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La Voix dans tous ses états

La Voix dans tous ses états

Publié le par Emilien Sermier (Source : Marie Olivier)

Journée d’étude internationale

le 9 septembre 2017

Université Paris-Est Créteil

 

laboratoire IMAGER

Institut des Mondes Anglophone, Germanique et Roman

 TIES & CAECE

 

 LA VOIX DANS TOUS SES ÉTATS

 

Appel à communications

 

            Dans son Cours sur le Neutre au Collège de France, Roland Barthes explique que la voix est ‘un faux bon sujet’, « un objet qui résiste, qui suscite des adjectifs (voix douce, prenante, blanche, neutre, etc.) mais rien de plus » [1]. La voix est souvent entendue dans le paradigme de la vie et de la mort : le Phèdre de Platon, notamment, oppose la parole vive à l’écriture, elle, du côté de la mort, car du côté de l’immortalité. Parler de vive voix, faire vivre la voix, ne serait-ce pas la mission primitive du poème, qui engage dans ses vers, à la fois écriture et oralité ? Un poème est-il toujours fait pour être dit, déclamé, à l’image des vers d’un Walt Whitman, dont le caractère opératique est radicalement lié à la performance, de la même façon qu’une pièce de théâtre est écrite pour être jouée sur scène, viva voce ? L’exploration de la typographie, de l’écrit chez les poètes américains tels Susan Howe ou de façon plus systématique, E. E. Cummings, semble à première vue, aller contre, voire vouloir faire échouer toute tentative de lecture oralisée. Et pourtant, ces poèmes sont bien habités, dotés d’une voix. Dans ces cas-ci, s’agit-il d’une voix heideggerienne oscillant entre Stimme et Stimmung[2], entre rappel à soi-même et projection dans le monde –la façon dont l’être s’accorde avec celui-ci, en harmonie ou en désaccord avec lui ? S’agirait-il alors d’une écriture acousmatique ? L’écriture d’une voix à entendre en-deçà du discours ?

            La voix serait-elle ce nœud chiasmatique entre l’ailleurs, l’altérité et soi-même, son corps propre et musical, celui-là qui, selon Danielle Cohen-Levinas, « a besoin d’une incarnation autre que lui-même[3] » ? Pour la musicologue, « la voix [est l’]émanation d’un corps que l’on refoule : tel est le projet de la musique occidentale du XVIIe jusqu’à l’aube du XXe siècle ». D’un côté, la voix aurait donc le pouvoir de détourner le corps, ce que l’on peut entendre dans les voix du XVIIIe jusqu’au début du XXe siècle, ou de façon radicale, dans le projet wagnérien par exemple, où le corps devient indifférent, simple enveloppe charnelle, que Bill Viola a su figurer à travers les installations vidéo des corps célestes de Tristan et Isolde dans la mise en scène de Peter Sellars. Cette dissociation radicale à l’opéra entre corps et voix est au fondement même de l’écriture musicale occidentale, même si, d’un autre côté, comme Violaine Anger l’explique, la voix peut également être perçue comme unifiante : « s’il y a voix, c’est qu’il y a un individu, unifié par cette voix : la voix est unifiante tout en marquant le déchirement, le ressenti de l’intériorité ». Entre voix éperdue de l’individu dans la période romantique, et voix collective perdue dans la modernité, telle que Claude Jamain l’explore dans Idée de la voix, la voix demeure une entité à toujours chercher et interroger.

            Nous pourrons également nous intéresser à la voix dans les textes bibliques : dans l’article « le Relais des Voix », Éric Benoît rappelle que Jean-Baptiste est « celui qui a été désigné comme la Voix (Mt 3 :3, Mc 1 :3, Lc 3 :4), Voix du Verbe mais non le Verbe lui-même ». De la même façon, l’on pourra s’intéresser à la figure mosaïque : pris de balbutiement, Moïse ne peut parler qu’à travers le truchement d’un autre, son frère Aaron. Cette situation ventriloque a inspiré le magnifique Moses und Aron à Schoenberg, qui a notamment exploité cette question tout comme le problème de représentation de l’irreprésentable à travers la spécificité du Sprechgesang. Chez les figures prophétiques, la voix est en effet problématique, comme l’indique André Neher dans l’Essence du prophétisme. La voix leur fait souvent défaut ou, défaillante, elle vacille toujours, à travers le balbutiement chez Moïse, et pour chacun, à travers le refus volontaire et initial de parler, de prêter leur voix au Verbe.

