Acta fabula
ISSN 2115-8037

2007
Mars-Avril 2007 (volume 8, numéro 2)
Murielle Lucie Clément

Andreï Makine. Écrivain franco-russe

Andreï Makine : Perspectives russes, textes réunis par Margaret Parry, Marie-Louise Scheidhauer et Edward Welch, L’Harmattan, 2005, 138 pages, ISBN : 2-7475-9503-X

1Andreï Makine, écrivain français pour la Russie : les articles réunis dans ce recueil, issu des Rencontres de la Cerisaie 2004, consacré à Andreï Makine, s’intéressent aux sources d’inspiration russe de l’auteur – ce « soil and soul » qui a tant fasciné la critique anglo-saxonne. L’ouvrage désire offrir une autre clé pour appréhender cette œuvre innervée de musique, d’Histoire et d’identité où le lecteur, enivré de sonorités complexes et confuses, rejoint le chantre de l’âme et de l’Être, venu du froid par les chemins de l’amour.

2Avec « Une plume française pour un sol russe dans La Femme qui attendait », Marie-Louise Scheidhauer analyse La Femme qui attendait. Selon elle, « Makine est un écrivain du seuil » (p. 125). Le sol sur lequel il écrit est là-bas alors qu’il reste ici. La femme chez Makine n’existe que « dans sa dimension d’objet sexuel » (p. 126). L’expérience que le narrateur vit avec le corps de la femme est autre que celle vécue lors de la traversée du lac pour emmener le corps d’Anna. Toutefois, elles se rejoignent dans la dimension matérielle. Scheidhauer n’omet pas de souligner l’image de la piéta ou de la dormition de la Vierge à ce sujet. Image qui échappe au narrateur. Celui-ci ne voit que l’aspect matériel, et l’étreinte de ce corps le terrifie tout comme l’étreinte avec Véra. Pour le narrateur, la solution est la fuite pour se soustraire à l’emprise imaginaire de la femme. Cependant, Véra est une femme différente des autres : elle est une icône.

3Scheidhauer relève la double mention de Ferdinand de Saussure dans le roman pour partir à la recherche de l’hypogramme « c’est-à-dire la forme minimale qui constitue la matrice du roman et qui en détermine le sens » (p. 128). Scheidhauer prend comme point de départ la sonorité du prénom de Véra et de la similarité avec le mot « verre ». Véra est un verre brisé et une aurore car « vera » sans accent est synonyme d’ « aurore », mot issu du grec « ver » qui signifie « lumière » ce que devient Véra à la fin du roman : « toute empreinte d’une jeunesse neuve, frémissante, qui est en train de naître » (p. 129). L’homophone français « verrat » inspire à Scheidhauer une dissertation sur « l’homme-porc », le narrateur à la frontière de deux mondes. Après l’exploration du prénom, vient celle du nom de village, Mirnoïé et ce qu’il implique géographiquement : la terre russe. Par l’insertion de noms russes, Makine essaie d’attirer l’attention du lecteur sur la langue en tant qu’objet linguistique. Effet qui se retrouve dans La Terre et le ciel de Jacques Dorme. Selon Scheidhauer, les seules traces russes dans le roman concernent les noms propres.

4Toby Garfitt (« La musique d’une vie : le cas de la petite pomme ») argumente que dans l’œuvre d’Andreï Makine, la musique « joue un rôle restreint ». Position éminemment défendable comme le prouve son énumération de quelques cas de la présence négative ou positive de la musique. Pour Garfitt, il s’agit de titres de morceaux de musique non mentionnés. En outre, Garfitt donne une belle dissertation sur quelques genres musicaux populaires et une chanson particulière qui se retrouve dans la littérature musicale russe : « Iablochka » qui signifie petite pomme. L’article situe l’œuvre entre « une europhilie un peu forcée et une slavophilie discrète ».

