Acta fabula
ISSN 2115-8037

2018
Octobre 2018 (volume 19, numéro 9)
titre article
Nicolas Roudet

Pars vite, loin, et reviens tard

Véronique Montagne, Médecine et rhétorique à la Renaissance. Le cas du traité de peste en langue vernaculaire, Paris : Classiques, Garnier, coll. « Bibliothèque de la Renaissance », 2017, 443 p., EAN 9782406060253.

1Les épidémies de peste qui ravagèrent l’Occident à la Renaissance, après tant d’autres au Moyen Âge, n’ont pas seulement rempli les cimetières et marqué les esprits : elles ont aussi laissé des traces discursives, que Véronique Montagne entreprend d’étudier dans ce savant ouvrage à la croisée de la linguistique, de l’histoire littéraire et de l’histoire des sciences.

2D’emblée, le corpus de travail se trouve nettement délimité. Il s’agit d’analyser un genre particulier (le traité de peste en langue vernaculaire — qui n’est pas d’abord donné comme un genre, mais questionné ; p. 23), durant une époque définie (de 1512 à 1607), en excluant certaines formes particulières (les traductions du latin, par exemple, sauf pour quelques exceptions motivées ; les écrits théologiques ; les textes émanant des autorités officielles). Le choix de traiter en vernaculaire d’un sujet tel que la peste est propre au milieu médical français, les Italiens conservant massivement l’usage du latin à la même époque (p. 16). L’introduction se clôt par la liste des 48 textes étudiés, échantillon que l’auteur espère « représentatif » (p. 23), issus de médecins, chirurgiens, apothicaires ou barbiers (p. 6), dont beaucoup ne sont pas inconnus des historiens des sciences : Jean Thibault, Auger Ferrier, Antoine Mizault, François Valleriole, Ambroise Paré, Leonhart Fuchs, Roch Le Baillif de La Rivière, Nicolas Habicot. L’homogénéité du corpus est assurée par la nature de la réflexion déployée (réflexion globale portant sur la nature, la cause et les signes de la maladie, avec parfois une liste de remèdes ; p. 22). Et, pourrait‑on ajouter, par la formation intellectuelle reçue alors par les médecins qui, comme le rappelait Ian Maclean, n’étaient pas seulement titulaires d’un doctorat décerné par l’une des trois facultés supérieures, mais avaient débuté leur cursus par trois années de solides études philosophiques passées à étudier les sept arts libéraux, dont la logique (p. 20)1.

3L’auteur ne cache pas le caractère problématique de l’objet étudié. Si presque tous les auteurs utilisent le mot peste (avec une seule occurrence de pestilence et une autre de fièvre pestilentielle ; p. 22), il est essentiel de noter que le mot peste lui-même reste largement polysémique (p. 10). Citant un article d’Isabelle Pantin2, l’auteur retient que « Pestis (comme loimos en grec et le pestilentia de la Vulgate) désigne toutes les épidémies à forte mortalité », comme la coqueluche, la grippe, le choléra ou la syphilis. En outre, seconde caractéristique, le mode de propagation du mal reste, aux yeux des savants qui en traitent, largement mystérieux. « Essentiellement linguistique » (p. 23), la perspective adoptée permet d’analyser « l’outillage mental des médecins du xvie siècle, leur formation, leur façon d’aborder le réel […] à partir de l’observation de faits linguistiques précis, lesquels recevront ainsi une explication, pour ne pas dire une justification » (p. 24). Parmi les faits dignes de retenir l’attention, en voici un : sous l’influence de la Dialectique de La Ramée (1555), une certaine prétention à exercer une méthode déductive se fait jour dans la seconde moitié du xvie siècle. La définition y joue un rôle fondamental et le recours aux métaphores, évité comme la peste, n’intervient qu’en dernier lieu, pour convaincre le lecteur vraiment réticent à la logique pure (p. 28). Ainsi que l’écrit Pierre de La Ramée :

[…] tous les tropes et figures d’élocution, toutes les grâces d’action, qui est la Rhétorique entière, vraye et séparée de la Dialectique, ne servent d’autre chose sinon pour conduire ce fâcheux et rétif auditeur qui nous est proposé en ceste methode, et n’ont esté pour autre fin observées que pour la contumace et perversité d’icelluy […]. Ainsi doncques nous voyons comme ceste methode de prudence a esté enseignée et practiquée par les philosophes, poëtes et orateurs3.

