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"Les métamorphoses du héros sériel" (Télévision, n° 9)

Publié le par Marc Escola (Source : Bernard Papin)

« Les métamorphoses du héros sériel »

Au début, au temps des origines, les choses étaient simples : le héros sériel était un solitaire, plutôt ombrageux et sourcilleux sur ses valeurs, un représentant de l’ordre, sans peur ni reproche, agissant sans barguigner au nom de la loi...  Le récit sériel inscrivait ses aventures dans une perspective narrative plutôt linéaire, une sorte de ligne claire, en quelque sorte. Mais, très vite, les choses ont évolué. Le héros a pris ses habitudes et, à force de s’inviter chaque semaine, voire chaque jour, insensiblement, de « saison » en « saison », il s’est imposé dans notre temporalité de téléspectateur et, dans le même temps, a changé de nature et de statut, nous révélant peu à peu sa « vraie nature » (Sabine Chalvon Demersay). En accentuant sa récurrence, il a perdu son rang, il est devenu « multiple », simple protagoniste de récits devenus parfois choraux, à l’orientation axiologique de plus en plus mal définie.

Télévision s’est demandé récemment (n° 7, 2016) ce que les séries télévisées ont fait au récit : il est temps de se demander ce que le récit sériel fait à son héros et de s’interroger sur les métamorphoses de celui-ci. Ce questionnement pourra se faire selon divers axes épistémologiques : sémantique, narratologique, générique, axiologique, … 

La construction au long cours du héros

Le héros sériel entretient avec la temporalité fictionnelle et spectatorielle un rapport inédit et acquiert de ce fait une épaisseur et une complexité qui ne peuvent être celles du héros cinématographique, fût-il récurrent, comme Fantomas ou James Bond. Le héros sériel est un héros qui se construit dans la durée et la répétition. Il est l’objet d’un « récit sans fin » (Jean-Pierre Esquenazi), d’où un approfondissement inédit dans la construction de ce vecteur audiovisuel de nos émotions et de nos investissements de téléspectateur. Un approfondissement d’autant plus conséquent que le personnage est lui-même de plus en plus souvent le produit d’un travail pluriel, au sein d’ateliers d’écriture qui multiplient les facettes de personnages, désormais dotés d’une capacité à se réinventer presqu’à l’infini – ce que le cinéma, récit fermé, clos sur lui-même, ne permet guère. Cette « consistance ontologique pratiquement inégalable » que leur permet d’acquérir la  « durée du spectacle » (Raphaël Baroni) et qui contraint l’art du récit à s’inventer de nouvelles voies narratives reste à approfondir.

Le rapport au corps de l’acteur

De cette permanence, de cette présence réitérée découle également une manière inédite d’investir nos vies qui fait que nous, téléspectateurs, vieillissons avec le personnage, en « observant le vieillissement non simulé des acteurs qui les incarnent » (François Jost, Raphaël Baroni), ce qui produit un effet de familiarité inédite. C’est qu’en effet le héros sériel procède « d’une fusion d’un type particulier entre le personnage et le comédien » (Sabine Chalvon-Demersay). Le comédien se glisse régulièrement dans la peau du personnage et celui-ci, beaucoup plus qu’au cinéma où les acteurs sont souvent interchangeables pour un même rôle, s’incarne dans le comédien. Il y a dans le récit sériel une accoutumance au visage, aux tics de langage, à la gestuelle du comédien, etc., qui rend le personnage consubstantiel à l’acteur au point de constituer une « être hybride qui a un pied dans le monde et un pied hors du monde, un être composite qui a un seul corps et deux âmes » (Sabine Chalvon-Demersay). En conséquence de quoi, la construction des héros de fiction ne peut pas faire l’économie du temps qui passe, pour le personnage comme pour le comédien qui l’incarne. Dans l’univers sériel, on note aujourd’hui le retour en force de « la mise en feuilleton » (Stéphane Bénassi), qui fait se multiplier les « séries feuilletonnantes » ou les « feuilletons sérialisants », ce qui est une manière de prendre en compte une temporalité qui n’était guère de mise dans les « séries canoniques » où le héros était figé dans une éternelle jeunesse. Par ailleurs, bien des auteurs confient que des personnages mineurs dans leur dessein initial ont pu prendre une ampleur imprévisible et accéder au statut de protagonistes par le truchement du corps et du jeu de l’acteur. Sans compter les « incidents de production » (Jean-Pierre Esquenazi), qui peuvent contraindre un show runner à « tuer » l’un de ses personnages majeurs…et à donner à l’intrigue une direction inattendue.

Du simple au « multiple »

Le temps du « pauvre cow-boy solitaire » est passé. Le héros sériel d’aujourd’hui trouve souvent sens et place dans une communauté de destin qui est celle d’un commissariat, d’une étude d’avocats, d’un service hospitalier, d’un « village », … au point d’en devenir « multiple ». Dans cette « configuration où plusieurs personnages remplissent l’actant sujet » (Sarah Sépulchre), le héros ne se disperse pas en une collection de personnages juxtaposant leurs solitudes mais devient une entité collective qui va faire l’objet d’un récit « choral ». Le héros devient alors le support mosaïque d’une caractérisation multiple dont la construction mobilise, au fil des épisodes et des saisons, toute l’attention des ateliers d’écriture. Comment le héros sériel « multiple » se construit-il dans la multiplicité des « rôles » qu’il doit assumer ? D’autant que, loin des seuls commissariats d’antan, les séries envahissent aujourd’hui les sociétés de pompes funèbres, les séminaires, les « bureaux des légendes » des agences de renseignement… L’expansion générique des séries semble infinie et, loin de la mythologie du demi-dieu redresseur de torts, voici venu le temps des héros ordinaires (ou presque).

L’art et la manière de devenir méchant

Autrefois, le héros était, sans contestation possible, un « gentil », un « incorruptible », qui, sans être un « super-héros », faisait toujours triompher le Bien. Il assumait en quelque sorte des missions régaliennes, et s’il n’était pas gendarme, du moins était-il justicier, bandit d’honneur ou voleur gentleman… Puis est venu le temps de héros plus problématiques, parfois qualifiés d’« anti-héros », qui, loin de réconcilier le téléspectateur avec lui–même et de le conforter dans ses valeurs, le laissent dans le trouble et l’incertitude (Umberto Eco) : Est-il bon ? Est-il méchant, comme eût dit Denis Diderot. Nous en sommes aujourd’hui à l’ère des « nouveaux méchants » (François Jost) qui font « bouger les lignes du Bien et du Mal ». Le temps du héros « monolithique » est révolu : voici venu celui des « breaking bad ».  Le positionnement éthique du téléspectateur s’en trouve chamboulé et des postures nouvelles – l’empathie plus que la sympathie, par exemple – sont à inventer  dans l’appréhension du héros par le téléspectateur.

Être devenu méchant, mais aussi définitivement hybride, le héros sériel, multiple et mosaïque,  continue, chaque nouvelle « saison », ses métamorphoses. Ce sont les métamorphoses décrites brièvement ici, et sans doute bien d’autres encore, qu’il conviendra de mettre en perspective et de questionner plus avant dans ce numéro de Télévision.

Proposition de contribution  (2000 signes maximum) à adresser avant le 30 juin 2017 à :

François Jost (francoisjost@orange.fr) et Bernard Papin (bernard.papin@u-psud.fr)

Les textes feront de 35 000 à 45 000 signes et devront être envoyés fin octobre. Après une lecture en double aveugle, le texte définitif, après correction si nécessaire, devra être remis le 22 décembre 2017.