Acta fabula
ISSN 2115-8037

2007
Mai-Juin 2007 (volume 8, numéro 3)
Michaël Martin

Auberi, Girard, Gui et les autres

L’épopée médiévale et la Bourgogne, textes réunis par Muriel Ott, Dijon, EUD, 2006.

1Héritière de l’épopée antique, où le modèle homérique avait su imposer une certaine stabilité voire rigidité, l’épopée médiévale va connaître un certain nombre de changements liés essentiellement à l’extraordinaire foisonnement des œuvres dont la « fougueuse arborescence » pour reprendre l’expression de Daniel Madelénat n’a de cesse de mettre en avant les surprises de destins singuliers.

2C’est dans ce contexte que la Bourgogne et les Bourguignons vont s’immiscer dans le discours épique. C’est à eux que sont consacrées les études rassemblées par Muriel Ott dans l’ouvrage paru aux Éditions Universitaires de Dijon, L’épopée médiévale et la Bourgogne, études issues d’un colloque s’étant déroulé du 14 au 16 octobre 2004. Ces dernières sont ainsi regroupées en deux axes majeurs : d’une part l’évocation des Bourguignons et de leur entité géographique au sein des grandes chansons, de l’autre les liens possibles avec le rayonnement culturel et politique de la cour de Bourgogne.

3C’est ainsi que la lecteur part à la rencontre de divers personnages dont les noms témoignent d’un lien que l’on verra bien souvent ambigu avec l’espace bourguignon ainsi que le notent dans leurs contributions Hélène Gallé et Bernard Guidot. Il est ainsi possible de citer parmi les figures qui émergent Auberi le Bourguignon auquel plusieurs études sont consacrées (notamment celles de Jen-Charles Herbin, Catherine Rollier-Paulian ou Isabelle Weill), Girard de Bourgogne (François Suard) ou Gui de Bourgogne (Alain Corbellari). L’impression générale est toutefois bien résumée par Isabelle Ladonet au sujet des Bourguignons et de la Bourgogne dans le Premier Cycle de la Croisade. Ainsi au sujet de l’espace géographique, celle-ci note : « Le problème du lieu en littérature suppose généralement une dichotomie entre le lieu réel et le lieu tel qu’il est évoqué dans la diégèse. Ce remodelage contribue à créer l’atmosphère du texte et les intentions de l’auteur » (p. 58). Quant aux individus, « ils sont le plus souvent présentés en groupe et lorsqu’ils sont individualisés, ils sont ou anonymes ou juste dénommés dans les énumérations… » (idem). Toutefois il existe des exceptions notables comme le cas d’Auberi en témoigne.

4L’autre dimension est non moins importante. À plusieurs reprises de l’histoire de la Bourgogne, les autorités politiques voire religieuses ont tenté d’utiliser l’épopée à des fins diverses, soit pour le rayonnement culturel soit pour justifier son rôle en tant qu’entité à part entière. Ainsi, certaines chansons de geste ont cela en commun avec les Gesta Episcoporum Autissiodorensium, de « glorifier les exploits d’ancêtres » (Maggy Bulté-Di Fiore, p. 156). En témoigne par exemple l’épopée de Guide de Bourgogne, analysée superbement par Alain Corbellari qui est à la fois « un évident hommage au fort contingent de guerriers bourguignons qui ont aidé à la Reconquista aux XIe et XIIe siècle » (p. 158) mais aussi une « épopée de la réconciliation de l’héroïsme récompensé » (p. 165). Ce caractère se renforce tout naturellement à la fin du XIVe siècle où les textes deviennent « une entreprise de propagande vantant une étoile montante, la Bourgogne (Isabelle Weill, p. 176) et où la cour de Bourgogne est notamment « friande des récits et des héros des glorieuses guerres saintes d’autrefois » (Alexandre Winkler, p. 239).               

5Au final, la Bourgogne dans l’épopée médiévale reste un espace aux contours brumeux, mal défini, à la réalité politique souvent floue : « Les Bourguignons, héros ou comparses, n’ont pas de valeurs ou d’ambitions communes. Dès lors, il n’y a pas d’identité bourguignonne » conclut fort justement Hélène Gallé. Lieu de passage plus que véritable territoire, elle voit cependant à différents moments (et notamment à la fin de la période) une volonté politique d’utiliser l’épopée pour renforcer son prestige ou simplement dans un but culturel. La défaite de Nancy viendra mettre un terme à cette volonté.