Identification & caractéristiques des figures analogiques

4Or, une lecture du corpus amène rapidement à remarquer que les figures analogiques y sont « massivement » présentes (p. 38). La première partie de l’ouvrage sera consacrée à une analyse de ces figures. Elles se présentent sous la forme de saillances figurales, essentiellement des similitudes, comparaisons et analogies à quatre termes, qu’il s’agit dans un premier temps d’identifier (p. 38‑111). Citons quelques exemples glanés dans le corpus :

[…] ainsi que une étincelle de feu peult estre cause d’embraser tout une cité : aussi peult une aleine ou vapeur venimeuse infecter toute une région4.

[…] ainsi qu’une brebis galeuse peut infecter tout un trouppeau : aussi un pestiféré peut infecter toute une ville5.

5Les exemples, nombreux et variés, viennent illustrer un certain fonctionnement de la figure dans lequel « c’est systématiquement la partie métaphorique qui apparaît dans la première partie du parallélisme, laquelle rompt avec le lexique cotextuel de la maladie, de la mort et de la souffrance — qu’il s’agisse de marins, de brebis ou de feu — attise l’intérêt du lecteur qui attend de lire et de comprendre quel lien est créé entre cette séquence allotope et le propos du traité. » (p. 52‑53). Ces saillances figurales, présentes dans un corpus dont les textes fonctionnent en réseau laissent présager que les auteurs s’inscrivent dans un genre, « avec ses attendus, ses stéréotypes et son mode relativement standardisé de présentation du sujet. » (p. 61). Des facteurs positionnels entrent également en jeu, les métaphores étant surtout présentes au début du texte, au moment de la définition du sujet.

6Plus globalement, c’est la présence même de métaphores dans un traité scientifique qui attire l’attention du récepteur, le genre « ne se prêtant pas au déploiement d’énoncés figuraux » (p. 63). Nombre d’indices montrent même une grande volonté de clarté dans l’élaboration des textes : les citations en latin sont traduites (p. 68), les auteurs introduisent des sommaires, tables et indices pour faciliter la lecture (p. 71), les accolades ramistes permettent de voir en un coup d’œil les dichotomies adoptées6. Dans un contexte de clarté revendiquée, la figure de similitude « opacifie le propos » (p. 73). Parmi les métaphores récurrentes, la métaphore belliciste est l’une des plus fréquentes :

Il me semble que ce sont les moyens par lesquels nous devons et nous fortifier, et affoiblir nostre ennemy. Si tant est, qu’il soit entré en nostre fort, et nous veuille chasser de nostre siege, il y a des reserves, par lesquelles nous pouvons rassembler noz forces, et luy bailler telles attaques, qu’on l’esteindra, et repoussera7.

7L’assimilation de la peste à une beste, suivant l’exemple prestigieux de Galien :

Ce venin espandu parmy l’air […] leur est ennemy, à la mode de quelque beste farouche (comme dit l’Autheur du livre de la Theriaque à Pison)8.

8La figure de l’aimant, par excellence phénomène occulte (i.e., dont les raisons sont cachées) pour les savants de l’époque, est régulièrement présente dans le corpus :

La putrefaction de la peste, qui est bien differente de toutes les autres putrefactions, parce qu’il y a une malignité cachée, de laquelle on ne peut donner raison, non plus que de l’aymant qui attire le fer […] (p. 92)9

9Enfin, on s’en voudrait d’omettre la figure de dame Peste, présentée par le truchement d’une élégante formule : « […] bubon et charbon sont enfans gemeaux de dame Peste » (p. 94)10.

10En conclusion, nombre de figures sont vivantes (non figées), sujettes à de nombreuses variantes. Les termes « tissent un réseau d’échos souvent explicites, dialoguant les uns avec les autres, pour construire un savoir, le plus précis et le plus pertinent possible, sur l’objet d’étude. » (p. 112).

Que nous apprennent les figures ?

11Dans un second temps, l’auteur se demande ce que nous apprennent les figures ainsi identifiées (p. 113‑263), à la fois sur le positionnement énonciatif de leur producteur, dans une pragmatique des actes de langage, et sur le degré de maîtrise du sujet traité.

