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L’édition de création 1930-1970. Le grand illustré, et après ? (Paris)

L’édition de création 1930-1970. Le grand illustré, et après ? (Paris)

Publié le par Romain Bionda (Source : Anne-Christine Royère)

L’édition de création 1930-1970. Le grand illustré, et après ?

Journée d’étude organisée par Sophie Lesiewicz (BLJD/UMR Thalim) & Anne-Christine Royère (Université de Reims Champagne-Ardenne/CRIMEL) en partenariat avec la Bibliothèque de l’Arsenal

3 juin 2019, Bibliothèque de l’Arsenal

Lorsqu’en 1928 Raymond Hesse dresse le bilan des entreprises bibliophiliques en France, il note qu’un double mouvement de fond caractérise l’après Grande Guerre. D’une part « la bibliophilie prend une forme corporative[i] », de l’autre se développe une « édition de luxe » à visée commerciale pour des auteurs dont le succès de librairie pousse les éditeurs littéraires à réimposer le texte accompagné de figures[ii] . Dès lors, c’en est fini de la bibliophilie créatrice à la Octave Uzanne, « publication très dégagée des traditions et des préjugés typographiques et iconographiques[iii] » dont l’enjeu était de s’extraire du collectionnisme de la « grande bibliophilie rétrospective » comme de la « bibliophilie vénérante[iv] » promouvant un « panthéon littéraire alternatif[v] » ou classique. Le champ du livre de luxe qui liait éditeurs-bibliophiles, amateurs et médias autour de débats relatifs au livre moderne hors du secteur éditorial industrialisé se reconfigure ainsi dans les années 1920 puis se renouvelle suite à la crise de 1931 qui voit l’éclatement de la bulle spéculative du livre de luxe et la cessation d’activité d’un grand nombre d’éditeurs.

Commence alors ce que l’on considère comme l'âge d'or du « livre d'artistes » en France, de 1931 au début des années 1980, et plus particulièrement celui édité par des galeries (Louise Leiris, Jeanne Bucher, Maeght, Tériade, etc.) Celles-ci promeuvent le livre d’artistes « à la française[vi] », dont le caractère littéraire nettement affirmé n’allait pas de soi auparavant dans le livre à figures. Ainsi la production de livres de luxe reprend-elle à partir des années 1940, sollicitant non plus des décorateurs (Mucha, De Feure, Schmied et Miklos…) ou des illustrateurs (Lepère, Carlègle, Laboureur…) mais des peintres, ravivant par là même la hiérarchie des arts (exclusion des illustrateurs de métier), celle des modes de représentation (l’image l’emportant sur le texte) et de production éditoriale (exclusion du demi-luxe). À telle enseigne que dans la seconde moitié du XXe siècle, « cela devient alors comme un ornement obligé de la poésie d'être accompagnée des gravures de peintres. Il va presque de soi que peinture et poésie sont appelées à se retrouver sur les pages des livres, qui atteindraient ainsi à une dimension supérieure[vii] ». « Livres de peintre[viii] », auxquels « ne pourraient prétendre les illustrations réalisées par des artistes mineurs sur des œuvres en prose[ix] », « livres de dialogue » conçus comme la « rencontre entre un peintre et un poète qui est vécue selon un mode de nécessité inhérent à la passion partagée[x] » mais aussi « grands illustrés[xi] » ont ainsi donné lieu à des analyses aussi nombreuses que lumineuses, en convoquant surtout l’univers des galeries d’art. Certains producteurs moins flamboyants ou plus éphémères mériteraient à présent qu’on leur consacre un peu d’encre (les Blaizot, Jean-Hugues, Pierre Bordas, Brunidor).

Pour autant, le livre de création ne se résume pas à ce genre d’ouvrages. Il y a un « après », mais aussi un « autour » du « grand illustré ». À cet égard, l’innovation typographique initiée au XIXe siècle et introduite dans le livre de poésie par Mallarmé en 1897 est à l’origine d’un autre type de livre, le livre graphique[xii], ou lisible et visible jouent à se confondre. Après le déchaînement des avant-gardes, qui n’ont d’ailleurs pas forcément privilégié l’espace livresque, il connaît lui aussi un âge d’or, plus discret, à travers un nouveau type de producteur, le poète-typographe et éditeur, faisant de la typographie une des données de la littérarité du texte, voire une création littéraire à part entière (GLM, Bettencourt, PAB, Iliazd, Lecuire ou Vodaine). Cette configuration éditoriale se resserrant autour d’un homme-orchestre est en quelque sorte un prolongement du « livre d’écrivain[xiii] ». Depuis le second symbolisme, certains auteurs ont en effet eu tendance à particulièrement s’impliquer dans la réalisation matérielle de leurs livres (Jarry, Gide), jusqu’à occuper des fonctions éditoriales[xiv] pour investir le livre en artiste (Cendrars, Segalen, Cocteau). Il s’agirait de faire remonter des figures similaires et moins étudiées, Georges Hugnet et les Éditions de la Montagne, Robert Morel, mais aussi des groupes littéraires et artistiques peu envisagés sous l’angle de la bibliophilie par idéologie (le livre lettriste et situationniste, notamment).

