Cénacle hugolien et affirme son soutien à la révolution artistique prônée par ce dernier. Mais son accessoire a si bien fonctionné qu’il est devenu l’indice même du parti romantique dans la bataille d’Hernani, et ce au détriment de sa singularité d’écrivain : « c’est la notion de nous que nous laisserons à l’univers. Nos poésies, nos livres, nos articles, nos voyages seront oubliés ; mais l’on se souviendra de notre gilet rouge », constate Théophile Gautier à la fin de sa vie : s’il prétend gommer volontairement sa singularité par l’emploi du pronom nous, « dont le pluriel vague efface déjà la personnalité et vous replonge dans la foule » – « le je nous répugne », affirme-t-il –, il n’en exprime pas moins par là le caractère aliénant de tout ethos auctorial dans l’ère médiatique ouverte par le XIXe siècle. Il semble donc intéressant d’interroger cette ambivalence de l’accessoire qui met en jeu l’articulation entre l’individuel et le collectif, entre la singularité et la stéréotypie.

 

Accessoire et genre

Il sera enfin pertinent d’étudier la fonction de l’accessoire à travers le prisme du genre. Le XIXe siècle est le siècle du brouillage des identités sexuelles, du travestissement et de la pseudonymie. Comme Aurore Dupin alias George Sand avant elle, Marguerite Eymery, à la fin du siècle, adopte un pseudonyme masculin, Rachilde, et s’habille en homme, allant jusqu’à faire inscrire sur ses cartes de visite : « Rachilde, homme de lettres ». Ses chroniques au Mercure de France ne portent jamais la moindre marque grammaticale du féminin. Mais l’inversion des genres est également pratiquée par des hommes : l’écrivain Mérimée par exemple choisit de publier en 1825 son premier livre, Le Théâtre de Clara Gazul, sous le nom d’une femme. Nous pourrons ainsi nous interroger sur les choix qui poussent l’écrivain à adopter l’identité de l’autre sexe : de la stratégie publicitaire au pur plaisir de provocation, le brouillage des catégories sexuelles est aussi considéré par bon nombre d’écrivaines comme le seul moyen d’accéder à la même reconnaissance littéraire que les hommes. Il s’agirait donc de renier son statut de femme de lettres au profit d’un permanent masque masculin. Il semble alors que l’on puisse ranger la notion d’identité auctoriale dans la catégorie des accessoires. Mais d’un autre côté, peut-on vraiment réduire le changement d’identité à une simple « scénographie auctoriale » ?  Au-delà de la mise en scène de soi, l’androgynie de l’écrivain n’est-elle pas en réalité pur questionnement ontologique ?

 

Les jeunes chercheurs intéressés, doctorants ou docteurs ayant soutenu leur thèse depuis moins de trois ans, sont invités à décliner leurs propositions en fonction des axes donnés ci-dessus, sous la forme d’un titre accompagné d’un paragraphe d’une quinzaine de lignes à envoyer d’ici le 6 janvier 2017 à l’adresse suivante : colloque.accessoire.2017@gmail.com

 

Comité scientifique :

Lauren Bentolila-Fanon,

Charlène Huttenberger,

Janis Nassar,

Marine Le Bail

Bibliographie indicative :

 

  • Monographies, ouvrages collectifs, articles :

 

Jeu de masques. Les femmes et le travestissement textuel (1500-1940), études réunies par Jean-Philippe Beaulieu et Andrea Oberhuber, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2011.

Kalifa, Dominique, Régnier, Philippe, Thérenty, Marie-Ève, Vaillant, Alain, La civilisation de journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau monde éditions, 2011.

Le Magasin du XIXe siècle : les choses, José-Luis Diaz dir., n°2, Ceyzérieu, éd. Champ Vallon, 2012.

Usages de l’objet : littérature, histoire, arts et techniques, XIXe-XXe siècles, Marta Caraion dir., Seyssel, Champ Vallon, coll. « Détours », 2014.

« Le portrait photographique d’écrivain », Jean-Pierre Bertrand, Pascal Durand et Martine Lavaud dir., COnTEXTES [en ligne], 14 / 2014, https://contextes.revues.org/5904.

Dictionnaire du dandysme, Alain Montandon dir., Paris, H. Champion, 2016.

Le Petit musée de l’histoire littéraire, 1900-1950, Nadja Cohen et Anne Reverseau dir., [Bruxelles], les Impressions nouvelles, 2015.

Diaz, José-Luis, L’Écrivain imaginaire : scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, H. Champion, coll. « Romantisme et modernités », 2007.

Emery, Elizabeth, Le photojournalisme et la naissance des maisons-musées d’écrivains en France, 1881-1914, Chambéry, Université Savoie Mont-blanc, coll. « Écriture et représentation », 2015.

Natta, Marie-Christine, La grandeur sans convictions. Essai sur le dandysme, Éditions du Félin, 2011.

Pivert, Benoît, « Madame Rachilde, homme de lettres et reine des décadents », in Revue d’art et de littérature, musique, janvier 2006.

Reild, Mathilde, « Le roman de Rachilde », in La Revue de la Bibliothèque Nationale de France, Paris, éd. BNF, 2010, pp. 65-74.

Sanchez, Serge, La Lampe de Proust et autres objets de la littérature, Paris, éd. Payot & Rivages, 2013.

Wicky, Érika, Le Paradoxe du détail : voir, savoir, représenter à l’ère de la photographie, Rennes, PUR, coll. « Æsthetica », 2015.

 

  • Manifestations récentes :

 

Les Intérieurs de l’homme de lettres en vitrine : la vie littéraire sous l’angle de l’immobilier, Marie-Clémence Régnier et Margot Favart dir., journée d’études organisée dans le cadre de « L’atelier du XIXe siècle », SERD / Bibliothèque de l’Arsenal, 9 octobre 2015 (http://doct19serd.hypotheses.org/263).

Objets insignes, objets infâmes de la littérature, Marie-Ève Thérenty et Adeline Wrona dir., colloque international tenu à Paris du 19 au 20 novembre 2015, argumentaire scientifique disponible sur Fabula (http://www.fabula.org/actualites/objets-insignes-objets-inf-mes-de-la-litterature_67328.php).