12Qui parle ? Les lecteurs conserveront toujours en mémoire que le protocole de l’époque accorde la précellence aux médecins, devant les chirurgiens et les barbiers, puis les apothicaires (p. 114). Concernant le discours tenu, l’auteur met en évidence un éthos (p. 115‑130), caractérisé par un aveu d’ignorance devant une maladie qui échappe à la grille de Galien : elle n’est due ni à un traumatisme, ni à un déséquilibre de la complexion ou du tempérament, ni à une mauvaise composition ou opération défectueuse d’un organe. La maladie, subsistant en dehors des individus chez lesquels elle se manifeste, possède un statut ontologique qui la fait rentrer dans la catégorie des maladies occultes (p. 116). Cette ignorance légitime, chez un auteur comme Jean Suau, la prescription d’un « souverain remède, le vulgaire Citò, longè, tardè : vistement et du beau commencement s’en aller, et de loing, et retourner tard11 ». Une deuxième stratégie consiste à invoquer l’expérience, le discours étant situé « dans un cadre historique précis » (p. 118) : d’où des cas de peste localisés et datés, qui fonctionnent souvent comme des exempla, récits brefs insérés dans le discours « pour convaincre un auditoire par une leçon salutaire » (p. 122). Parfois, c’est le livre lui-même qui est considéré comme salvateur, se substituant au médecin lorsqu’il fait défaut (p. 125) :

Pourtant vous donne et conseille de prendre
Ce présent livre, auquel pourrez apprendre
Remede maint, pour la peste eviter.
Et servir ceux, que Dieu vient visiter12.

13L’étude des degrés de l’engagement énonciatif (je, nous, on ; p. 130‑147), puis du dédicataire des traités (p. 147‑155), permet d’amener un développement sur l’hétérogénéité énonciative (p. 155‑232). Ces pages, moins originales quoique nécessaires sans doute à la complétude de l’argumentation, peuvent être ainsi brièvement résumées : le traité de peste « est le fruit d’une confrontation dialectique qui prend l’autre en compte dans l’élaboration de la pensée, que celle‑ci soit représentée sous une forme monologale ou dialogale. » (p. 156). L’enjeu est à la fois pédagogique, il faut enseigner ce qu’est la peste, et politique, il faut aider à la prise en charge de la maladie, viser « à son éradication ou du moins à la limitation de ses effets dévastateurs » (p. 233).

14La présence des figures permet également d’inférer un certain nombre de constats encyclopédiques (p. 234-266) : elles nous apprennent que « l’homme de science contemporain est désemparé face à une maladie qu’il ne comprend que partiellement, mais aussi qu’il cherche à rendre compte de ses spécificités en tâchant de la définir mieux » (p. 235). La définition, jugée indispensable, ne peut en fait se limiter qu’à une description souvent métaphorique (p. 261). La méthode est plutôt celle d’une « rhétorique logicisée » (p. 262). D’où la nécessité de contextualiser le fait figural dans un environnement culturel plus large (p. 262), objet de la troisième partie.

La figure analogique contextualisée

15La lecture des traités amène à se demander « dans quelle mesure le contexte dialectique et rhétorique permet à ces auteurs de produire un discours scientifique imagé, alors même que le lecteur moderne s’attend à davantage d’objectivité dans un tel genre discursif » (p. 267). Il s’agit donc de repérer des points de rencontre entre les traités théoriques de logique et de dialectique et les textes du corpus. Nicolas de Nancel fut élève de Pierre de La Ramée, et devint son ami : l’on ne s’étonne guère de trouver chez lui des réminiscences de la Dialectique (p. 268). Sa définition de la peste est brève, selon les règles des logiciens : « Peste, est maladie ou fiebvre contagieuse, universelle, et mortelle13 ». Chez les auteurs des années 1520‑1530 se manifeste l’influence du De inventione de Rodolphe Agricola, en particulier dans l’appropriation d’éléments ressortissant au champ du probable, mais aussi de Melanchthon et Jean Sturm, adeptes de la forme dialogique (p. 269‑272). Dans les années 1540‑1550, c’est la Dialectique de Ramus qui domine. Imposant une méthode basée sur la déduction et la logique, dans laquelle la définition joue un rôle fondamental (p. 273), Ramus prône l’exclusion de la subjectivité — d’où son aversion pour la rhétorique et son intérêt pour la méthode. Methodus : le mot connait une certaine fortune, en provenance des pays d’Europe du Nord, Pays-Bas d’Érasme, Allemagne de Melanchthon et Jean Sturm (p. 275‑278). Chez Ramus, la méthode procède du général au particulier, du connu à l’inconnu, par un processus partant d’une définition générale, se poursuivant par des définitions particulières, illustrées par des exemples (p. 278). Là où la logique ne suffit pas pour convaincre l’auditoire, Ramus propose, on l’a vu, une « méthode de prudence » adaptée aux sujets probables, dans lesquels la certitude fait défaut (p. 279).