5Plusieurs articles traitent la dialectique de la guerre et de la paix où la figure du héros est proéminante. Selon Henry Thompson (« Jacques Dorme : héros de notre temps »), le roman de Makine La terre et le ciel de Jacques Dorme serait un monument à l’héroïsme avec le poème de « Mikhaïl Lermontov “Vozdouchi korabl”, le navire flottant, la légende du Hollandais volant » déclamé par le professeur de littérature. Apologie de l’héroïsme aussi par le narrateur qui regarde une gravure de Napoléon et lit des romans de chevalerie. La référence au maréchal Koutousov en début de roman renforce « l’image d’un monument à l’héroïsme » (p. 29). Pour le narrateur, les héros français deviennent plus réels que les héros russes ; Napoléon plus réel que Lénine. La découverte du poème d’Hugo « Le dernier carré » dans la bibliothèque de Vénédict Samoïlov prépare pour le héros de notre temps : le général De Gaulle qui visite la Sibérie. Mais le véritable héros reste Jacques Dorme qui rassemble en lui les caractéristiques de tous les autres et remplace pour l’orphelin le père « abattu comme un chien ».

6Prenant sous la loupe la tangibilité de la guerre, l’article de Geneviève Lubrez (« La réalité de la guerre dans Guerre et Paix et Requiem pour l’Est : un itinéraire de la guerre à la paix intérieure ») débute par une présentation de la cacophonie guerrière de Guerre et Paix à Requiem pour l’Est. Staline et ses répressions du roman de Makine remplacent Napoléon chez Tolstoï, les quatre coins du monde de Requiem pour l’Est, l’affrontement Est/Ouest sur le sol russe de 1844. La guerre, réalité commune aux deux romans, alterne avec des pages de paix. Geneviève Lubrez propose une réflexion née des « incidences de guerre sur ses acteurs » (p. 34), mais escamote légèrement la dimension historique et politique des deux romans.

7Selon Lubrez, la guerre a supprimé « toute sensibilité et toute réflexion » chez les soldats anonymes décrits par Makine, dont le seul but est l’extermination des habitants du village. Ces bourreaux rejoignent en cela le Napoléon de Tolstoï. La guerre est révélatrice de la complexité de l’âme humaine. Lubrez compare Pavel qui sauve au péril de sa vie, une femme du viol à Pierre Bézoukov qui sauve une fillette inconnue des flammes et une jeune femme des maraudeurs avec la même impulsivité. Guerre et Paix et Requiem pour l’Est illustre les paroles de Tolstoï : « Les hommes sont semblables aux rivières ; toutes sont faites du même élément, mais elles sont tantôt étroites, tantôt rapides, tantôt larges et paisibles, claires ou froides, troubles ou tièdes. Et les hommes sont ainsi » (p. 40). Mais l’acteur principal des deux romans reste la mort ce qui fait de la guerre la Tragédie par excellence pour le romancier. La mort frappe sans distinction. Requiem pour l’Est met en scène la déroute de la raison semblable au procédé « romanesque du récit par et à travers le regard surpris et incrédule du narrateur » qui n’est pas sans rappeler Nicolas Rostov de Guerre et Paix découvrant la réalité guerrière, mais aussi La Chartreuse de Parme et Fabrice de Dongo et « peut-être aussi le poème « Borodino » de Lermontov ».

8Les articles recensent aussi les rapports d’Andreï Makine aux autres écrivains. Ainsi, l’objectif poursuivi par Nina Nazarova (« Makine et Bounine : chanteurs de la Russie perdue ») est-il de démontrer l’influence de la littérature russe, en particulier celle de Bounine, sur la narration makinienne. Selon Nazarova, l’influence en est plutôt indirecte et superficielle. Dans la critique, ce sont toujours Dostoïevski, Tolstoï, Soljenitsyne et Pasternak qui sont mis en rapport avec Makine. Beaucoup moins les auteurs peu connus en Occident. Makine tout comme Bounine, qu’il considère comme son maître, continue à se définir comme un écrivain russe. Tous les deux écrivent sur une Russie disparue à partir de leur position respective d’émigré. Bounine sur la Russie prérévolutionnaire, Makine sur la Russie de l’ère soviétique. Selon Nazarova, Makine représente le cours de l’Histoire comme un fauve échappé d’une cage dans Le Crime d’Olga Arbélina où il reproduit la même époque que celle chantée par Bounine, celle qui précède la grande guerre. Nazarova y voit une similarité avec la description d’émeutes paysannes de Bounine dans Le Village et Un Val. Chez les deux auteurs, Dieu et les icônes ont dû faire place aux idoles communistes. Toutefois, la seconde guerre mondiale tient le haut du pavé dans l’œuvre de Makine. Son exposé de l’Histoire russe propose « une nouvelle vision » de l’armée soviétique.

