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Le mauvais goût : marginalités, ambiguïtés, paradoxes (XIXe-XXIe siècles)

Le mauvais goût : marginalités, ambiguïtés, paradoxes (XIXe-XXIe siècles)

Publié le par Marc Escola (Source : CHCSC)

English version below

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Le mauvais goût : marginalités, ambiguïtés, paradoxes (XIXe-XXIe siècle)


Du baroque au kitsch, du maniérisme à l'obscène, du camp au trash, du grossier au ringard, du populaire au pop, le mauvais goût a connu bien des déclinaisons à travers les âges. En dépit des anathèmes régulièrement lancés contre lui, le mauvais goût n'a pourtant de cesse de se renouveler et peut parfois même être érigé au rang de modèle esthétique : ainsi, dans le Gai Savoir, Nietzsche réclamait que le « mauvais goût [ait] son droit autant que le bon goût ». Celui-ci se réinvente sous des formes multiples, au point même d'être chargé d'une valeur positive, à la faveur de renversements de valeurs.

Cette journée d'étude, centrée sur les XIXe, XXe et XXIe siècles, entend redonner tout son droit au mauvais goût, en déconstruisant les mécanismes qui tendent à le marginaliser et en tentant d'analyser les potentialités créatives, expressives et revendicatives de ce parent pauvre de l'esthétique. La récurrence des reproches adressés au mauvais goût permet d'ailleurs de dégager un certain nombre de critères sur lesquels repose cette catégorie :
    ⁃    L'expressivité foncière du mauvais goût, qui se traduirait par l'outrance, le « tape-à-l'oeil », le sentimentalisme (usage immodéré de la couleur, recours à des émotions « faciles », ostentation visuelle),
    ⁃    La dimension dépassée, datée. Le désuet, le ringard, l'obsolète qui seraient par nature de mauvais goût car refusant de se conformer au goût du jour,
    ⁃    Le conservatisme esthétique, à travers les accusations d'académisme ou de conformisme,
    ⁃    L'absence de respect des règles, et partant, la dimension provocatrice, politiquement incorrecte voire révolutionnaire du mauvais goût,
    ⁃    La dimension populaire (autrement dit vulgaire) , dans la mesure où, suivant les travaux de Pierre Bourdieu1, la recherche du bon goût aurait précisément pour vocation de se distinguer, d'affirmer son appartenance à une classe socialement et culturellement dominante,
    ⁃    Et enfin la dimension mercantile, à travers la critique du kitsch, de la société de consommation et de la notion d'industrie culturelle théorisée par Adorno et Horckheimer2.

À partir de ces différents constats, il s'agira de questionner les mécanismes sociaux du goût à travers l'exemple d'institutions qui imposent et diffusent les canons d'une époque telles que les académies, les revues, les sociétés d'amateurs, l'université, les critiques littéraires, la presse ou plus généralement les médias, et qui participent à l'exclusion de certaines productions et pratiques culturelles. Dans cette perspective, les interventions des chercheurs pourront mettre en avant la persistance plus ou moins explicite d'un système de hiérarchisation des genres dans les domaines de la littérature, des arts visuels, de l'architecture, des arts de la scène et du cinéma, de la musique ou encore des médias (télévision, radio, presse) et n'oublieront pas de revenir sur la notion de « sous-genres », dépréciés voire ignorés au profit des genres dits nobles et institutionnalisés. La question de savoir qui a l'apanage du mauvais goût sera également posée, dans une perspective sociologique. Est-il systématiquement associé aux classes populaires et si oui, pourquoi ? N'est-il pas volontiers associé à une certaine esthétique bourgeoise ? Se peut-il qu'il existe aussi, comme l'affirmait Baudelaire3, une « aristocratie du mauvais goût » ?

A ce titre, il sera nécessaire de considérer les cas où le mauvais goût s'affirme comme valeur positive, où il devient de bon goût d'avoir mauvais goût. Certaines pratiques visent en effet à se réapproprier cette qualification pour mieux la subvertir. Il conviendra alors d'appréhender les motivations (éthiques, esthétiques, politiques) qui poussent une partie de la société à revaloriser et à revendiquer le mauvais goût et de voir dans quelle mesure celles-ci comprennent une part de provocation, de transgression, quand elles ne s'érigent pas en manifeste avant-gardiste (exemple des termes de « jazz » ou d' « impressionnisme » qui avaient initialement une valeur dépréciative). A travers la question du kitsch (voire du néo-kitsch) et du camp, on considérera de quelle façon le mauvais goût peut faire l'objet d'un jeu de citation ironique qui, par le biais d'un effet de médiation, réhabilite un mauvais goût au second degré.