16Cette tradition en cours d’élaboration se combine dans les traités étudiés avec celle, plus ancienne, de la dialectique médicale, inspirée de la Méthode de Galien (p. 280‑285) : chez Jean Sturm, la pratique de la diairesis galénique, ou décomposition de la définition, joue un rôle important (p. 281). Le pédagogue de Strasbourg suit volontiers Galien pour qui, « quand on ne sait pas diviser les maladies en espèces et en genres, il en résulte qu’on se trompe dans les indications thérapeutiques14 ». L’on reconnaît ici la voie privilégiée par l’une des trois sectes reconnues par Galien (empiriques, dogmatiques, méthodiques), et que plusieurs textes du corpus des traités de peste illustrent (p. 285‑310). Conclusion de l’auteur :

« Les traités de peste sont donc manifestement les émanations d’un contexte scientifique, dialectique, intellectuel qui est celui de la renaissance, d’un moment où la pensée est encore sinon dialogale, au moins dialectique, et où les opinions, les images, les constructions mentales collectives font partie des termes à partir desquels on raisonne pour bâtir un propos intelligible et suivi d’effets. » (p. 313)

Faire peur pour faire agir

17Il s’agit désormais de conclure cette étude en questionnant la fonction des occurrences figurales. Reprenant une formule de Marc Bonhomme, Véronique Montagne résume ainsi le signal qu’envoient ces auteurs à leur lectorat en employant tant de saillances : Attention ! Ceci est important, intéressant… (p. 315). Le lecteur du xxie siècle, récepteur lointain de ces signaux, étranger à la réalité de la peste, doit tenter de restituer leur effet anxiogène sur le public de l’époque.

18Tout au long du xvie siècle s’amorce un mouvement d’exclusion croissante de la métaphore du champ scientifique. Les leçons de Ramus ont été entendues : métaphore et logique apparaissent comme antinomiques (p. 320‑321). Toutefois, les choses ne sont pas aussi tranchées qu’il pourrait sembler : Ramus lui-même, en désespoir de cause pour ainsi dire, fut contraint de réintroduire à la fin de sa Dialectique des figures et des tropes pour convaincre ceux que la logique ne parvenait pas à convaincre. Il retrouvait ainsi la distinction aristotélicienne entre « discours selon les choses » et « discours selon les auditeurs » (p. 322). Dans le cas précis du traité de peste, la métaphore s’avère ainsi participer à un « dessein d’ensemble » qu’il est possible de résumer en faisant appel aux trois fonctions du langage dans la rhétorique traditionnelle : placere, movere, docere (p. 325).

19Placere. Concernant la fonction esthétique du langage, il est à noter que certains auteurs d’un traité de peste peuvent être auteurs d’un traité de rhétorique : c’est le cas de Nicolas de Nancel, déjà abordé. D’autres auteurs, comme Antoine Mizauld15 ou Auger Ferrier, évoquent Rabelais (p. 327). Nicolas Habicot ouvre son propos par une prosopopée du livre lui-même, Ésaïe Le Lièvre rédige des vers alexandrins et une énigme en vers, etc. (p. 329-330). Le traité de peste se distingue ainsi du commentaire médical ou anatomique, à la recherche d’un style très épuré (p. 332).

20Movere. Si la métaphore « n’est pas logique », pour reprendre le mot de Michel Le Guern, elle est parfois un moyen « de plaire et de toucher » (p. 336). Les figures prennent place dans ce que l’auteur nomme une rhétorique de la peur (p. 345‑350), contradictoire avec les nombreuses mises en garde insistant sur le fait que la peur est une émotion dont il faut se garder — certains auteurs faisant même de la peur une cause de la peste… (p. 346). En fait, ce discours légèrement anxiogène a pour but d’inciter les lecteurs à se prémunir. La tâche du médecin rédigeant un traité de peste est essentiellement pratique : exciter les passions, c’est pousser à l’action (p. 350).

21Docere. Pour finir, le discours figuré assume une fonction cognitive et une fonction argumentative. Les traités étudiés sont, dans l’ensemble, destinés au grand public. Le souci didactique requiert alors l’utilisation de certaines figures dont la fonction est de guider le lecteur (p. 353‑354) et de le faire adhérer à une certaine image de la maladie (p. 366‑367). Parfois, ces figures sont explicitées par un passage au métalangage, comme chez Ésaïe Le Lièvre (« et afin de faire voir… nous prendrons l’exemple du soleil qui… », p. 363). Certaines analogies ont pour fonction d’imposer une opinion. En voici une, à portée polémique, sous forme d’allusion à Rabelais :

Tous les autres [médecins] ont suivy le plus cler de Galien, comme les Moutons de Dindenaut suivirent leur Belier, et se sont jettez à corps perdu dans ceste bouillante Mer16.

