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Prométhée parmi nous, présence, survivance et revenance du mythe de Prométhée dans les arts XIXe – XXIe siècle (Univ. d'Artois)

Prométhée parmi nous, présence, survivance et revenance du mythe de Prométhée dans les arts XIXe – XXIe siècle (Univ. d'Artois)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Maxence Cambron et Pénélope Dechaufour)

Prométhée parmi nous

Présence, survivance et revenance du mythe de Prométhée dans les arts XIXe – XXIe siècle 

Organisée par l’équipe de recherche « Praxis et esthétique des arts » du laboratoire Textes & Culture (EA 4028), cette journée d’étude se tiendra à l'Université d'Artois le vendredi 29 mars 2019. Nous proposons de nous pencher sur les usages du mythe de Prométhée dans les arts (littérature, arts de la scène, arts visuels…) du XIXe siècle à nos jours. Par l’exploration des relations entre arts, sciences et techniques, il s’agira de questionner la manière dont la figure prométhéenne permet aux artistes d’interroger poétiquement et politiquement le mythe séculaire du progrès et l’inscription (principalement jugée néfaste) de l’homme moderne dans le Monde. C’est donc à la croisée de problématiques artistiques, philosophiques, écologiques tout comme anthropologiques et politiques que nous envisageons cette journée.

Si Prométhée, selon Albert Camus, est celui « qui aima assez les hommes pour leur donner en même temps le feu et la liberté, les techniques et les arts » (« Prométhée aux Enfers », L’Eté, 1954), il est aussi le héros ambigu dont la ruse et la prévoyance condamnent l’humanité au combat contre la finitude. Comme le rappelle en effet Jean-Pierre Vernant[1], par le don de la nourriture carnée et le vol du feu (entre autres « stations » du mythe), le Titan, tout en émancipant les pauvres hommes du puissant joug de Zeus, les enchaînent au besoin de survivre et au développement de techniques dévolues à leur préservation.

Fréquemment requise depuis Hésiode et Eschyle sur les territoires des arts et de la pensée pour délivrer une explication aux mystères des origines de la vie et des connaissances humaines, la geste prométhéenne apparaît également comme un vecteur symbolique éclairant la soif de savoir et de progrès a priori inextinguible de la nature humaine[2]. C’est d’ailleurs sous le vocable de Prométhée que Gaston Bachelard analysait, dès les premières pages de La Psychanalyse du feu – ouvrage inaugural de son enquête sur l’imagination matérielle – ce « complexe d’Œdipe de la vie intellectuelle […] qui nous [pousse] à savoir autant que nos pères, plus que nos pères, autant que nos maîtres, plus que nos maîtres »[3] qu’est le « complexe de Prométhée ». Ainsi Prométhée serait-il le nom d’une ardeur savante et technicienne dont les bienfaits sont au fondement du progrès et de son culte.

Pourtant, à l’ère inquiète de l’anthropocène et de la troisième révolution industrielle, à l’heure de l’urgence écologique et des fantasmes ambivalents sur l’intelligence artificielle et le transhumanisme, il semble qu’un renversement de perception de la figure prométhéenne se fasse jour. En ce qu’il articule création, savoir et progrès, le mythe semble en effet particulièrement présent dans le domaine des arts modernes et contemporains pour mettre en doute, voire même en crise, cette volonté de dépassement perpétuel des limites de l’humaine condition ; cette hybris – si condamnée par les grecs – conduisant le désir à se confronter voire à se substituer aux dieux et à la Nature.

C’est ainsi qu’à l’image de Prométhée le « prévoyant », génie de la connaissance et de la civilisation, martyr au terrible supplice dévoué à la cause des Hommes, paraît donc succéder l’image de l’ange noir du progrès, agent toxique par qui est venu le poison de l’autodestruction. De la victime au coupable il n’y aurait donc qu’un pas que Günther Anders, dans L’Obsolescence de l’homme, propose de nommer la « honte prométhéenne ». Cette honte, écrit-il, est celle qui « s’empare de l’homme devant l’humiliante qualité des choses qu’il a lui-même fabriquées »[4] ; lorsque l’homme, inspiré par Prométhée, inventif et puissant, à l’intelligence sans limites, constate que cette infériorité, cette faiblesse face à ses propres créations, peut devenir la source de son éradication et des pires risques pour le futur.

