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Saison (revue Cinétrens n°5)

Saison (revue Cinétrens n°5)

Publié le par Marc Escola (Source : Revue Cinétrens)

Saison

appel de revue Cinétrens pour son cinquième numéro

« Il y a quelque chose qui n’appartient pas à l’ordre du temps et qui pourtant revient chaque année comme l’automne et comme l’hiver, comme le printemps et comme l’été. Quelque chose qui a ses fruits et sa lumière. Une avant saison qui erre furtivement toute la vie, qui hante les saisons calendaires, qui visite un peu les activités du jour, souvent les sentiments, toujours le sommeil, par le biais des songes et des récits auxquels ils aboutissent dans cette espèce de souvenir verbal qu’on retient d’eux, en lui ôtant toute luminescence et toute fièvre. […] Saison qui est étrangère non pas au langage, mais au tout du langage, étrangère au langage comme discours, étrangère à toute pensée très articulée. »

Albucius, Pascal Quignard

 

Davantage que la quadrilogie cyclique qui organise l’année terrestre, les saisons rythment une variété bien plus grande de phénomènes, dont l’étendue s’avère sensible à une infinité de variations. Ce peuvent être les tonalités successives d’une conversation, à qui il arrive parfois de prendre toutes les inflexions de la voix humaine, aussi bien que de plus longues périodes historiques – le temps de la crispation, le temps du dégel – qui scandent le siècle de leur ombre plus persistante. D’une saison, nous retenons qu’elle est le temps d’un état donné, la météorologie d’une période. La somme de tous les accidents privés et publics, minuscules ou apocalyptiques, qui font trembler un phénomène, en interroge sans cesse l’équilibre, sans – encore – le faire vaciller. D’une saison nous disons qu’elle est la part variable, la modalité d’une substance, et même la médiation nécessaire de son apparaître. Une saison n’est que le climat du jour d’un objet.

Une saison s’abat, et c’est l’urgent passage d’un temps à un autre ; une saison toujours nous met en crise. Elle est encore une variation normale, naturelle, d’un climat attendu, et déjà elle nous prévient qu’un bouleversement plus grand lui fera suite : chaque saison ne nous dit-elle pas qu’elle n’est que temporaire, ne nous signifie-t-elle, pas, parce qu’elle est saison, que son contraire est à venir ? Mais une saison à l’âge moderne ne fait plus seulement que nous dire qu’elle reparaîtra, identique à elle-même, une fois que toutes les étapes du cycle auront achevé leur cours, elle nous inquiète désormais qu’elle ne reparaisse jamais plus.

Le discours métaphorique des saisons

Empruntée à la tradition poétique et picturale, la représentation indicielle des saisons au cinéma a très vite servi le discours de l’image. Par migration métaphorique, gestes de comparaison ou déplacements de sens, les éléments météorologiques, assignés traditionnellement au fonctionnement cyclique du climat humain, ont permis aux images cinématographiques d’articuler un discours selon différents systèmes d’équivalences entre les manifestations de la nature et les activités humaines.

En effet, nombreuses sont les œuvres qui, suivant cet effet mimétique que John Ruskin appelait la pathetic fallacy, l’illusion pathétique d’une correspondance entre l’intériorité du sujet lyrique et le macrocosme universel, font de l’environnement immédiat des personnages le support direct d’une projection anthropomorphique. Particulièrement visible dans le cinéma d’animation, où l’environnement peut s’incarner dans une entité vivante et individualisée, ce phénomène caractérise également de nombreux films où les éléments climatiques jouent un rôle fondamental dans la diégèse. Il est ainsi évident de constater le rôle que prend la sensation d’étouffement provoqué par la chaleur de l’été dans Accattone (1961), de Pasolini, l’aveuglement ensoleillé dans L’Inconnu du lac (2013) d’Alain Guiraudie ou l’été fugitif de Requiem for a Dream (2000), unique rayon lumineux d’une trajectoire où le printemps ne parviendra jamais à advenir.

