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Revue : Itinéraires. Littérature, textes, cultures :

Revue : Itinéraires. Littérature, textes, cultures : "Les cultures du chapitre"

Publié le par Université de Lausanne (Source : François-Xavier Mas)

2019-3 : "Les cultures du chapitre"

Numéro de la revue Itinéraires. Littérature, textes, cultures

 

Date limite de réception des propositions : 2 septembre 2018

 

PRESENTATION

Ce numéro invite à réfléchir sur la portée et la force d’un phénomène littéraire, le chapitre, unité discrète et souvent négligée par la recherche. Dans Les Rouages de l’intrigue, Raphaël Baroni (2017 : 107) souligne ainsi combien l’étude du chapitre est une « science jeune ». Or, si l’approche poétique du chapitre a commencé à susciter des études, dont La Voie aux chapitres d’Ugo Dionne (2008) est l’ouvrage pionnier, une réflexion sur le concept même de ce phénomène littéraire en relation avec une culture (médiatique, lettrée, nationale ou « globale ») est encore lacunaire.

Entrée privilégiée dans le laboratoire du texte, le chapitre apparaît en outre comme une manière d’interroger notre besoin de structure, d’ordonnancement ou de rythme. Le mot est issu du latin classique capitulum, « petite tête », qui désigne le chapeau ou le titre étendu qui permettait de se repérer dans le texte biblique. Dès le bas latin, le « chapitre » renvoie à une « partie d’un écrit » (TLFi), renforçant ainsi les fonctions de repérage ou de facilitation du parcours narratif que, plus tard, Du Cange (1678) signale dans son glossaire.

Cette fonction encadrante du chapitre s’étend au-delà de l’univers des livres. Pour Philippe Hamon, le chapitre fait partie des « principales macro-structures a priori de toute configuration, trois procédés de mise en ordre quasi pré-sémiotique du monde : le rythme, la mise en récit et la mise en liste » (2017 : 13). Cette capacité à ordonner le flux des narrations participerait ainsi à un désir de configuration, celle du temps comme celle de l’espace, du côté de la création comme de la réception.

Cette hypothèse semble se vérifier dans les usages larges du chapitre, que l’on observe au-delà du roman. Alors qu’on pourrait penser que le chapitre ne constitue qu’une forme parmi d’autres de segmentation, et pas nécessairement la plus signifiante, on constate au contraire son emploi dans la bande dessinée (pensons à Watchmen, par exemple, d’Alan Moore et Dave Gibbons), au cinéma (dans les films de Tarantino), dans les jeux vidéo (par exemple dans la série à succès The Witcher ou dans le récent Final Fantasy XV) ou la publicité (Chanel proposant ainsi de faire découvrir la maison « de l’intérieur » par le biais de vingt et un chapitres), et jusqu’au découpage scénique que le format DVD propose aux utilisateurs.

Sans préjuger de ses fonctions, il s’agirait alors d’étudier la nature et la fonction du chapitre dans la narration. Si l’on met volontiers en avant l’effet de coupure, voire le suspense du cliffhanger, il ne faut pas pour autant en faire la norme, et le roman-feuilleton lui-même n’est pas seulement un art de la coupe, mais aussi un art de l’enchaînement et de la construction de « tableaux ». Georges Mathieu écrit ainsi que « chaque changement de chapitre a une valeur philosophique, il affirme des principes de délimitation, de définition et des modules événementiels », avant de conclure que « toute capitulation est un discours de la méthode » (2011 : 221).

En tant que lecteurs, nous sommes confrontés à cette délimitation imposée par le chapitre, mais le sens de cette expérience ne va pas de soi. Est-ce celle du continu ou du discontinu ? Le chapitre est-il un élan ou nous conduit-il « de deuil en deuil » (Ibid. : 205), comme l’avance encore Georges Mathieu ? La durée découpée par le chapitre est-elle celle de notre existence individuelle ou celle d’une histoire collective scandée par les dates calendaires et la succession des générations ?

Ces questions peuvent être posées à toutes les formes de narration. Ugo Dionne fait du chapitre un marqueur de fictionnalité et le lie à l’identité générique du roman. Mais puisqu’il existe des chapitres en dehors du roman, il faut s’interroger sur toutes ces chapitrations affichées. Si d’emblée on peut penser qu’une bande dessinée comme Watchmen utilise le chapitre pour affirmer une prétention littéraire, il ne faudrait peut-être pas conclure, comme y invite par exemple les travaux d’Éric Maigret à une recherche de légitimité culturelle.

Le recours à des termes littéraires dans la bande dessinée ou au cinéma tend à masquer des fonctionnements fondamentalement différents. Il faudra dès lors s’interroger sur le sens du chapitre en contexte non romanesque. Est-ce la même chose de chapitrer un roman, un film ou un jeu vidéo ? Le terme « chapitre » recouvre-t-il un usage unique, quel que soit le support d’application ?

Et si l’on prolonge cette question du support, mais à propos de la seule littérature, que dire du chapitre en contexte numérique, où les formes de segmentation se diversifient ? Du post régulier sur un site (à l’instar du roman One minute que Thierry Crouzet a publié régulièrement sous forme de post sur la plateforme Wattpad) au tweet journalier (comme le récit Black Box de Jennifer Egan, paru à l’origine sous forme de série de tweets avant d’être rassemblés en livre), en passant par le lien à cliquer ou les contenus multimédias hébergés sur différentes plateformes, comment le texte numérique réinvente-t-il la division narrative ? Et qu’en est-il des romans publiés d’abord sur Internet avant de connaître une version papier ?

Dès lors se pose également la question du récit qui n’utilise pas la segmentation par le chapitre, qu’il le refuse ou en favorise une autre. Jusqu’à quel point une œuvre d’avant-garde comme House of Leaves de Mark Z. Danielewski (2000), par exemple, remet-elle en question le principe même du découpage en chapitres ? Ou que dire du découpage du récit dans les narrations orales ? Le terme « chapitre » y est-il encore adapté ?

La question du chapitre devient alors celle de son champ de pertinence. À partir de quand et dans quelles aires géographiques peut-on parler de « chapitre » ? Y a-t-il un médium privilégié pour le chapitre et que dire de l’emploi du terme dans les champs divers de la culture ?

On s’efforcera de répondre à ces questions en explorant toutes les formes de création fictionnelle et en privilégiant un corpus moderne (XIXe-XXIe siècle), sans hésiter, cependant, à proposer des comparaisons avec d’autres époques et dans des aires géographiques variées, pour tenter de prendre la mesure de la globalité culturelle du phénomène.

 

CONTRIBUTIONS

Les propositions, de 300 mots maximum, comportant un titre et des mots clés, seront accompagnées d’une courte bio-bibliographie, à envoyer pour le 2 septembre 2018 au plus tard à lesculturesduchapitre@gmail.com (réponse donnée le 15 septembre au plus tard). Les articles définitifs seront à remettre pour le 15 décembre 2018.

Les articles veilleront à respecter la limite de 40 000 signes et à suivre les consignes éditoriales de la revue : https://itineraires.revues.org/2255.

Ils pourront être accompagnés d’illustrations et contenir des liens hypertextes.

Les articles feront l’objet d’une expertise en double aveugle : https://itineraires.revues.org/2252.

 

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