22Mais la métaphore du combat, présente un peu partout, est destinée à construire un contexte qui rende possible une réaction de combativité, « indispensable pour lutter contre quelque chose dont on ignore encore le mode de fonctionnement exact » (p. 384).


*

23L’analyse du corpus met en évidence la présence d’éléments similaires « qui dessinent les contours de ce qui pourrait être considéré comme un “genre”, celui du traité de peste ou, à tout le moins, du traité portant sur une maladie encore inconnue » (p. 387), comme la syphilis (p. 394, p. 399‑401). Les similarités peuvent être mises au compte de la logique mise en œuvre, ainsi qu’à l’inventio, à la dispositio et à l’elocutio privilégiées (p. 390-396). Les disparités relevées indiquent que le genre est en constante évolution (p. 386‑390). Parmi les éléments discordants, il faut noter que quelques auteurs (Guillaume Bunel, Gabriel Tarague, César d’Angerville) n’utilisent pas les figures analogiques : ils ne s’intéressent qu’à la partie thérapeutique, délaissant les définitions et descriptions (p. 388‑389). L’analyse s’achève par l’exploration de textes « hors-genre » ou à la périphérie, traités pratiques rédigés par des ecclésiastiques comme Georges d’Armagnac (p. 397‑398), ou traités personnifiant la Peste, comme l’Epydimyomachie d’Ésaïe Le Lièvre (1582).

24Véronique Montagne propose ainsi une analyse très complète d’un corpus nettement délimité, en esquissant quelques prolongements possibles. Poussons jusqu’à notre époque, et nous découvrirons que les procédés rhétoriques mobilisés pour parler du cancer, par exemple, sont très similaires à ceux relevés par l’auteur dans son examen des traités de peste. Le cancer est un fléau, on lui déclare la guerre (il y a un siècle était fondée la « Ligue contre le cancer »). Quant à l’emploi des analogies et métaphores dans le discours à prétention ou vocation scientifique, il a abondamment été commenté dans les années 1990, lors des divers soubresauts de l’affaire Sokal17.

25Ce beau travail souffre malheureusement, en fin de volume, d’un mal typiquement français : la tendance à bâcler bibliographie et index. La bibliographie, d’ailleurs, n’est pas tellement en cause : les normes adoptées, qui sont celles des éditions Garnier, donnent les informations précises nécessaires pour situer une référence dans la production et la retrouver en bibliothèque si besoin est. Mais l’index nominum, par exemple, pâtit de nombreux oublis : on cherche en vain les entrées « Celse », « Georges d’Armagnac », « Roger Bacon », « Joubert, Laurent », « Paracelse », « Winter d’Andernach, Johannes », alors que ces auteurs sont mentionnés au fil du texte. Lorsque les noms sont indexés, ils sont régulièrement maltraités : la spécialiste de Galien, Véronique Boudon[-Millot], voit son nom orthographié « Boudou » (confusion avec Bénédicte Boudou, l’éditrice d’Henri Estienne ?). La mémoire de Fernand Hallyn est doublement honorée, dans une note de bas de page et dans la bibliographie, sous la forme « Ferdinand Hallyn » (p. 407, note 100 ; p. 421), et dans l’index des noms sous la forme « Jacques Hallyn » (p. 435). Dominique Maingueneau se voit affublé du prénom « Michel » dans l’index (p. 436), qui renvoie par ailleurs à la p. 421, où il ne figure pas. Le nom de Jean Starobinski est upsilonisé (« Starobinsky », p. 437). Le nom de l’historien Wickersheimer est correctement orthographié p. 406, avant de perdre son h lors de la mise à l’index. Le philosophe Jean-Jacques Wunenburger perd un n à la p. 437 (où l’on lit Wuneburger)… Bref, l’index nominum donne l’impression d’avoir été sous-traité à une start-up low coast, ce qui est un peu pénible. On se consolera en notant la présence d’un bel et fort utile « index des notions rhétoriques et linguistiques » (p. 429‑431). Souhaitons à ce travail de trouver son lectorat et de donner naissance à d’autres explorateurs de champs discursifs similaires : traités de syphilis, livres de cuisine, manuels du parfait courtisan, collections de génitures… Les candidats potentiels ne manquent pas.