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La création du public enfantin : les médias et l’invention de l’enfance moderne aux États-Unis, de la fin du XIXe au XXe s.

La création du public enfantin : les médias et l’invention de l’enfance moderne aux États-Unis, de la fin du XIXe au XXe s.

Publié le par Marc Escola (Source : Thibaut Clément, Université Paris-Sorbonne)

La création du public enfantin :

les médias et l’invention de l’enfance moderne aux États-Unis,

de la fin du XIXe au XXe s.

 

C’est aux « nouvelles études sur la jeunesse » que l’on doit un renversement de perspectives sur l’enfance, l’idée d’« enfant universel » (soumis à des invariants biologiques, culturels ou psychologiques indépendants des groupes socio-culturels) laissant alors la place à une conception de l’enfance comme construction sociale résultant de réalités culturellement et historiquement situées. À partir des années 1980, les chercheurs ont ainsi commencé de considérer les enfants comme des « acteurs » et des « êtres » de plein droit, quand l’enfance était comprise autrefois comme structure sociale ou stade simplement transitoire vers l’âge adulte (James et Prout, 1990).

Aux Etats-Unis, la conception moderne de l’enfance comme domaine strictement distinct de l’âge adulte remonte à l’Ere Progressiste et à la « sentimentalisation » de l’enfance (Zelizer 1994), sous l’influence croisée du Romantisme et d’idées lockéennes présentant les enfants comme des pages blanches – autrement dit, comme innocents et impressionnables par nature. Ce nouveau regard trouve également son origine dans un certain nombre de changements sociaux, culturels et économiques de la fin du 19e siècle, tels l’éradication du travail des enfants, l’évolution des schémas familiaux et de la place des femmes, ainsi qu’une préoccupation croissante pour la bonne intégration des enfants immigrés ou déviants au moyen de l’école obligatoire. Les valeurs de la classe moyenne auront à cette occasion fourni l’étalon d’une enfance digne de ce nom, délégitimant du même coup tout modèle porté par les groupes considérés comme marginaux.

L’élaboration de ces modèles aura nécessité le concours des médias, avec le développement d’une culture enfantine de masse touchant un public sans cesse plus grâce à de nouvelles technologies de communication dans le domaine de l’édition et de la presse, du cinéma, de la radio- et de la télé-diffusion et, désormais, du numérique. La démarcation des mondes enfantin et adulte aura de son côté permis la création d’un nouveau marché – celui de l’enfance – quand, à partir des années 1920, les capacités de production dépassèrent les capacités de consommation, obligeant les industriels à trouver de nouveaux débouchés. Les enfants furent dès lors placés dans le rôle d’acteurs impliqués plus ou moins directement dans l’achat et la consommation de produits leur étant précisément destinés, trouvant dans les médias un relai essentiel de la culture de consommation, et en particulier des grandes entreprises et de leurs produits.

Ce numéro de Transatlantica se propose d’examiner la façon dont, en s’employant à créer des nouveaux publics pour leurs produits, les médias de l’enfance ont contribué à une vision normalisante de l’enfance propice à leur consommation. Au cours de la fin 19e siècle et du 20e siècle, les médias se sont fait le relais des normes et suppositions par les adultes les goûts, les comportements et le développement des enfants – que ce soit pour courtiser ces mêmes goûts et comportements ou les modeler sur des idéaux tantôt civiques (citoyenneté, intégration sociale ou développement de la personnalité), tantôt commerciaux, ou les deux à la fois.

Pour reprendre les observations de James et Prout, les médias relèvent de « régimes de vérité » foucaldiens (James et Prout 1997, 23) : en « naturalisant certaines suppositions sur qui les enfants sont et comment ils devraient être » (Buckingham 2000, 7), les médias jeunesse représentent une transaction entre adultes et enfants – soit une tentative de façonner chez les enfants une certaine image de soi et promouvoir ainsi certains comportements désirables.

Au travers de l’examen de produits issus du cinéma, de la télévision, de l’industrie musicale, des jeux vidéo, de l’édition, de la presse écrite ou du numérique, ce numéro fera des médias jeunesse un cas exemplaire de la façon dont les producteurs médiatiques non seulement se figurent leur public mais entendent en comprendre et influencer les conduites. L’étude des médias jeunesse permettra en retour d’éclairer le caractère socialement construit de l’enfance aux Etats-Unis et de souligner les diverses significations de cette notion au cours de l’histoire récente, à la faveur d’inflexions culturelles changeantes.

