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Trajectoires transfuges. La langue et le corps dans l’entre-deux des classes sociales (Montréal)

Trajectoires transfuges. La langue et le corps dans l’entre-deux des classes sociales (Montréal)

Publié le par Marc Escola (Source : Karianne Trudeau Beaunoyer)

Trajectoires transfuges

La langue et le corps dans l’entre-deux des classes sociales

Journée d’étude

Montréal

14 mars 2018

 

Cette journée d’étude entend ouvrir un espace de réflexion collective sur le concept de « transfuges » à partir de la manière dont il permet de penser les déplacements entre des classes sociales, et se propose d’interroger, sous ce thème, un ensemble de parcours qui se trouvent dans des situations perpétuelles d’entre-deux.

Plus fréquemment mobilisé en France qu’au Québec, ce concept est notamment mis en acte dans les œuvres d’Annie Ernaux (1983, 1997), de Didier Eribon (2010) et d’Édouard Louis (2014, 2016) qui, en faisant le récit de leur éloignement d’un milieu populaire par la fréquentation des institutions scolaires et l’acquisition (tardive) de « capital culturel », témoignent des contradictions et des conflits vécus dans un double écart du monde familial d’origine et du monde d’arrivée dont ils ne maîtrisent que partiellement les codes sociaux. Au-delà des acceptions qui lui accordent le sens restrictif de « désertion » ou de « trahison » appliqué au changement d’allégeance à un pays ou à un parti (Jaquet 2014), la notion de « transfuges » telle que nous l’entendons fait ainsi principalement référence aux trajectoires d’intellectuel·le·s de première génération (Mauger 2004; Naudet 2013; Canisius, Doray, Bonin, Groleau et Murdoch 2010). En tant qu’individus, les transfuges se trouveraient partout nulle part et développeraient ce que Bourdieu a nommé un « habitus clivé » (1997).

Les études de Martine Leibovici (2013) et de Chantal Jaquet (2014) proposent déjà quant à elles de penser la pluralité des formes que peut prendre la figure du « transfuge/transclasse ». En plus de s’appliquer aux « migrations de classes » qu’effectuent les intellectuel·le·s de première génération, le concept de « transfuges » renvoie à un ensemble de situations d’entre-deux, dans lesquels les individus contestent l’idée d’une « identité » qui constituerait un « noyau immuable résistant au changement » (Jaquet 2014 : 107). Les « transfuges » référeraient ainsi à celles et à ceux qui manifestent une capacité d’adaptation au fil de leurs déplacements à travers différents espaces sociaux (Schütz 2003; Sayad 1999; Wright 1945; Djebar 2005) et qui opèrent, parmi les nombreux moyens adoptés pour s’ajuster, une désidentification dans un processus simultané (et toujours imparfait) d’identification à autre chose. Leurs dispositions étant modulées, apprises ou copiées, elles attesteraient la force normalisatrice à l’œuvre dans divers milieux en même temps qu’elles défieraient la naturalisation de traits, de savoirs, de comportements ou de postures liés à des groupes présumés immuables. Les reconfigurations effectuées par ces individus adviennent dans un rapport dynamique avec la langue et le corps, « lieux » où se concrétisent les rapports de pouvoir, mais également d’où ils peuvent être interrogés, contestés, modifiés ou subvertis.

Figures en marges, l’apparition des transfuges dans la sphère publique (universitaire et artistique) pose entre autres la question des « sujets légitimes » de la connaissance et des représentations. À la fois matérielles et idéelles, ces réflexions sont indissociables du contexte dans lequel ces trajectoires de transition se déploient comme de leur mise en forme dans les discours qui en rendent compte. Cette journée d’étude a ainsi pour but d’éclairer divers lieux de tensions chez les transfuges à partir de leurs manifestations et de leurs représentations littéraires, artistiques ou sociales, autour des questions suivantes, ni mutuellement exclusives, ni exhaustives :