Enfin, on ne négligera pas de revenir sur la dimension toute relative de ce mauvais goût à travers des mises en regard d'ordre géographique (récits de voyage, contexte de nationalisme) et temporel (changements de modes, réévaluation d'artistes ou de formes d'art oubliées). Les différentes études de cas apporteront chacune un éclairage sur des productions culturelles traditionnellement considérées comme de mauvais goût, dénigrées, oubliées ou confinées à des périmètres bien limités. Mais elles démontreront également que celles-ci peuvent être remises au goût du jour, réhabilitées et reconsidérées après un certain temps.

Six axes d'étude sont proposés :

I Les visages multiples du mauvais goût : kitsch, ringard, vulgaire...
Que nous révèle cette multiplicité des notions connexes du mauvais goût ? Est-il possible de donner une définition du mauvais goût ou ne se dévoile-t-il que dans sa dimension kaléidoscopique ? N'est-il pas une notion par essence fuyante, en ce qu'il s'agirait de l'autre du goût ?

II Le mauvais goût en société : mécanismes de distinction et de prescription
Qui énonce ce qui est de mauvais goût aux XIXe,  XXe et XXIe siècles ? L'affirmation toujours plus forte de la subjectivité à partir du XIXe siècle ne rend-elle pas caduque toute dénonciation du mauvais goût ? Quels ont été les grands affrontements autour du mauvais goût ? Est-il assignable à une catégorie sociale ?

III La culture du mauvais goût : quand il est de bon goût d'avoir mauvais goût
Quels mécanismes permettent une réhabilitation du mauvais goût ? Que révèlent-ils de la modernité esthétique ? Vit-on toujours dans cette « époque rêveuse du mauvais goût » dont parlait Walter Benjamin pour qualifier le XIXe siècle ? Quelles sont les motivations qui conduisent à adopter le mauvais goût comme mot d'ordre ? S'agit-il de provoquer, de s'amuser, de s'illusionner, ou simplement de se distinguer ?

IV Politique du mauvais goût : une éthique de la provocation ?
Dans quelle mesure le mauvais goût a-t-il affaire avec la politique et avec la morale ? Etre de mauvais goût, est-ce revendiquer une certaine forme d'immoralité ? L'humour de mauvais goût est-il forcément politiquement incorrect ? Contre quelles valeurs politiques et morales s'érigerait une éthique du mauvais goût ?

V Le mauvais goût des autres
Le mauvais goût est-il toujours celui des autres ? Que nous révèlent les récits de voyages du relativisme de cette notion ? La distance géographique ou temporelle aidant, un pays ou une époque sont-ils jamais à l'abri du mauvais goût ? Le rejet du mauvais goût ne résulte-t-il pas d'une mise à distance de ce qui est différent et, partant, d'un refus de l'altérité (humaine, mais aussi culturelle et temporelle) ?

Comité scientifique :
Manuel Charpy (Chargé de recherche - CNRS – IRHIS – Lille 3)
Anaïs Fléchet (MCF – UVSQ - CHCSC)
Jean-Charles Geslot (MCF - UVSQ - CHCSC)
Matthieu Letourneux (Professeur – Paris X - Nanterre – CSLF)
Serge Linarès (Professeur – UVSQ - CHCSC)
Jean-Sébastien Noël (MCF – Université de la Rochelle – CERCLE)
Jean-Claude Yon (Professeur – UVSQ - CHCSC - EPHE)

Comité d’organisation :
Amélie Fagnou
Samuel Kunkel
Daniel Polleti
Rémi de Raphélis

Calendrier :

Retour des propositions : au plus tard le lundi 26 février 2018

Réponses : le lundi 26 mars 2018

Date de la journée d’études : le mercredi 23 mai 2018 (UVSQ)

Modalités : Cette journée d’études se veut pluridisciplinaire et ouverte à différents champs de recherche tels que la sociologie, l'histoire, l'histoire de l’art, la musicologie, la littérature, les études théâtrales, les études cinématographiques, l'histoire visuelle ou encore les sciences de l’information et de la communication.

