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L’oraliture haïtienne : identité (s), structure (s), mémoire (s) et représentations à travers le prisme des sciences humaines et sociales (Port-au-Prince)

L’oraliture haïtienne : identité (s), structure (s), mémoire (s) et représentations à travers le prisme des sciences humaines et sociales (Port-au-Prince)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Frenand Leger)

L’oraliture haïtienne :

identité (s), structure (s), mémoire (s) et représentations

à travers le prisme des sciences humaines et sociales

Organisé par le Centre Challenges,

en partenariat avec le laboratoire LangSÉ de la Faculté de Linguistique Appliquée,

la Faculté des Sciences Humaines de l’Université d’État d’Haïti et la Fondation Maurice A. Sixto

Port-au-Prince, 2 - 4 mai 2019

En hommage à Maurice Sixto à l’occasion du centenaire de sa naissance

 

L’oraliture, mot-valise forgé à la fin du XXesiècle, désigne à la fois un produit et une production communautaire et populaire caractéristique de sociétés à tradition dite orale. Elle se modèle sur les configurations mythologiques de la communauté où elle a cours. Selon Maximilien Laroche (1991 : 15), le terme « oraliture » a été proposé par Ernst Mirville, dans le journal Le Nouvellistedu 12 mai 1974 pour pallier les problèmes épistémologiques posés par l’expression « littérature orale » qui relève d’un oxymore et qui semble être liée à la prépondérance (ou à la préséance) accordée à l’écriture sur l’oralité à la faveur d’une tradition instituée par l’enseignement. Dans une interview accordée à Pierre-Raymond Dumas pour la revue Conjonction,Mirville indique que « l'oraliture est l'ensemble des créations non écrites et orales d'une époque ou d'une communauté, dans le domaine de la philosophie, de l'imagination, de la technique, accusant une certaine valeur quant à la forme ou au fond » (1984 : 162). Parmi diverses formes que peut prendre l'oraliture, Mirville précise : « les contes chantés, les contes devinettes, les prières, les chansons sacrées, les chants de travail, les chants de carnaval ou de rara, les chansons politiques, les audiences. » (Dumas, 1984 : 162). Par ailleurs, dans un article publié dans ce même numéro de Conjonction, l'auteur (Mirville, 1984) élargit la sphère de l'oraliture aux oraisons funèbres, aux « chante-pwent », aux chants de rondes des enfants, aux « chante-lwa », etc. 

Par surcroît, nous pouvons étendre la définition de Mirville aux mythes, aux récits mythologiques, aux adages, auxaphorismes, auxmaximes, auxformules magico-religieuses, aux proverbes, aux sentences, auxhistoires drôles et facéties, aux comptines, aux récits inspirés par l'actualité, aux cris des marchands, et à bien d'autres (voir Mouralis, 1975). Depuis les travaux initiés par Jean Price Mars (1928), en passant par ceux de Suzanne Comhaire-Sylvain (1937a ; 1937b ; 1938 ; 1951) et d'autres écrivains et chercheurs qui ont soit inventorié des chansons populaires orales et des contes, soit réservé quelques passages d’analyse aux genres oraux, le paysage de la recherche sur l'oraliture haïtienne à travers les sciences humaines et sociales reste un terrain quasiment vierge. En vue de lever ce voile sur l’oraliture haïtienne, nous proposons aux chercheurs des sciences humaines et sociales trois journées d'études et de réflexions sur cette vaste thématique.