Mais davantage qu’une météorologie devenue ressort dramatique de la fiction, la saison particulière d’un film se manifeste par une présence plus diffuse : elle n’est plus seulement cet élément naturel qui vient interrompre ou justifier le cours intentionnel des actions des personnages, en constituer l’espace de jeu et d’action ; mais elle définit plus largement la palette d’émotion et d’interprétation qui viendra colorer la scène en participant à manifester sa tonalité particulière. Ainsi, afin de rendre présent cette mélancolie qu’il ressentait devant la pièce de Sir Alain Ayckbourn et qu’il nommait le « cœur de l’amande », Alain Resnais faisait tomber dans Cœurs (2006), en plein milieu de la cuisine, de la neige sur les personnages solitaires interprétés par Pierre Arditi et Sabine Azéma. La Mère (1926) de Poudovkine, quant à lui, se termine par l’arrivée des révolutionnaires cherchant à libérer des prisonniers retenus par le Tsar. Sous leurs pas, la Neva se brise comme pour annoncer le début d’une nouvelle ère, le passage de la révolte à la révolution. Les indices des saisons, entre changements naturels du climat et atmosphères singulières, ont construit un alphabet iconologique disponible aux cinéastes à la fois pour extérioriser les profondeurs de l’âme ou pour rendre visible et lisible les grands mouvements de l’Histoire humaine.

Le temps du dégel – succédant toujours à celui de la crispation – est par exemple pleinement constitutif de l’histoire du cinéma soviétique : il donne place à une nouvelle génération de cinéastes qui réintègrent une authenticité naturelle à leurs films, dans laquelle l’ordinaire, le poétique et l’imaginaire viennent désormais se substituer aux représentations des héros aux faits exemplaires. Mikhhaïl Kalatozov nous conduit d’une nature hivernale hostile qu’il s’agit de combattre avec bravoure dans Sel de Svanetie (1930) vers les aléas météorologiques de Quand passent les cigognes (1957), où l’orage qui s’abat, tout chargé d’érotisme et d’excès, incarne une nature plus mystérieuse, symbole de l’impuissance et des affres de la condition humaine.

La « saisonnalité » documentaire

Avec le néo-réalisme, la Nouvelle Vague et l’introduction de plus en plus assurée de l’image documentaire dans la fiction, toute une nouvelle représentation de la saison se distingue de son usage classique et métaphorique. Quand le studio devait nécessairement contrôler le climat puisqu’il le reproduisait, les prises de vue directes en extérieur ont fait de la saison même du tournage un des éléments documentaires inaliénables du film. Chaque saison ne se résume plus à la somme des ses éléments allégoriques et l’image de cinéma ne peut plus se satisfaire, comme le plateau de théâtre, de la réduction symbolique du décor. La neige de l’hiver, les feuilles de l’automne, le soleil de l’été ou les fleurs du printemps n’indiquent plus un « effet de réalité ». La saison devient un mode d’attention à la circonstance singulière, une réponse au monde et à ses représentations.

Il n’est pas un hasard si « l’expérience nouvelle de cinéma-vérité » que promet Jean Rouch à Edgar Morin au début de Chronique d’un été limite le tournage du film à l’été 1960 comme pour respecter non pas seulement l’unité de lieu, Paris, et l’unité d’action, interroger ses habitants, mais également une unité de temps qui serait la saison. Deux ans plus tard, dans la même ville, Chris Marker et Pierre Lhomme réalisent avec Le Joli Mai un exercice similaire et c’est alors le printemps qui sert de cadre saisonnier au film. Si l’on retrouve cette articulation métaphorique des saisons, puisque la France vient de signer les accords d’Évian ouvrant une période de paix, c’est bien la lumière de la saison qui vient colorer l’image de Pierre Lhomme et détache du simple discours et symbole, la matière expressive du mois printanier. Le cinéma bascule ainsi d’une négation du pouvoir des saisons et de sa primauté sur la mise en scène de l’homme à la conversion de cette primauté en stratégie de la représentation. C’est ainsi que, dès cette époque, des films, même de fiction, peuvent s’avérer dans une certaine mesure « dictés » par leur attention aux saisons. Par le biais de la modification issue de l’image documentaire « directe », le cinéma de fiction lui-même développe alors un nouveau rapport à la saisonnalité : la saison n’est plus une image métaphorique immédiate de l’intériorité, d’une expressivité limitée, mais devient une des conditions principales de la mise en scène. Chez Rohmer, c’est tout un ensemble de thématiques et de dispositifs qui vont se retrouver ainsi conditionnés par les types d’espace, de relations et de conversation qu’une saison rend possible. Ainsi des flirts légers au bord de l’eau dans Le Genou de Claire (1970) ou Conte d’été (1996) : si les travellings sont un des motifs centraux de la conversation des « films d’été » rohmérien, ils sont au contraire réinterprétés dans le « film d’hiver » Ma nuit chez Maud (1969) en un huis-clos à la tension plus érotique et lourde de conséquence.