Dans les années 1960, l’artist’s book traverse l’Atlantique pour devenir « livre d’artiste » au singulier : « L’artiste assume totalement la conception du livre dont il ne partage pas la responsabilité intellectuelle avec un écrivain[xv]. » Anne Moeglin-Delcroix a ainsi analysé une partie de cette vaste production éditoriale volontairement ordinaire, qui offre « aux artistes une solution à la crise de l’œuvre d’art au sens traditionnel du terme[xvi] ». Si le phénomène est bien connu, ses articulations avec le substrat français posent encore des questions. Il s’agirait d’une part d’interroger les « incunables » du livre d’artiste français, premiers témoins de cette appropriation du livre par les artistes (Paul Armand Gette, Ben Vautier…). Il s’agirait de l’autre de discuter le postulat selon lequel la théorie du texte et de l’histoire du livre sont hors du champ du livre d’artiste. La spécialiste américaine de la question, Johanna Drucker[xvii], propose une typologie du livre d’artiste après 1945 convoquant des avant-gardes, le surréalisme, CoBrA, le lettrisme, la poésie concrète, Fluxus et la poésie performance. Une production alternative semble en effet s’inscrire dans le double sillage des théories du texte et de l’intermedia (Collectif Génération, par exemple) tandis qu’une autre met en cause et en crise le livre, l’interroge, en procédant à sa réévaluation critique en tant que « forme symbolique[xviii] » prescriptive pour en explorer ou en détourner la forme objectale (Soleil noir, Brunidor).

 

Les propositions de communication (300 mots maximum) ainsi qu’une brève notice biobibliographique sont à envoyer avant le 5 décembre 2018 conjointement aux deux organisatrices du colloque :

Sophie Lesiewicz : sophie.lesiewicz@bljd.sorbonne.fr

Anne-Christine Royère : anne-christine.royere@univ-reims.fr

 

[i] Histoire des sociétés de bibliophiles en France, t. II, Paris, Giraud-Badin, 1931, p. 196.

[ii] Voir Raymond Hesse, « Les tendances nouvelles de la bibliophilie », Plaisir de bibliophile, gazette trimestrielle des amateurs de livres modernes, tome 4, 1928, p. 93.

[iii] « Bloc-notes d’un bibliographe », Le Livre moderne, t. I, n° 5, 10 mai 1890, p. 355.

[iv] Henri Beraldi, « La Bibliophilie créatrice », Revue Biblio-iconographique, 4e année, 3e série, n° 3 à 6, mars à juin 1897, p. 117-118. Le champ de cette bibliophilie créatrice a été exploré lors des deux journées d’étude consacrées aux « Architectes du livre. Modèles esthétiques et économiques du livre d’art entre 1870 et 1930 », organisées à la Bibliothèque de l’Arsenal le 29 mai 2017 et à l’université Paris Nanterre le 15 décembre 2017 par Anne-Christine Royère (Université de Reims Champagne-Ardenne) et Julien Schuh (Université Paris Nanterre / IUF).

[v] Selon la formule du colloque « L’Histoire littéraire en mode mineur : le rôle des bibliophiles dans la promotion d’un panthéon littéraire alternatif au XIXe siècle », organisé par la Société & Études Romantiques Dix-neuvièmistes, le laboratoire « Patrimoine, Littérature Histoire » de l’Université Toulouse-Jean-Jaurès et la Bibliothèque nationale de France, les 13 et 14 octobre 2016.

[vi] Antoine Coron, « Situation du “livre d'artiste” en France aujourd'hui », conférence, San Francisco, 2009.

[vii] Antoine Coron, ibid.

[viii] François Chapon, Le Peintre et le Livre, Paris, Flammarion, 1987, p. 48.

[ix] Antoine Coron, conf. cit.

[x] Yves Peyré, Peinture et poésie, Paris, Gallimard, 2001, p. 30.

[xi] François Chapon, Le Peintre et le Livre, op. cit., p. 11.

[xii] Sophie Lesiewicz, « Les éditeurs de livres graphiques, un panorama, 1875-2014 », p. 255-279, in Livres de poésie jeux d’espace ; sous la direction d’Isabelle Chol, Bénédicte Mathios, Serge Linares, Paris, Champion, 2016.

[xiii] Nicolas Malais, Bibliophilie et création littéraire (1830-1920), Paris, Cabinet Chaptal, 2016.

[xiv] Travaux de Littérature, vol. XV, « L'Écrivain éditeur. 2. XIXe et XXe siècles » et Hélène Martinelli, « Print it yourself : l’auto-impression est-elle une auto-édition ? », Mémoires du livre, vol. 8, n° 1, « La littérature sauvage », automne 2016, en ligne : http://id.erudit.org/iderudit/1038029ar

[xv] Anne-Moeglin-Delcroix, Esthétique du livre d’artiste : introduction à l’art contemporain, nouv. éd. rev. et augm., Marseille/Paris, Le mot et le reste/Bibliothèque nationale de France, 2011, p. 23.

[xvi] Anne-Moeglin-Delcroix, op. cit., p. 87.

[xvii] Johanna Drucker, The Century of Artists’ Books, New York City, Granary books, 1995. Sa typologie considère le livre « as a Democratic Multiple, as a Rare and/or Auratic Object, Codex and its variations, as an Agent of Social Change, « Book as Verbal exploration », « Book as a Visual Form ».

[xviii] Voir M. Melot, « Le livre comme forme symbolique », conférence tenue dans le cadre de l'Ecole de l'Institut d’histoire du livre, 2004. http://ihl.enssib.fr/siteihl.php?page=219