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Shakespeare et le monde animal (Paris)

Shakespeare et le monde animal (Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Yan Brailowsky)

Congrès de la Société Française Shakespeare
Paris, Fondation Deutsch de la Meurthe, 10-12 janvier 2019

 

Dans le titre d’un livre écrit en 1973, Terence Hawkes évoquait « les animaux parlants de Shakespeare ». Si la question du langage et de la communication est évidemment centrale, elle est loin d’être le seul trait que le dramaturge retient pour différencier l’homme de l’animal dans son œuvre. Ce fils de gantier d’une petite ville de province qui a, dans sa jeunesse, nécessairement assisté à l’abattage et à la souffrance des bêtes, tout en étant par ailleurs initié au processus de traitement des peaux et autres matières animales, a certainement vécu là une expérience personnelle forte et a ainsi dû attacher une attention particulière à ce monde des animaux.

Les animaux sont en effet au cœur du corpus shakespearien, à la fois par leur présence scénique (on pense à Crab, le chien de Lance, dans Les Deux gentilshommes de Vérone ou encore à l’ours du Conte d’hiver), et par leur évocation du monde médiéval de l’héraldique et des bestiaires, de la chasse et du sacrifice. Les historiae animalium d’Aristote, de Pline l’Ancien comme celles de Conrad Gesner et de Topsell, les livres d’emblèmes représentant de nombreux animaux, ont fourni à Shakespeare et à ses collègues dramaturges un vaste répertoire d’images, de proverbes, voire de petites fables ironiques. Quant aux Métamorphoses d’Ovide, elles se retrouvent dans l’âne Bottom, le loup Shylock ainsi que chez un Orsino qui se compare à Actéon, mais aussi à propos des chiens d’assassins convoqués par Macbeth, des filles pélicans de Lear ou encore de Caliban, l’homme poisson de La Tempête. Aux dires de Iago, Desdémone et Othello « font la bête à deux dos » et menacent de produire toute une engeance de monstres. Mais aussi bien le théâtre, jeu de masques et de déguisements, favorise de telles métamorphoses, qu’il s’agisse de faire rire, d’effrayer ou de donner à penser, comme avec la face de chien de De Florès (La Tragédie de l’échange de Middleton) ou les noms-sobriquets animaliers des personnages du Volpone de Ben Jonson.

Alors, l’homme est-il ce « parangon des animaux » ainsi qu’Hamlet le déclare à Rosencrantz et Guildenstern dans un moment d’ironie amère ? Car, outre une vraie compassion pour les bêtes à l’âme sensitible, pour la bête malheureuse qui sert à illustrer la mélancolie ou le taedium vitae, les animaux sont aussi présentés comme autant de modèles possibles pour l’homme. Aux yeux de l’archevêque de Canterbury, les abeilles « enseignent / La pratique de l’ordre au peuple du royaume » (Henri V) tandis que toute la beauté et la noblesse d’Antoine se résument pour Cléopâtre dans l’image du dauphin bondissant au-dessus de l’onde.

La bête (le mot beast apparaît à 75 reprises dans l’œuvre de Shakespeare alors qu’elle ne comporte que huit occurrences pour le mot animal) se différencie bien sûr de l’animal qui, étymologiquement, renvoie au souffle de la vie (anima) qui produit le mouvement. Dès lors se pose la question de la domestication et du dressage et donc celle de l’opposition entre sociabilité et sauvagerie. Dans La Mégère apprivoisée, le Seigneur s’occupe avec amour de ses chiens au retour de la chasse, tandis qu’il est révolté par le spectacle donné par l’ivrogne Sly : « Oh ! la monstrueuse bête, il est vautré comme un porc ». Shakespeare, comme toujours, se montre attentif à la singularité et à la diversité des individus plus qu’à l’espèce ou à la catégorie, et le monde animal donne lieu à la multiplication vertigineuse des appellations et à diverses acrobaties linguistiques. Il illustre l’idée de la hiérarchie et symbolise l’ordre tout en se voyant aussi utilisé à des fins subversives, comme chez Hamlet, pour qui, par le biais du poisson qu’il sert à attraper, le ver de terre, « seul empereur de la bonne chère », va permettre au mendiant de manger du roi…