Cet appel à communications est ouvert à tous les doctorants, ou docteurs ayant soutenu ces dernières années, en France ou à l’étranger.

Les communications se feront en français ou en anglais. Les propositions de communication (500 mots environ) sont à envoyer, accompagnées d’une courte présentation de l’auteur (comprenant le titre, la discipline de la thèse, l’année de soutenance le cas échéant, ainsi que l’université et/ou l’organisme de rattachement), au plus tard le lundi 26 février 2018 à l’adresse suivante : doctorants.chcsc@gmail.com


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Call for papers - CHCSC Graduate workshop (May 23, 2018)
 
Bad taste: marginalities, ambiguities, paradoxes (19th-21st centuries)

 
From baroque to kitsch, from mannerism to the obscene, from camp to trash, from the vulgar to the tacky, from popular art to pop art, the notion of “bad taste” has known many different incarnations over time.  However, despite the slings and arrows regularly cast in its direction, bad taste has managed to innovate and regenerate ceaselessly, rising ultimately to the rank of an esthetic paradigm.  As such, in The Gay Science, Nietzsche proclaimed that “bad taste has its rights no less than good taste”. Bad taste could have multiple forms, to the point of even outlasting the endlessly shifting values of a given society and acquiring a seemingly positive quality.
 
This Graduate Workshop, which will focus on the 19th, 20th, and 21st centuries, intends to restore the notion of “bad taste” to its rightful place by deconstructing the mechanisms intended to be the instruments of its marginalization, and by analyzing the creative, expressive, and affirmative potentials of the proverbial black sheep of esthetics. The frequency of criticisms intended to denounce the notion of bad taste allow us as well to determine a certain number of categorical notions crucial to this concept:
    ⁃    The fundament expressiveness of bad taste, which can be communicated by immoderateness, flashiness, sentimentality (an excessive use of color, dependence on “easy” emotions, visual ostentation),
    ⁃    An esthetic dimension which can appear outdated or overdone. Retro-ness, tackiness, or obsolescence, which would appear automatically to be in bad taste, because they do not conform to the tastes of their day,
    ⁃    An esthetic conservatism, prompted by an unflagging adherence to the standards of the “academy” or “conformism”,
    ⁃    The absence of respect for the rules, and as such, a facet of bad taste which may appear provocative, politically incorrect, or even revolutionary,
    ⁃    The “popular” (which is to say “vulgar”) dimension, by which we mean the measure to which, according to the works of Pierre Bourdieu, the search for good taste amounts effectively to a striving to distinguish oneself, and in doing so to affirm one’s belonging to a certain, culturally dominant, social status,
    ⁃    The mercantile dimension, through the critic of kitsch, of a consumption-based society, and the notion of a cultural industry, such as they have been theorized by Adorno and Horkheimer.
 
Using these different notions as a starting point, we will attempt to interrogate the societal and social mechanisms through the example of institutions which would impose and diffuse the ‘canons’ of a generation.   These include, but are not limited to: the academies, the reviews, appreciation societies, universities, literary critics, the press, or more generally the medias, all of whom assist in the exclusion of certain cultural productions and practices in the name of a moral or esthetic norm.  In this perspective, the participation of the PhD students will expose a more or less explicit and enduring system of hierarchization of genres within the fields of literature, visual arts (from painting to comic books), architecture, performance arts (including theater and cinema, as well as others), music, media (television, radio, press), graphic arts (video games), as well as the notion of sub-genres, all of which have been ignored or under-appreciated because they have been deemed less noble or not belonging to any institution. Who decides what is in bad taste? Is bad taste not all too frequently associated with a certain bourgeoisie esthetic? Is it not possible that there exists, as Baudelaire argued, an “aristocracy of bad taste”?  If it’s true, it seems it would then be necessary as well to consider the instances when bad taste is considered to be a good thing, where it becomes good taste to have bad taste.  In fact, some practices attempt to re-appropriate this quality in order to better subvert it.
 