Sur un autre plan, l’organicité même du film peut être remise en question par ce passage cyclique du temps. Dans les Seasons (2002), Stan Brakhage et Phil Solomon reconstruisent le cycle saisonnier, organisé de l’été au printemps, en reportant simplement sur le support filmique différentes couleurs et textures, différentes intensités des raies de lumière qui viennent s’impressionner sur la pellicule. Dans des pratiques plus expérimentales encore, plusieurs artistes ont fait l’expérience d’enterrer pendant plusieurs mois des fragments filmiques – rubans vierges, matériaux personnels ou appropriés – pour faire émerger les nouvelles images organiques d’une destruction accélérée par l’humidité et les bactéries de la terre qui agissent directement sur la pellicule. Städten in Flamen (1979) de Jürgen Reble fut par exemple réalisé à partir d’une copie d’un film canadien d’abord enterrée dans un jardin puis brûlée et attaquée à l’acide avant d’être refilmée grâce à une tireuse optique.

Dérégulation du climat 

Cependant, l’utilisation symbolique et signifiante des saisons comme fonds iconographique, tout comme l’attention aux manifestations phénoménales propres du réel, subissent de plein fouet les crises de la dérégulation contemporaine du climat. Les avertissements répétés du réchauffement climatique, devenus enjeu majeur de la société humaine et angoisse moderne de l’individu, introduisent un malaise dans la représentation de la nature et de ses cycles, si bien que l’ensemble du système écologique du regard lui-même se trouve bouleversé. Le catastrophisme, d’expression purement humaine de la fin d’un monde, s’est déplacé vers l’inquiétude d’un environnement aux saisons exacerbées ou tout simplement sans plus aucune régulation saisonnière.

S’il est vrai qu’on a pu constater dans le catastrophisme du cinéma grand public le réemploi d’images canoniques puisées à la fois dans la littérature et le cinéma de genre, la dérégulation des saisons a permis l’émergence d’un nouveau lieu d’interrogation des rapports entre l’homme et son environnement. L’exemple le plus récent et le plus populaire se trouve dans l’adaptation des romans de medieval fantasy écrits par George R. R. Martin en série télévisuelle à succès par HBO depuis 2011. Le monde fantastique de Westeros, dont les correspondances politiques avec le notre ont déjà été déjà montrées, fait face précisément à la dérégulation d’une saison perturbant l’équilibre des nations. La fantasy, et dans d’autres exemples, la science-fiction ou l’anticipation, est ici à voir comme dispositif de préfiguration des maux multiples que les sociétés humaines doivent affronter. L’hiver qui n’annonce plus le printemps devient aussi la temporalité du péril causé par la multiplication des flux migratoires, par l’avertissement climatique et par l’impossible conciliation des peuples.  

La télévision et le cinéma ont ainsi fabriqué la représentation des catastrophes climatiques en articulant la puissance utopique de la fiction et la critique idéologique de l’enregistrement documentaire. Le dernier plan du film Take Shelter (2011) de Jeff Nichols nous montrait cette tension. Le film s’achève par la représentation iconique d’une famille américaine face à la matérialisation de la vision prophétique du mari en une tempête lointaine. Les possibilités réflexives de la représentation d’une classe moyenne américaine se trouvent ainsi confrontées aux renversements des valeurs de l’Amérique (moyenne) et aux allers-retours discursifs de la prémonition d’une catastrophe climatique. Suivant un scénario semblable à l’époque d’autres inquiétudes, le père de famille joué par Toshiro Mifune dans Vivre dans la peur (1955) d’Akira Kurosawa, abandonnant le personnage d’idiot prescient des Sept Samourais (1954) pour celui de fou tragique, cherchait dans un accès de démence à vendre tous ses biens et d’émigrer au Brésil, persuadé jusqu’au bout que la catastrophe nucléaire allait à nouveau frapper le Japon dix ans après Hiroshima et Nagasaki. Quelques années plus tard, La Nuit (1961) d’Antonioni, à l’atmosphère hantée subrepticement par le même spectre du champignon radioactif, s’achevait dans l’évanouissement le plus total des figures humaines. Filmés avec une proximité intensément matérielle, comme l’eau s’écoulant d’un tonneau percé, ces quelques plans, annonçant peut-être la tendance contemporaine des films non-humains comme Leviathan (2012) de Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel, forment l’image temporelle glaçante d’une « saison nucléaire » à venir.