9Makine parle avec amertume du peuple russe. Il condamne son fatalisme et sa résignation tout comme Bounine l’a fait avant lui. Cependant, Makine essaie de comprendre son peuple et lui donne la parole par l’entremise de la foule de personnages qui peuplent ses romans. Les années passées en émigration ont purifié l’image de la Russie de Makine qui condamne le régime soviétique et gommé les mauvais souvenirs. Makine est déchiré par des sentiments contradictoires envers son pays. Ainsi, ni Bounine ni Makine n’oublient leurs pays et n’arrivent à surmonter la douleur de l’exil et se réfugient dans leur passé par le biais de la littérature. Somme toute leur littérature est celle de la nostalgie.

10Selon Edward Welch (« Vers une lecture bakhtinienne de Makine »), ce sont Bakhtine et Makine qui partagent les mêmes préoccupations : essayer d’articuler la complexité des rapports humains lors de la rencontre. L’idée de la frontière chez Bakhtine permet « d’élucider de façon nouvelle certains éléments des textes de son compatriote » (p. 117). Selon Welch, le motif de la frontière est au cœur de la théorie bakhtinienne pour qui « le principe de base du langage est le conflit ». Makine et Bakhtine partagent donc le même intérêt pour le langage et son pouvoir à véhiculer les idées. Le narrateur du Testament français découvre par les mots « les tensions dialogiques et idéologiques qui habitent le langage » (p. 119). Les slogans de propagande soviétique inclus dans les romans invitent le narrateur, mais aussi le lecteur occidental à voir les promesses non tenues de l’idéologie en place au peuple soviétique. Toutefois, le détournement par le narrateur du sens originel des slogans est aussi une stratégie idéologique.

11Welch voit dans Le Testament français et Confession d’un porte-drapeau déchu apparaître le même thème-clé qui est ce que Bakhtine nomme : « la relativisation de la conscience linguistique » qui va de pair avec « la conscience idéologique » (p. 120) chez Makine. Le tout est accompagné d’un moment de désillusion mêlant avantages et inconvénients pour les narrateurs. Devenir conscient entraîne le danger d’exclusion. La théorie de Bakhtine impliquerait « une éthique de la communication ». Le locuteur essaie de se faire comprendre de son interlocuteur et il oriente son discours en l’occurrence. Ces idées se retrouvent chez Makine qui offre au regard d’une autre culture, la Russie profonde. De plus, Makine expose souvent la frontière entre soi et les autres « à travers le motif récurrent de la narration » (p. 122). Les narrateurs de ses textes sont conscients du danger de l’acte de narration. Toutefois, l’essentiel est que ces narrateurs sont des voix venant de l’autre côté de la frontière. Un appel au lecteur.

12Après une évocation de Pénélope, la femme qui attendait par excellence, Monique Grandjean (« Makine face au Mystère : amour humain, amour divin dans La Femme qui attendait ») compare la première entrevue du narrateur et de Véra à un tableau de Ilya Iefinovitch Repin de la Galerie Tetriakov de Moscou et souligne le dévouement de Véra à la cause du village et des babouchkas. Grandjean esquisse la vie de Véra en ayant soin de relever sa fonction de passeur vis-à-vis des vieilles femmes décédées qu’elle conduit dans sa barque à leur dernière demeure. Au contact de Véra, le narrateur affine ses jugements sur les êtres et les choses. Le livre de Makine ouvre la porte « vers l’Infini et ses Mystères » avec cette attente de trente ans qui est plus que l’Espérance : la Foi d’un lien d’éternité qui unit Véra à son amour disparu.

13Toutefois, le narrateur faillit dans sa perception de la spiritualité de Véra comparée à la Vierge Marie à l’heure de l’annonciation, la Vierge de Della Francesca, du XIVè siècle : la Vierge de l’Attente ou Madone de la Parturition : la Vierge enceinte. Telle la Vierge sage de l’Évangile, elle travaille à son développement, suivant des études. Véra est une héroïne de l’ « Opéra de Makine » qui au contraire des héroïnes peintes par Catherine Clément dans L’Opéra ou la défaite des femmes, « dicte sa loi aux hommes » (p. 98). Grandjean termine son exposé par une brève comparaison entre Makine et Bounine et conclue à leur ressemblance. Selon Grandjean, « Makine se rattache à la tradition russe de Dostoïevski et de Pouchkine qui attendent de la littérature la justification de la Russie » (p. 96). Makine écrit comme d’autre font leur sacerdoce. Il appartient « à la même famille spirituelle que Rainer Maria Rilke, le père Teilhard de Chardin, Sylvie Germain ».