Que l’on songe aux usages qu’en ont faits la littérature, la philosophie, la psychanalyse – du Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley (1818) au Prométhée mal enchaîné d’André Gide (1899) – ou encore la musique – Les Créatures de Prométhée, musique de ballet composée par Beethoven (1801), Prométhée, poème symphonique de Liszt (1850/55), Prométhée ou le Poème du feu de Scriabine (1910) ou plus récemment Prométhée. Tragédie de l’écoute de Luigi Nono (1985), sans compter les nombreuses reprises dans le domaine des Beaux-Arts et les quelques références au cinéma (tel le Prometheus de Ridley Scott, 2012), on ne peut que constater la profusion des œuvres s’inspirant de cette figure, notamment pour interroger les notions de conscience et de liberté.

Plus particulièrement, dans le domaine des arts de la scène, des metteurs en scène comme André Engel (Prométhée porte-feu, sur une dramaturgie de Bernard Pautrat, 1980),  Stéphane Braunschweig et Olivier Py (tous deux mettant en scène, à onze ans d’écart, le Prométhée enchaîné d’Eschyle – 2001, 2012) ou Jan Fabre (livrant sa propre version de la pièce d’Eschyle dans Prometheus Landscape II en 2011) mais également des auteurs comme Aimé Césaire (Et les chiens se taisaient, 1946), Heiner Müller (Prométhée, 1969), Enzo Cormann (Le Roman Prométhée, 1986), Henry Bauchau (Prométhée enchaîné, 2000), Rodrigo Garcia (Prométhée, 1998) ou Kossi Efoui s’inspirent ou s’emparent du mythe par le biais de formes et d’esthétiques radicales relevant de la recherche de nouveaux modes d’expression voire de la performance où langue, corps et matières sont pleinement mobilisés pour tenter de dire le monde actuel et questionner l’avenir.

En seconde partie de journée, nous aurons l’opportunité d’assister à une représentation de L’Oubli de l’eau. Suite prométhéenne n°1. Ce spectacle de la compagnie Théâtre Inutile (mise en scène de Nicolas Saelens, dramaturgie de Kossi Efoui) sera suivi d’une rencontre avec l’équipe artistique et permettra d’envisager l’après-midi comme un temps d’échange et de rencontre collectifs.

Qu’elle soit explicitement convoquée ou qu’elle se mue en détour ou en concept utile à la compréhension des enjeux modernes et contemporains du futur planétaire – de la geste prométhéenne employée comme motif de variations infinies, au geste prométhéen dans lequel se distribue autrement que par un jeu d’équivalences narratologiques la visée profonde de l’acte artistique –, la figure de Prométhée sera ainsi au centre d’une journée où chercheurs et chercheuses en études théâtrales, littérature comme d’autres disciplines artistiques seront invités à proposer un regard esthétique sur cette part de la création moderne et contemporaine sensible au devenir de la Terre et à l’héritage qu’y laissent les hommes qui en usent.

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Les propositions de communication (titre, court résumé et notice bio-bibliographique) sont à envoyer avant le 11 janvier 2019 à : maxence.cambron@orange.fr et dechaufour.penelope@gmail.com

Les communications seront d’une durée de 20 mn.

 

[1] Jean-Pierre Vernant, L’Univers, les dieux et les hommes. Récits grecs des origines (1999)

[2] Cf. Aline Le Berre (dir.), De Prométhée à la machine à vapeur. Cosmogonies et mythes fondateurs à travers le temps et l’espace (2004)

[3] Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu (1949)

[4] Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme (1956)