            Enfin, la voix paraît toujours hantée, c’est toujours un autre qui parle à travers l’énonciateur. Chez Jean-Michel Maulpoix[4], la voix désigne « la place [du sujet lyrique] laissée vide, la place que chacun aspire à occuper, c’est-à-dire la place même de la voix, telle qu’elle constitue un lien invisible avec l’autre, une issue de soi, telle qu’elle signe et signale le plus propre, mais demeure cependant insaisissable, évanescente dès lors qu’elle n’est pas inscrite. Le sujet lyrique, c’est la voix de l’autre qui me parle, c’est la voix des autres qui parlent en moi, et c’est la voix même que j’adresse aux autres ».

            On peut également constater ce ventriloquisme à l’œuvre au cinéma à travers le recours aux voix-off notamment. On pense par exemple au Roman d’un tricheur (1936) de Sacha Guitry dont la voix pourtant si caractéristique, prend tous les rôles, hommes et femmes, et ce, depuis le générique jusqu’à la fin du film.

            En littérature, le lecteur serait donc finalement aussi une sorte de ventriloque infini : celui du scripteur et de toutes les voix qui se sont levées à travers le texte, de toutes les lectures et écritures qui se sont faites à travers lui. Or, la voix narrative telle qu’on peut l’entendre dans le « discours de la fiction » ne diffère pas tant de la voix lyrique telle qu’on peut l’entendre dans le « discours de la diction », comme l’argumente Dominique Combe[5]. Ni l’une ni l’autre de ces voix narratives ou lyriques, ne paraissent échapper à l’illusion référentielle : qu’y a-t-il ou qui est-il derrière cette voix ? Ni fiction ni diction ne garantissent la référentialité, l’antécédence. La voix semble toujours osciller au sein d’une béance immédiate, entre ce que Jacques Derrida a appelé une « non présence irréductible » et une présence immédiate, radicale. La voix peut être perçue comme toujours évanescente car toujours prise dans une différance derridienne. S’inscrivant comme trace dans le corps, elle est le signe d’une correspondance fallacieuse entre voix et corps, entre origine et projection.

 

            À l’occasion de cette journée d’étude internationale, nous nous intéresserons à la textualité de cette voix, c’est-à-dire au chiasme entre voix et scription, nous tenterons d’écouter les voix dans leur corporéité mais aussi d’entendre leur spectralité, nous nous efforcerons de nous mettre à l’écoute de toutes les voix qui hantent scènes de théâtre et d’opéra, celles à l’œuvre et à la source de discours de fiction et de diction, nous nous intéresserons à tous leurs débords et projets de signification dans une approche à la fois diachronique, translinguistique et transdisciplinaire.

 

La publication en ligne des actes de cette journée d’étude est envisagée.

Les propositions de communication en français ou en anglais (titre, résumé de 300 mots environ et courte biographie) devront être envoyées pour le 30 mars 2017 à Marie Olivier <marie.olivier@u-pec.fr> et à Sylvie Le Moël <sylvie.lemoel@u-pec.fr>

 

Une réponse sera envoyée le 15 avril 2017.

 

[1] Roland Barthes, Le Neutre, Notes de cours au Collège de France, 1977-1978. Paris : Seuil, 2002. 113-114.

[2] Claude Jamain désigne le terme Stimmung comme « le mode de l’existence humaine – ou bien le mot très imprécis de ‘souffle’ dès lors qu’il peut devenir chant, son indifférencié et silence ».

[3] Danielle Cohen-Levinas ajoute : « Il s’agit bien d’un corps dans le corps, avec ses différences et ses simulacres, son masque et sa réalité. [. . .] Ce corps avide d’une modernité qui le reconnaîtra enfin est à portée de voix, dans la voix : l’ineffable, le souffle » avant d’ajouter :« Étrange fraternité qui lie la vocalité du haut Moyen Âge à celle de notre contemporanéité lyrique. Entre les deux : la fixation (notation), une longue tradition de pensée musicale qui valorise la voix et élague le corps pour mieux porter le langage. Cette distinction renoue avec l’idéal platonicien de la séparation de l’âme et du corps, l’opposition entre forme et matière – résistance à la matière, hypertrophie de la forme, relation ‘phénoménologique-transcendentale’». L’Opéra et son double. Paris : Vrin, 2013. 223 ; 224.

[4] Jean-Michel Maulpoix, « La quatrième personne du singulier », Figures du Sujet Lyrique. Paris : PUF, 1996) 153.

[5] Dominique Combe, « La Référence dédoublée, le sujet lyrique entre fiction et autobiographie », Ibid., 53.