14C’est l’intertextualité entre Andreï Makine et Romain Gary que Taras Ivassioutine (« Le mystère de la féminité chez Andreï Makine et Romain Gary ») analyse dans La Femme qui attendait et Claire de femme. Le roman de Makine traite du thème de la frontière, celle qui sépare la campagne de la ville, les intellectuels des paysans. C’est « un hommage à notre univers secret » dit-il. Ce roman où les femmes règnent par leur dévouement, leur fidélité et leur abnégation, rappelle à Taras Ivassioutine le poème de Nekrassov : « Les Femmes russes ».

15Véra est une Emma Bovary russe qui préfère le rêve à la réalité. Ivassioutine s’étonne de sa maîtrise face à la peur du narrateur vis-à-vis de leur passion qui ne peut que les conduire à la séparation. Le personnage féminin de Gary, Lydia, possède aussi cette capacité à vouloir aider les autres et ressemble en ceci à Véra. Les deux héroïnes « voient leur vocation dans le soutien des personnages masculins » (p. 89). L’auteur fait abstraction de la vocation de Véra à s’occuper des vieilles femmes et tait cette autre différence : le roman de Makine est écrit de la perspective du narrateur, un homme ; celui de Gary du point de vue d’une femme : Lydia.

16Une recherche sur l’orthodoxie d’Andreï Makine est entreprise par Margaret Pary (« Andreï Makine et la « Vierge de Vladimir » : un romancier orthodoxe ? ») pour qui la « Vierge à l’enfant » ou la « Vierge de Vladimir » ou encore « Notre-Dame de la Tendresse » est ancrée dans la conscience collective russe. D’une description peu complaisante dans La Terre et le ciel de Jacques Dorme, l’auteur tire la conclusion de l’indifférence de Makine à l’encontre de l’église orthodoxe. Elle s’en dit frappée vu les nombreuses évocation de l’icône dans l’œuvre makinienne. Elle relève sept occurrences du mot dans quatre romans et plusieurs références explicites. Parry relève ces références qui « dépendent de la libre imagination du romancier, comme du lecteur-interprète » (p. 57). Pary effleure le symbole de la croix présent chez Makine ainsi que celui de la maternité et note une « vision du sacré féminin » chez l’auteur qui rappelle celle de Paul Evdokinov, émigré russe vivant à Paris et théologien.

17Katya von Knorring (« Requiem pour l’Est : le triptyque des femmes ») trace un parallèle entre les figures féminines et la Russie dans Requiem pour l’Est. En peignant un triptyque de la vie de trois femmes, Makine dresse une allégorie de la « sainte Russie ». La première de ces femmes est Anna à moitié enterrée vivante, délivrée par Nikolaï. Elle meurt peu avant le début de la seconde guerre mondiale en sauvant des enfants de la noyade par grand froid. La seconde femme, elle aussi sauvée par un homme, Pavel, alors qu’elle est victime d’une tentative de viol. Elle est uniquement désignée comme « la Balkare », sans mention de son nom. Elle est la mère du narrateur. La Troisième femme, Sacha, sauve le narrateur enfant de l’attaque dont sont victimes ses parents et qui le rend orphelin. Elle est sa mère adoptive. Une autre femme enfin, la quatrième, sans nom elle aussi, est l’amie du narrateur. Elle meurt en « martyre, violée, battue, torturée » (p. 74). L’allégorie de la Russie se retrouve, selon Von Knorring, dans « l’histoire de ces trois femmes et les images des trois panneaux – la femme dans la clairière, la madone dans la forêt, l’espionne derrière le rideau » (p. 75). Pourquoi les trois femmes sont-elles quatre ? S’agirait-il d’une allusion aux trois mousquetaires ? Une question que l’on aimerait voir approfondie.

18Selon von Knorring, Makine n’explore pas les sentiments d’aliénation psychologiques en laissant voir qu’aucune de ces femmes n’est celle qu’elle semble être dans cette dialectique du faux-semblant. En effet, Anna est une bourgeoise de Saint-Pétersbourg non une paysanne de Dolchanska ; l’espionne russe est mi-allemande et Sacha, une française exilée en Russie. Makine laisse voir le bouleversement des périodes de guerre et de révolution qui contraint les gens à se cacher et dissimuler leur véritable identité. Von Knorring considère Requiem pour l’Est une « réponse cinglante à l’idée insultante, si répandue au cours des années 80, d’un empire du mal » (p. 78). Une défense de son pays natal par l’auteur.