Comment définir le concept de transfuge? Qu’est-ce que les transfuges nous apprennent sur la normativité sociale et le caractère construit des normes et des codes, notamment en lien avec la langue et les corps? Interrogeant la perméabilité des frontières, les transfuges participeraient-ils à dénaturaliser l’ordre social et les hiérarchies? Comment les transfuges problématisent-ils la question d’une identité immuable en oscillant entre authenticité et falsification? Comment penser les trajectoires des transfuges au-delà d’un raisonnement en termes de volonté idiosyncrasique? En quoi les trajectoires de transfuges invitent-elles à revoir les catégories de perception sociale? De quelle manière se manifestent les emprunts (stylistiques, esthétiques, linguistiques, corporels) à une culture/norme dite légitime? En quoi les parcours de transfuges génèrent-ils une position autoréflexive autour de certains marqueurs (corporels, langagiers, vestimentaires, etc.)? Quels sont les liens entre l’écart qui caractérise la posture des transfuges et qui leur permet de s’observer soi-même et l’autoréflexivité des manifestations littéraires des trajectoires de transfuges? À partir d’expériences éprouvées et subjectives, de quelle nature sont les changements apportés à la langue (registre, vocabulaire, jargon) au cours des trajectoires transfuges? Quelles habitudes corporelles et langagières avez-vous dû quitter (ou intégrer) selon les milieux à travers lesquels vous vous êtes déplacé·e·s?

 

Modalités

Les chercheur·e·s en sciences humaines, en sciences sociales et en littérature, ainsi que les chercheur·e·s indépendant·e·s, les artistes, les écrivain·e·s et tout autres acteur·trice·s sociaux qui ne seraient pas affilié·e·s à des établissements d’enseignement et de recherche, sont convié·e·s à réfléchir aux transfuges à la fois comme concept et comme type de trajectoires en portant une attention soutenue aux altérations auxquelles sont soumis la langue et les corps. Les études qui mettraient en lumière le caractère dynamique, imbriqué et mouvant des appartenances de classes, de groupes sexuels minoritaires, femmes, personnes queers, immigrant·e·s, racisé·e·s et/ou en situation de handicap comme autant de figures et de potentielles trajectoires « transfuges » sont largement encouragées.

La journée d’étude se tiendra le mercredi 14 mars 2018 à Montréal. (Lieu exact à déterminer.)

Les présentations seront d’une durée de 20 minutes. Nous vous invitons à nous faire parvenir une proposition de communication d’un maximum de 350 mots, accompagnée d’un titre et d’une courte notice biographique incluant votre nom, votre université d’attache et votre champ disciplinaire s’il y a lieu. Les propositions devront être envoyées au plus tard le 5 décembre 2017 à l’adresse suivante : transfuges2018@gmail.com.

 

Organisatrices :

Sandrine Charest-Réhel

Université d’Ottawa et CÉLAT (Université du Québec à Montréal)

 

Karianne Trudeau Beaunoyer

Université de Montréal

 

Références

BOURDIEU, Pierre (2003). Méditations pascaliennes. Paris : Éditions du Seuil.

CANISIUS KAMANZI, Pierre, Pierre DORAY, Sylvie BONIN, Amélie GROLEAU et Jake MURDOCH (2010). « Les étudiants de première génération dans les universités : l’accès et la persévérance aux études au Canada ». Canadian Journal of Higher Education/Revue canadienne d’enseignement supérieur, 40(3), 1-24.

DJEBAR, Assia (2007). Nulle part dans la maison de mon père. Paris : Fayard.

ERNAUX, Annie (1983). La place. Paris : Gallimard.

———— (1997). La honte. Paris : Gallimard.

ERIBON, Didier (2010). Retour à Reims. Paris : Flammarion, coll. « Champs. Essais ».

JAQUET, Chantal (2014). Les transclasses ou la non-reproduction. Paris : Presses Universitaires de France.

LEIBOVICI, Martine (2013). Autobiographies de transfuges. Karl Philipp Moritz, Richard Wright, Assia Djebar. Paris : Éditions Le Manuscrit, coll. « L’esprit des lettres ».

LOUIS, Édouard (2014). En finir avec Eddy Bellegueule. Paris : Seuil, coll. « Cadre rouge ».

———— (2016). Histoire de la violence. Paris : Seuil.

MAUGER, Gérard (2004). « Annie Ernaux, « ethnologue organique » de la migration de classe », dans Annie Ernaux, une œuvre de l’entre-deux (p. 177‑204). Arras : Artois Presses Université.

NAUDET, Jules (2013). « Par-delà les spécificités nationales : comprendre les expériences de mobilité sociale en France, aux États-Unis et en Inde ». Sociologie du travail, 55(2), 172–190.

SAYAD, Abdelmalek (1999). La double absence : des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré. Paris : Éditions du Seuil.

SCHÜTZ, Alfred (2003). L’étranger : un essai de psychologie sociale, suivi de L’homme qui revient au pays. Paris : Allia.

WRIGHT, Ricard (1965). Black boy jeunesse noire. Paris : Gallimard.