Dans son article « Du réalisme merveilleux des Haïtiens »Jacques S. Alexis (1956 : 109) accorde une importance centrale à l’oraliture. Il est l'un des premiers à émettre quelques réflexions théoriques sur la lodyanscomme objet littéraire. D’autres auteurs et chercheurs considèrent la lodyans comme un genre de récit spécifique à l’oraliture haïtienne, qui elle-même serait consubstantielle de la créolité (voir Bernabé, Chamoiseau & Confiant, 1989). Si ce genre n’est pas encore théoriquement bien décrit et défini, le riche corpus de lodyanstraditionnelles et littéraires fait l’objet de réflexions dans quelques publications, dont (à titre indicatif) P. Pompilus (1961), M. Laroche (1978), L. Comeau (2002), J. Jonassaint (2002), G. Anglade (2004a, 2004b, 2004c, 2005, 2007, 2010), E. Otilien (2012, 2018), F. Léger (2015, 2016), C. Dardompré (2018), etc. Ce sera l’occasion d’étudier le corpus des textes lodyansaires(oraux et écrits) à partir d’un cadre d’analyse large ayant recours à des critères qui prennent en compte des aspects formels et discursifs comme le début et la fin des lodyans ; la structure des séquences textuelles (narration, description, discours de pensée) ; la caractérisation des personnages et leurs fonctions ; le temps du récit (ordre, vitesse et fréquence) ; les niveaux du récit (narration extradiégétique, intradiégétique et métadiégétique) ; les aspects pragmatiques liés aux instances narratives et au contexte d’énonciation, tels que par exemple les implicites, les sous-entendus, les non-dits, la pause, l’hésitation, le débit, l’interjection et l’onomatopée, etc.; et la question de la scénographie, c’est-à-dire la scène « par laquelle l'œuvre elle-même définit la situation de parole dont elle prétend surgir » (Maingueneau, 2010 : 16). Sans vouloir avancer que la lodyansne peut être exprimée et traduite dans une langue étrangère, ou adaptée en fonction des attributs des autres cultures,la forme canonique de ce genre s’exprime en généraldans un code linguistique spécifique qui privilégie l’emploi du créoleou la créolisation de toute autre langue étrangère (français, anglais ou espagnol) utilisée pour son expression littéraire.Voilà un autre élément caractéristique fondamental du genre de la lodyansà ne pas négliger.

Ce colloque est aussi l'occasion de rendre hommage à Maurice Sixto, pour son œuvre lodyansairecombien immense. L'année 2019 ramène en effet le centenaire de la naissance de ce maître de la parole, né en mai 1919, et le 35eanniversaire de sa mort survenue en mai 1984. L’héritage contemporain de Sixto regroupe diverses catégories de lodyanseurs, parmi lesquels d’anciens collaborateurs culturels, des imitateurs de talent, des interprètes originaux et des conteurs contemporains qui, de près ou de loin, se reconnaissent à travers l’influence du maître. Cette manifestation sera l'occasion de discuter de la valeur sociale multidimensionnelle, psycho-sociologique, didactique et esthétique de l’œuvre de Sixto.

À travers ce colloque, nous proposons aux chercheurs d'aborder les problèmes/la manifestation de l'identité haïtienne, voire caribéenne de souche africaine de notre oraliture, les structures en soubassement de ces productions. Il s'agira également d'étudier l'oraliture comme miroir et archive de la société, la représentation et la construction de la mémoire collective, et de sa fonction (Halbwachs, 1925 ; 1950 ; Nora, 1978). Les intéressés accorderont de l'attention aussi aux différents genres de l'oraliture et à leur organisation structurelle, lesquels se veulent des manifestations orales qui s'opèrent dans un cadre où la voix, la gestuelle, la scène et l'image de soi ont pour effets d'influer sur leur réception. On est, dès lors, en droit de chercher à savoir quels effets la mise en scène vise à provoquer sur la réception. Ce sera aussi l'occasion de questionner le concept d'oraliture, sa validité ou son opérationnalité dans la littérature scientifique. Toutes les questions épistémiques liées à ce mode de représentation et de transmission peuvent être abordées. L'étude de l'oraliture peut être appréhendée dans une perspective diachronique ou synchronique, c'est-à-dire en termes de variabilité et de stabilité, mais aussi en termes de mémoire, d'esthétique et de représentation.

Axes thématiques

Les six thématiques suivantes peuvent être abordées à l'occasion du colloque (mais non exclusivement). La démarche des contributeurs peut être diachronique ou synchronique.

  • Pensée analogique, mémoire (mémorisation), paroles de sagesse, savoirs, spiritualité dans l'oraliture haïtienne ;
  • Identités, genres, structures et esthétique dans l’oraliture haïtienne ;
  • Lodyans, poétique, structure, identité narrative et performance ;
  • L'œuvrelodyansairede Maurice Sixto et son héritage contemporain ;
  • Oraliture et littérature, l’usage de l’oraliture dans les textes littéraires ;
  • Didactique et oraliture, l’usage de l’oraliture dans le système éducatif.