19La représentation de la Russie traditionnelle par Andreï Makine fait l’objet de plusieurs articles. Par exemple, Claude Hecham (« Déformation des images traditionnelles de la Russie ») s’interroge sur le regard que peux jeter Makine sur son pays natal quitté depuis quinze ans. N’est-il pas réduit aux quelques stéréotypes si chers à l’Occident ? La fantasmagorie de l’écrivain se révèle par des termes propres à « l’atmosphère des contes de fées » (p. 104) où les objets en bois sont des métaphores de la Russie. La corruption de la société soviétique y est symbolisée par une demi-matriochka « transformée en vulgaire pot à crayons » qu’Olia contemple dans La Fille d’un héros de l’Union soviétique. Un autre de ces objets en bois est l’isba. Par exemple, l’isba miniature de la babouchka, construite à l’intérieur de la plus grande dans La Femme qui attendait ; cette autre à moitié détruite par les bombes qui abrite Alexandra dans La Terre et le ciel de Jacques Dorme. Hecham relève aussi les occurrences récurrentes de l’icône.

20La guerre et le temps transforment les images traditionnelles, mais aussi le regard posé sur elles. Celui de Makine, l’exilé, change peut-être encore plus que les autres et construit de signe en signe le kaléidoscope de ses romans où la fenêtre représente pour « Olga l’exilée le moyen d’accéder à son passé, à ses racines aussi » (p. 107). La fenêtre et l’icône s’ « ouvrent toutes les deux sur l’invisible car elles obligent le regard à se concentrer sur l’objet » parce que leur cadre restreint « limite le champ de vision ». Makine reconstruit la Russie qui l’habite par la recherche de la vérité, l’incarne dans les mots et la restitue au lecteur.

21Les perspectives russes de Makine ouvrent aussi sur l’homo sovieticus selon Galina Osmak (« La musique d’une vie : le destin d’un homo sovieticus ») qui considère La Musique d’une vie comme un « hymne à la vie, à la dignité humaine, à la résurrection par l’amour, à l’indomptable force intérieure d’un simple homme soviétique » (p. 109). Le roman questionne nos choix et leurs conséquences, les horizons moraux et notre vision sur la vérité et le mensonge. Questions existentielles toujours d’actualité.

22Le héros principal est fascinant pour le lecteur d’aujourd’hui et donne une tout autre version de l’expression « homo sovieticus » dépeinte en début de roman. Selon Osmak, la description de la gare glacée où le narrateur attend son train pour Moscou est « une métaphore filée qui signifie la pauvreté et la résignation complète du peuple soviétique voué à une vie de misère par le régime totalitaire ». Dans l’attente, le temps a perdu son sens. Cette scène évoque le film de Roman Polanski, Le Pianiste, avec en particulier la scène de rencontre de Wladyslaw Spielman en haillons et affamé et l’officier allemand tiré à quatre épingles.

23Selon Osmak, La Musique d’une vie appartient à la littérature de témoignage. La vie d’Alexeï Berg et de ses parents lui rappelle « la peur glaciale qui régnait dans sa famille le lendemain de la deuxième guerre à Lvov quand les intellectuels polonais étaient arrêtés par le N.K.W.D. et déportés en Sibérie » (p. 113). La valeur du roman de Makine réside dans la description qu’il offre des purges staliniennes et des méthodes employées par le N.K.W.D. auquel il était presque impossible d’échapper.

24Ce roman est avant tout un hymne à la beauté et à l’amour avec les scènes entre Alexeï et Stella sans oublier la beauté du style : le langage du silence. Ce langage du silence est, selon Osmak, représenté par les phrases courtes, les points de suspension à la fin des phrases et les blancs entre les paragraphes qui invitent le lecteur à former ses images plus que le feraient les mots. Makine utilise un langage plus « connotatif que décoratif : il communique non pas des concepts mais des sensations et des émotions ». Galina Osmak conclut que Makine a créé un roman poétique où il montre que malgré les horreurs du totalitarisme soviétique, les gens savaient résister intérieurement et garder une grande générosité et leur dignité, valeurs morales de haut niveau qui permettent la réalisation d’une rencontre entre l’Est et l’Ouest.