Indissociables de ces considérations se dresse la question des médias comme fait générationnel et de l’enfance comme fait politique. Ainsi que le remarque Buckingham, le concept même d’enfance est un « terme bivalent et relatif » qui, dans son opposition à l’âge adulte, « sert des fins non pas seulement auprès des enfants mais aussi des adultes ». (Buckingham 2000 5,10). En aidant à maintenir les enfants séparés des adultes, les médias jeunesse s’emploient à entretenir, façonner ou même transformer les structures de pouvoir. Cette même dichotomie caractérise jusqu’aux processus de production et réception des médias jeunesse : les industries médiatiques et leurs divers organes de régulation non seulement s’adressent à un public dont ils entendent satisfaire les besoins supposés, mais en viennent par ce biais à livrer leur propre définition de l’enfance. (Ce caractère normatif et prescriptif semble aujourd’hui pouvoir être graduellement remis en cause avec l’arrivée des médias numériques et la création par les enfants eux-mêmes de contenus destinés à leurs pairs).

Dans cette approche, nous encourageons les contributions traitant du rôle des médias – écrits, numériques, télé- ou radiodiffusés … – dans l’invention de l’enfance moderne aux Etats-Unis et de son insertion dans les circuits politiques et économiques. Une liste non exhaustive de thèmes possibles inclue par exemple :

  • Les paniques morales et les hypothèses sous-jacentes qu’elles mettent au jour à l’endroit des publics enfantins ;
  • Les médias jeunesse comme sujet de débats publics et les intérêts partisans/politiques de ces discours ;
  • Les tentatives de récupération parmi les producteurs médiatiques de diverses théories de l’enfance, de l’éducation et des médias, en particulier à l’endroit de leur valeurs éducatives ou sociales ;
  • Le développement des genres « éducatifs » et « informatifs » comme produits médiatiques enfantins légitimes ;
  • Le rôle des médias dans l’émergence d’une culture propre aux jeunes, ainsi que la fragmentation des publics en groupes d’âge et en stades de développements distincts ;
  • La place des médias jeunesse dans un écosystème commercial large, notamment sous l’influence conjointe de l’industrie du jouet et de la publicité ;
  • L’enfant comme acteur économique courtisé par les médias, en raison de leurs revenus croissants et de leur influence grandissante sur les décisions d’achat dans le foyer ; 
  • Les schémas de consommation changeants de la jeunesse en matière de médias et des produits promus par ces derniers ;
  • Les discours des producteurs médiatiques et des organes de régulation à l’endroit des droits des consommateurs enfantins et de leurs compétences médiatiques ;
  • L’influence des forces non-commerciales (notamment les institutions religieuses, éducatives ou philanthropiques) sur la production, la diffusion et la consommation des médias jeunesse ;
  •  …

Les propositions, de 400 mots maximum et accompagnées d’un court CV, sont à envoyer en anglais ou en français à : thibaut.clement@paris-sorbonne.fr d’ici au 31 janvier 2018. Les articles terminés sont à soumettre avant le 30 juin 2018. Pour plus de détails concernant la présentation des articles, merci de se référer à la feuille de style à l’adresse : https://transatlantica.revues.org/4991

Bibliographie

Boocock, Sarane Spence, and Kimberly Ann Scott. 2005. Kids in Context: The Sociological Study of Children and Childhoods. Lanham, Md: Rowman & Littlefield Publishers.

Buckingham, By David. 2000. After the Death of Childhood: Growing Up in the Age of Electronic Media. Cambridge: Polity Press.

Calvert, Karin. 1702. Children in the House: The Material Culture of Early Childhood, 1600-1900. Lebanon, NH: Northeastern University Press.

Chas, Critcher. 2003. Moral Panics And The Media. London: McGraw-Hill.

Cross, Gary. 1999. Kids’ Stuff: Toys and the Changing World of American Childhood. Cambrdige: Harvard University Press.

Frau-Meigs, Divina. 2010. “La panique médiatique entre déviance et problème social : vers une modélisation sociocognitive du risque.” Questions de communication, no. 17 (juin): 223–52.

Jacobson, Lisa. 2007. Children and Consumer Culture in American Society: A Historical Handbook and Guide. Wesport: Praeger.

James, Allison, Alan Prout, and Chris Jenks. 1998. Theorizing Childhood. Cambridge: Polity Press.

James, Allison, and Alan Prout, eds. 1990. Constructing and Reconstructing Childhood. London: Falmer Press.

Jenkins, Henry. 1998. The Children’s Culture Reader. New York: NYU Press.

Kirsh, Steven J. 2009. Media and Youth: A Developmental Perspective. Malden: Wiley-Blackwell.

Mitchell, Claudia, and Jacqueline Reid-Walsh. 2002. Researching Children’s Popular Culture: The Cultural Spaces of Childhood. London: Routledge.

Prout, Alan, ed. 2005. The Future of Childhood. London: Routledge.

Qvortrup, J., W. Corsaro, and M. Honig, eds. 2011. The Palgrave Handbook of Childhood Studies. Basingstoke: Palgrave Macmillan.

Singer, Dorothy G., and Jerome L. Singer. 2002. Handbook of Children and the Media. London: SAGE Publications, Inc.

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Zelizer, Viviana A. 1994. Pricing the Priceless Child: The Changing Social Value of Children. Princeton, N.J: Princeton University Press.