It becomes necessary, therefore, to determine the motivations (ethical, esthetic, political) that drive a certain part of society to place bad taste on such a high pedestal, and to ask oneself if these people are not part of the provocation, of the transgression, when they do not declare themselves through the means of an avant-garde manifesto (for example the terms “jazz” or “impressionism” which were initially terms of derision). Through the question of kitsch (or even neo-kitsch) as well as camp, we will consider the ways that bad taste can become the object of a game of humorous referencing which, through the means of an intermediary effect, allows the notion of bad taste to assume a certain ironic distance. Finally, we won’t forget to pay attention to the entirely relative dimension of bad taste such as it is subject to change based on notions of geography (travel-logs, notions of nationalism) and temporality (changing fashion trends, reevaluations of artists or of forgotten forms of art).  As such, the different case studies will each shine a light upon different cultural productions traditionally considered as bad taste proof, denigrated, forgotten, or unable to fit into overly-narrow cultural parameters imposed by a historical, sociological, philosophical, literary, musicological, or psychological perspective. Nevertheless, they will also show that these productions can be revamped and reconsidered in accordance with contemporary tastes, after a certain time.
 
Potential lines of research are proposed:
 
I The Multiple Faces of Bad Taste: Kitsch, Tackiness, Vulgarity …
What does the multiplicity of notions of “bad taste” reveal to us?  It is possible to offer a definition of bad taste or is it only understandable in a kaleidoscopic dimension?  Is it not, by its very essence, an elusive notion, can it not be considered the “counterpoint” of taste?
 
II Bad Taste and Society: Mechanisms of Distinction and Prescription
Who decides what is “bad taste” in the 19th, the 20th, and 21st century? Do the growing affirmations of subjectivity starting in the 19th century not render any denunciation of bad taste all the more void?  What have been the ideological clashes surrounding the notion of bad taste?  Can bad taste be assigned to a certain social station?
 
III Bad Taste Culture:  When Having Bad Taste is a Good Thing
What mechanisms allow for the rehabilitation of bad taste?  What do they reveal about esthetic modernity?  Are we still living in the “era that dreams of bad taste” that Walter Benjamin evoked when writing about the 19th century?  What are the motivations that incite a person to adopt bad taste as the order of the day?  Is it an attempt to provoke, to amuse, to deceive, or simply to set oneself apart?
 
IV Bad Taste Policy: Ethics of Provocation
In what capacity is bad taste allowed to coexist with politics and morality?  Does being in bad taste imply a certain sort of immorality?  Is the humor of bad taste always and necessarily politically incorrect?  Against what political and moral values might one establish an ethical system of “bad taste”?
 
V The Bad Taste of the Other
Does bad taste necessarily belong to somebody else, to “the Other”? What can travelogues tell us about the relativism of this idea? Are geographic or temporal distance ever adequate to keep something safe from the label of bad taste?  Does the rejection of “bad taste” not result from the willful imposition of a certain distance between that which is different and, beyond that, from a refusal of otherness (human, but also cultural and temporal)?
 
 
Calendar
Deadline for submissions: February 26th, 2018
Responses: March 26th, 2018
Date of workshop: Wednesday, May 23, 2018 (at the Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines)

Scientific committee :
Manuel Charpy (Chargé de recherche - CNRS – IRHIS – Lille 3)
Anaïs Fléchet (MCF – UVSQ - CHCSC)
Jean-Charles Geslot (MCF - UVSQ - CHCSC)
Matthieu Letourneux (Professeur – Paris X - Nanterre – CSLF)
Serge Linarès (Professeur – UVSQ - CHCSC)
Jean-Sébastien Noël (MCF – Université de la Rochelle – CERCLE)
Jean-Claude Yon (Professeur – UVSQ - CHCSC - EPHE)


Organisation committee
Amélie Fagnou
Samuel Kunkel
Daniel Polleti
Rémi de Raphélis
 
Eligibility
This call for papers is open to all doctoral candidates, as well as doctors who have defended in the past few years, in France, or abroad.  Abstract proposals may be submitted in French or English.  Abstracts should be approximately 500 words in length, and should be submitted accompanied by a short presentation of their author (including the title, field of doctoral research, year of defense if possible, as well as the university where enrolled) by February 26th, 2018 at the latest.  Please send abstract proposals to the following address:  doctorants.chcsc@gmail.com