Ceux-là mêmes qui font aussi leur entrée sur scène pour servir d’objets scéniques et d’instruments au spectacle vivant sont aussi à la base de la fabrique d’outils et d’objets de la vie quotidienne. Ainsi le tambour, tendu de peaux de chèvre, d’agneau, de vache, de poisson ou de reptile depuis la plus haute antiquité, garde-t-il dans les emblèmes le caractère de l’animal dont il est fait. À l’opposé de cet instrument guerrier, le luth matérialise le pouvoir céleste de l’harmonie qui élève l’âme et la rapproche de Dieu. Mais les cordes du luth étant en boyau et sa caisse en forme de tortue, l’instrument connote en fait une animalité suspecte et une qualité vivante qui contraste souvent avec les vertus surnaturelles dont il est paré.

Ce colloque sur « Shakespeare et le monde animal » devrait donc permettre d’aborder des sujets aussi importants que variés, à la fois dans les œuvres de Shakespeare et de ses contemporains. En voici quelques exemples à partir d’une liste qui n’est bien entendu nullement exhaustive :

  • Le rôle de l’héraldique animale ;

  • La fable et sa subversion ;

  • La chasse, ses rites, son lexique, ses images ;

  • Domestication et état de nature ; animaux familiers et bêtes sauvages ;

  • Place et fonction de la métamorphose ; les animaux dans le rapport à l’imaginaire, au rêve et à l’inconscient ;

  • Reprises et allusions aux mythes anciens impliquant les animaux (mythe biblique du déluge, mythe de Phaëton et des chevaux du soleil etc.) ;

  • Le monde animal en relation avec le climat et l’environnement ;

  • L’animalisation de l’homme (et de la femme) et l’humanisation de l’animal ; les monstres ; l’homo ferus ; les hybrides et animaux fantastiques ; l’ésotérisme et ses chimères ;

  • Les images animalières dans les figures du délire, de la folie, de la possession et de la sorcellerie ;

  • Les jeux de mots, les noms d’oiseaux, la terminologie, les combinaisons lexicales et linguistiques ;

  • La nourriture carnée, l’abattage, la boucherie ; cruauté ou compassion vis à vis de l’animal ;

  • Les animaux dans les sports, les jeux et les fêtes ; les images animalières dans les révoltes populaires, les carnavals, le mundus inversus ;

  • Les animaux et l’organisation sociale et politique ;

  • Le monde animal comme reflet de l’ordre, le monde animal comme image du chaos ; les classifications et les hiérarchies : du roi des animaux à la vermine, du noble à l’ignoble, de l’admirable à l’effrayant ou au repoussant ;

  • Animalité, bestialité, sexualité 

  • Les objets relatifs au monde animal : peaux, fourrures, objets en corne, fétiches, armes, instruments de musique ;

  • Les animaux et la musique ;

  • Les animaux sur scène et à l’écran.

Comité scientifique

Rebecca Bach (University of Alabama at Birmingham), Yan Brailowsky (Université Paris Nanterre, Société Française Shakespeare), Charlotte Coffin (Université Paris-Est Créteil), Sarah Hatchuel (Université Le Havre Normandie, Société Française Shakespeare), François Laroque (Université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle), Karen L. Raber (University of Mississippi), Chantal Schütz (École Polytechnique, Société Française Shakespeare), Nathalie Vienne-Guerrin (Université Paul-Valéry Montpellier 3, Société Française Shakespeare).

Soumission

Pour vos propositions, merci d’envoyer à contact@societefrancaiseshakespeare.org avant le 10 mai 2018 un titre accompagné d’un résumé développé, compris entre 500 et 800 mots dans lequel quelques mots permettront de préciser de quelle(s) façon(s) la communication pourra se rattacher au sujet choisi pour ce congrès. On joindra également une brève notice biographique.