Modalités de participation

Adresser un résumé de 300 à 500 mots dans l’une des trois langues du colloque (créole haïtien, français et anglais) à ethsotilien@gmail.comet frenandLeger@cunet.carleton.ca.La police à utiliser est le Times New Roman, taille 12 points, interligne 1.5 point. Le résumé doit être accompagné d'une courte biobibliographie de l'auteur de la proposition.

N.B.Ce colloque scientifique se veut un espace ouvert au secteur universitaire, ainsi qu’à ceux et à celles qui militent dans les secteurs culturels : les artistes, les écrivains, les conteurs, les lodyanseurs, les membres des organisations artistiques et culturelles locales et internationales, sont en particulier conviés à y prendre part. À cet égard, les seuls prérequis sont la qualité esthétique de l’étude et la rigueur scientifique de l’analyse qu’elle présente.

Dates importantes à retenir

·      Appel à communications : 5 septembre 2018

·      Date limite pour l’envoi des résumés : 15 novembre 2018

·      Notification d'acceptation ou de rejet : 15 décembre 2018

·      Tenue du colloque : 2 - 4 mai 2019 

Publication

Après évaluation et sélection par le comité scientifique, les textes issus des différentes communications seront publiés dans un ouvrage collectif. 

Références citées

ALEXIS, Jacques Stephen (1956), Du réalisme merveilleux des Haïtiens, Présence africaine 2002/1 (No 165-166), p 91-112.

ANGLADE, Georges (2010), Le secret du dynamisme littéraire haïtien. Éditions de l'Université d'État d'Haïti.

ANGLADE, Georges (2007), Le Dernier Codicille de Jacques Stephen Alexis, Mont-Royal, Plume & Encre.

ANGLADE, Georges (2005), « Un antidote à l'érosion des paysages culturels, la lodyans haïtienne », 71eCongrès mondial du PEN international, Bled, Slovénie, 14-21 juin, Ljubljana, Slovenski PEN.

ANGLADE, Georges (2004a), « Fiction et subversion dans la lodyans » dans Leurs jupons dépassent. Montréal, Lanctôt, p. 129-131.

ANGLADE, Georges (2004b), « Les lodyanseurs du soir, il y a 100 ans, le passage à l’écrit », SOURIAU, Marie-Agnès et BALUTANSKY, Kathleen Écrire en pays assiégé, Amsterdam, New York, Rodopi, PP. 61-87.

ANGLADE, Georges (2004c), « L’espace littéraire (de la lodyans) » dans L’espace d’une génération, entretiens conduits par Joseph Josy Lévy. Montréal, Editions Liber, Montréal, p.199-247.

BERNABÉ, Jean (1993) [1989], Chamoiseau, Patrick et Confiant, Raphaël, Éloge de la créolité, Paris, Gallimard.

BERNABÉ, Jean (1997), « De l’oralité à la littérature antillaise : figures de l’Un et de l’Autre », dans F. Tétu de Labsade, (éd.), Littérature et dialogue interculturel : culture française d’Amérique, Sainte-Foy, Presses de l’université Laval, p. 49-68.

COMEAU, Ludovic Jr (2002), « Littérature Orale Haïtienne : Analyse d’un Nouvel Apport », Journal of Haitian Studies, Vol. 8, No. 1, p. 80-97. Disponible aussi sur : http://www.mioch.net/html/lucien_haiti.html

COMHAIRE-SYLVAIN, Suzanne (1937a, 1943), « Folk Songs and Stories of the Americas ». Pan American Union Bulletin; Reprint: Washington, D.C., Pan American Union, 64 pp.

COMHAIRE-SYLVAIN, Suzanne (1937b), Les contes haïtiens, origine immédiate et extension en Amérique. Port-au-Prince, Caravelle, 2 vols.

COMHAIRE-SYLVAIN, Suzanne (1938), À propos du vocabulaire des croyances paysannes. Port-au-Prince, Caravelle.

COMHAIRE-SYLVAIN, Suzanne (1951), « La chanson haïtienne », Présence Africaine 12, pp. 61-87.

DARDOMPRÉ, Carey (2018), La lodyans, un romanesque haïtien. Perspectives historique, poétique et didactique, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3.

DUMAS, Pierre Raymond (1984), « Interview sur le concept d'oraliture accordée à Pierre Raymond Dumas par le docteur Ernst Mirville », Conjonction  nos 161-162, pp. 159-164.

HALBWACHS, Maurice (1925), Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Presses universitaires de France.

