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Líneas, n° 11 : L’âge des minorités

Líneas, n° 11 : L’âge des minorités

Publié le par Marc Escola (Source : Pascale Peyraga)

Appel à contribution - Líneas n° 11 - L’âge des minorités

Numéro coordonné par Dardo Scavino (Université de Pau et des Pays de l’Adour, France)

En 1928, le sociologue allemand Louis Wirth définissait les « minorités » comme des groupes sociaux qui, en raison de leurs caractères physiques, culturels ou linguistiques, n’étaient pas considérés comme des citoyens à part entière des États nationaux érigés autour de l’hégémonie d’un type physique, d’une culture ou d’une langue. Hannah Arendt rappelait que vers 1914 il y avait en Europe environ 30 millions de personnes qui « étaient officiellement reconnues comme des exceptions qu’il fallait placer sous la protection spéciale des traités de minorités ». La philosophe allemande allait jusqu’à soutenir que l’irruption du phénomène des minorités n’était pas étranger au déclenchement des deux guerres mondiales. Quel a été l’impact social et politique des minorités dans les mondes hispaniques ? Quel traitement juridique leur ont réservé les États nationaux ? Que s’est-il passé, par exemple, avec les Gitans en Espagne ou avec les Afro-Américains dans les pays de l’Amérique latine ?

Le phénomène des minorités montre à quel point les États modernes ont été construits en reprenant à l’intérieur des métropoles européennes la relation existant entre ces mêmes métropoles et les peuples jugés « mineurs » par le droit international depuis les premières années de la conquête de l’Amérique. En 1532, le juriste espagnol Francisco de Vitoria avait repris une institution du droit privé romain, la tutelle des mineurs, pour fonder le nouveau droit des gens : estimant que les peuples amérindiens étaient, comme les enfants, incapables de se gouverner par eux-mêmes, Vitoria considérait qu’ils devaient vivre pour leur propre bien sous la tutelle des peuples civilisés jusqu’à leur « majorité », c’est-à-dire jusqu’à leur « émancipation ». Ce « paradigme tutélaire » a été repris par la plupart de juristes du droit colonial jusqu’au Traité de Versailles de 1919 et la Déclaration de l’ONU de 1945 concernant les peuples « non-autonomes ». Certains juristes espagnols estimaient par exemple que les peuples du Rif marocain devaient vivre sous la tutelle de Espagne jusqu’à ce qu’ils deviennent suffisamment mûrs pour avoir un gouvernement autonome. Tout un champ d’études lié au droit et à la gestion des populations « colonisées » par l’Espagne en Amérique, en Afrique ou en Asie peut être incorporé dans ce numéro de Líneas. Plusieurs États nationaux hispano-américains ont, pour leur part, placé les membres des peuples autochtones sous la tutelle des juges de mineurs jusqu’au milieu du XXe siècle, mettant ainsi en évidence l’étroit lien de parenté historique entre les minorités nationales, les peuples mineurs des colonies et les mineurs sous tutelle à l’intérieur de la famille, c’est-à-dire : les enfants, les femmes et les fous.

Sur le plan de la philosophie et des sciences de l’homme, cette différence colonialiste entre peuples mineurs et majeurs, primitifs et civilisés, a donné lieu à partir du XVIIIe siècle au modèle « progressiste » de l’histoire : à partir de ce moment, l’humanité aura une « enfance » et un « âge de la raison ». Kant dira ainsi que l’Illustration est « la sortie de l’homme de la minorité » ou le moment où il n’a plus besoin de tuteurs pour penser : il peut le faire par lui-même ou en utilisant la raison. Présent dans l’anthropologie jusqu’au milieu du XXe siècle, ce modèle établissait un parallèle entre la « mentalité primitive » et l’« enfantine ». Comment les historiens ou les anthropologues espagnols et hispano-américains ont-ils construit des récits historiques ou des images des peuples colonisés à partir de ce schéma « évolutionniste » des populations humaines ? Quelles théories les penseurs du positivisme ont-ils élaboré sur les peuples indiens en s’inspirant de ce schéma ? Quelles politiques les différents régimes positivistes ont-ils mis en pratique, du Mexique jusqu’à l’Argentine, en relation aux peuples autochtones ?

Par simple inversion, ce schéma a donné lieu à des courants artistiques voulant « retourner » aux dessins des enfants, des « primitifs » ou des fous, comme s’il s’agissait de trois noms du même phénomène (Picasso, Miró, l’avant-garde « minoriste » cubaine, etc.). Jusqu’à quel point l’apparition de certaines avant-gardes du XXe siècle s’explique-t-elle par l’inversion du schéma évolutionniste adopté par le positivisme ? Quel est le lien entre cette perspective artistique, l’« indigénisme » andin ou le « négrisme » caribéen ? Mais si la modernité a pensé l’histoire en suivant le modèle de la maturation de l’individu, elle l’a aussi pensé en suivant le modèle de la rupture générationnelle : il ne s’agit plus de s’émanciper en passant de la minorité à la majorité, mais en provoquant une rupture avec la norme majoritaire. Il ne s’agit plus de devenir-majoritaire mais de devenir-minoritaire : au lieu de revenir à l’enfance, produire une anomalie en relation avec une norme établie. Cette idée d’une rupture avec la norme majoritaire et avec les majorités en général sera une attitude revendiquée par des artistes et des penseurs depuis le XIXe siècle et reprise par Deleuze et Guattari dans leur Kafka, pour une littérature mineure, où ils assurent que la création littéraire ou artistique, toujours déviante par rapport au canon, a nécessairement un lien avec une quelconque « minorité » (les femmes, les colonisés, les groupes subalternes, etc.), une littérature dont les caractéristiques seraient la déterritorialisation d’une langue « majeure », l’énonciation collective et la politisation de tous les aspects de la vie. Peut-on penser la question de la littérature des femmes ou des minorités en général à partir de la rupture avec la norme mâle-blanche-occidentale ?

Nous faisons donc un appel à contribution pour le numéro 11 de Líneas, revue consacrée aux cultures, les littératures et les arts des mondes hispaniques, autour de ces questions :

  • Minorités et États nationaux dans les mondes hispaniques
  • Colonialité de pouvoir et du savoir
  • Empires et peuples mineurs
  • La femme sous tutelle
  • Avant-gardes « primitivistes », « minoristes » ou « indigénistes »
  • Littératures « mineures »
  • Subalternité et minorité

Procédure de soumission

Les propositions (titre de la contribution et résumé́ de quinze à trente lignes) sont à envoyer à la revue Líneas (revue.lineas@orange.fr) avant le 30 octobre 2017. Elles seront soumises au comité́ de rédaction, qui évaluera l’adéquation entre l’appel à contribution et les résumés envoyés. Les contributions définitives seront à remettre avant le 30 mars 2018. Elles seront alors anonymement soumises à une double expertise, pour une publication à l’été 2018, dans le numéro 11 de Líneas, « L’âge des minorités ». Les textes pourront être rédigés en langue française ou espagnole. Les articles ne dépasseront pas les 10000 mots (format Word.doc sans stylage exclusivement), notes et bibliographie incluses. Ils devront suivre impérativement les normes éditoriales de Líneas (document de « consignes aux auteurs » en ligne : http://revues.univ-pau.fr/lineas/401).

Contact : revue.lineas@orange.fr