Dans cette acception contemporaine, souvent marquée par l’inquiétude, de la représentation des temps, la saisonnalité perd alors le caractère anthropomorphique que la subjectivité artistique lui conférait volontiers, pour n’être plus que l’agent d’une méditation inquiète sur la poursuite du cycle saisonnier. Alors la problématique de la cyclicité naturelle et rassurante des saisons bascule vers celle de l’angoisse de la destruction irréparable de la répétition. Ces figures d’un temps apocalyptique interrogent à nouveaux frais la saisonnalité comme le moment d’un possible basculement d’une saison humaine vers un temps dont l’homme serait absent.

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Nous espérons que ce parcours autour des différentes représentations des saisons au cinéma permet de dégager les différents enjeux de la question selon des approches et des corpus variés. L’approche globalisante laisse également la possibilité de travailler sur un sens encore plus général de la saison et sur sa relation avec le profilmique et l’industrie du cinéma. En effet, la sérialisation grandissante du médium cinématographique et des productions télévisuelles peut également nous amener à s’interroger sur les fondements du calendrier des sorties et de son impact culturel dans le monde. On parle ainsi de « la saison des Oscars » aux États-Unis et les différentes grandes maisons de productions planifient la sortie de leurs blockbusters en fonction de deux périodes-clés : l’hiver (les « films de Noël ») et l’été (les films des vacances). Ce type d’étude de la sociologie et des institutions du cinéma pourrait également s’intéresser aux festivals et à la façon dont leur rythme et leurs répartitions périodisent l’année cinématographique.

Axes de recherche possibles :

Étude sur la représentation symbolique et métaphorique des saisons au cinéma. Analyse comparée des relations entre poésie, arts visuels et musique articulée autour du thème des saisons.  La question du « cinéma du dégel » et de la représentation des événements climatiques dans les films politiques.  Analyse portant sur des films construits en différents cycles ou rythmes comme La Sixième partie du monde de Vertov (1926), Les Saisons de Pelechian (1972) ou encore Printemps, été, automne, hiver … et printemps de Kim Ki-duk (2003). Travaux portant sur les « films saisonniers » comme les Conte des quatre saisons de Rohmer, ou les variations climatiques des films de Hong Sang-soo. La représentation de la dérégulation des saisons dans le cinéma catastrophe. Analyse de sociologie du cinéma sur la question des cycles du calendrier des sorties et plus généralement sur le rythme de l’industrie du cinéma et sur le rôle des différents acteurs dans l’imposition de ce rythme.

 

Notes aux contributeurs :

- La date limite d’envoi des articles et contributions graphiques est fixée au 15 juin 2018.

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- L’usage de photogrammes est autorisé et bienvenu si ceux-ci sont utilisés dans le texte de l’article.

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La revue Cinétrens est née à l'École Normale Supérieure de Lyon. Son ambition est d’ouvrir le champ cinématographique à une approche transdisciplinaire, c’est la raison pour laquelle nos appels à contributions s’adressent tout autant à des écrivains de cinéma – théoriciens, critiques ou auteurs – qu’à des cinéphiles d’autres horizons, désireux d’éprouver leur champ de spécialisation sur le territoire du cinéma. Chaque numéro propose ainsi un objet susceptible d’intéresser le cinéma, qui le travaille de l’intérieur et participe à sa définition ou à celle des pratiques des réalisateurs et des spectateurs.

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