HALBWACHS, Maurice (1950), La mémoire Collective. Paris, Presses universitaires de France.

JOLLES, André (1972), Formessimples. 1930. Réédition, Paris, Seuil.

JONASSAINT, Jean (2009), « Pour un projet de sauvegarde et d’édition critique d’œuvres haïtiennes », dans M. Cheymol, (éd.),Littératures au Sud, Paris, Agence Universitaire de la Francophonie/Archives Contemporaines, p. 197-207.

LAROCHE, Maximilien (1991), La double scène de la représentation : oraliture et littérature dans la Caraïbe. Québec, Université Laval, Grelca.

LAROCHE, Maximilien (1978), L’image comme écho. Montréal, Nouvelle Optique.

LÉGER, Frenand (2016), La fiction littéraire brève haïtienne, entre oraliture kreyòl et écriture française.Thèse non publiée, le Département d’Études Françaises, Université de Toronto.

LÉGER, Frenand. « L’œuvre de Maurice Sixto, un patrimoine à sauvegarder et à étudier », publiésur Alterpresse le20 mai 2015 et disponible en ligne sur le site Potomitan : http://www.potomitan.info/ayiti/sixto2.php.

MAINGUENEAU, Dominique (2010), Manuel de linguistique pour les textes littéraires.Paris, Armand Colin.

MARS, Jean Price (1928), Ainsi parla l’oncle. Essais d’ethnographie.New York, Parapsychology Foundation Inc.

MIRVILLE, Ernst, « Kreyòl nan oralti », Conjonctionnos 161-162, juin 1984, pp. 23-28.

MIRVILLE, Ernst, « Literati oral », Le Nouvelliste, 11-12 mai, 1974.

MOURALIS, Bernard (1975), Les contre-littératures.Paris, Presses Universitaires de France.

NORA, Pierre (1978), « La mémoire collective », dans LE GOFF Jacques (dir.), La nouvelle histoire, Paris, Retz-CEPL, pp. 398- 401.

OTILIEN, Ethson (2018), Maurice Sixto ou le phénix de l'oraliture haïtienne. Boston, JEBCA Edition.

OTILIEN, Ethson (2012), Narration orale et argumentation, histoire, et voix dans la lodyans« J’ai vengé la race » de Maurice Sixto. Université de Besançon, Mémoire de master 2.

POMPILUS, Pradel (1961), La langue française en Haïti.Paris, Institut des hautes études de l’Amérique latine.

PRICE-MARS, Jean (1928), Ainsi parla l’oncle. Essais d’ethnographie.Port-au-Prince, Imprimerie de Compiègne.

ZUMTHOR, Paul (1987), La Lettre et la voix. De la « littérature » médiévale, Paris, Seuil.

ZUMTHOR, Paul (1983), Introduction à la poésie orale, Parais, Seuil.

Comité scientifique

Jean-Jacques Cadet, Université Paris 8 

Ludovic Comeau Jr, DePaul University, Chicago, É-UA et ISTEAH, Haïti

Watson Denis, Centre Challenges, FASCH / FE / Université d'État d'Haïti

Renauld Govain, FLA / LangSÉ / Université d'État d'Haïti

Frenand Léger, Carleton University, Ottawa, Canada

Nadève Ménard, ENS / Université d'État d'Haïti

Ethson Otilien, FASCH / Université d'État d'Haïti

 

Comité organisateur

Jean-Jacques Cadet, Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis

Karen Charles, étudiante à HaïtiTec

Ludovic Comeau Jr, DePaul University, Chicago, É-UA et ISTEAH, Haïti

Carey Dardompré, chercheur indépendant

Watson Denis, Centre Challenges, FASCH / FE / Université d'État d'Haïti

Vikens Dérilus, président du Collectif Haïti Culture / Livres (CHAC-Livres)

Renauld Govain, FLA / LangSÉ / Université d'État d'Haïti

Jean Ederson Jean-Pierre, étudiant FASCH / Université d'État d'Haïti

Frenand Léger, Carleton University, Ottawa, Canada

Charlot Lucien, Assemblée des artistes haïtiens de Massachusetts,É-UA

Paul Molès, FLA / LangSÉ / Université d'État d'Haïti

Ethson Otilien, FASCH / Université d'État d'Haïti

Gertrude Séjour, Fondation Maurice A. Sixto