Acta fabula
ISSN 2115-8037

2008
Janvier 2008 (volume 9, numéro 1)
Irène Fabry-Tehranchi

Lignes et lignages dans la littérature arthurienne

Lignes et lignages dans la littérature arthurienne : actes du 3e colloque arthurien organisé à l'université de Haute-Bretagne 13-14 octobre 2005. Dir. Christine Ferlampin-Acher et Denis Hüe. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2007.

1Les actes du colloque de Rennes (octobre 2005), dédiés à Emmanuèle Baumgartner, et parus sous la direction de Christine Ferlampin et Denis Hüe, rassemblent des articles consacrés à la question du lignage. Celui-ci joue en effet un rôle fondateur dans la société féodale, sa construction imaginaire et ses créations littéraires. Les nombreuses contributions, qui portent sur le lignage dans la littérature arthurienne, proposent des approches variées, mythologiques et folkloriques, poétiques et sémantiques, ou encore historiques et iconographiques.

2Marie-Madeleine Castellani dans "Au nom du père. Lignage et paternité dans la Première Continuation et Le Bel Inconnu" note la prépondérance du lignage maternel et de la figure avunculaire d'Arthur dans la généalogie de Gauvain et celle de ses fils. Ceux-ci découvrent leur filiation paternelle à l'épreuve de leur vie, et leur nomination ainsi que celle de leur géniteur joue un rôle capital. Si la bâtardise constitue une métaphore de l'écriture des Continuations, reste le problème de la concurrence romanesque latente du personnage de Gauvain et de ses fils.

3L'article d'Anne Berthelot, "De Merlin à Mordret, enfants sans pères et fils du diable", souligne les potentialités problématiques de la naissance d'un enfant qui garantit pourtant la continuation du récit dans le monde arthurien. Si Merlin s'affirme davantage comme enfant sans père que comme fils du diable, la légitimité d'Arthur, qui souffre au contraire d'un "surplus" de pères potentiels -Uter Pandragon, Merlin et Antor-, est particulièrement remise en cause dans les textes vernaculaires. Elle pâtit du discrédit qui affecte la conception diabolique de Merlin et celle incestueuse de Mordred, causée par l'ignorance d'Arthur concernant son propre lignage.

4Dans "Le passé éclaire le présent : les ascendants du héros dans le Tristan en prose", Jean-Marc Pastré étudie le préambule écrit a posteriori à partir des aventures de Tristan en s'intéressant notamment au personnage ambigu de Chelinde et à sa descendance. Ce texte qui "éclaire le présent tristanien par le passé de ses ancêtres" du point de vue d'une "idéologie pessimiste et cléricale" passe par la "récupération idéologique d'un passé à la fois antique et vétéro-testamentaire" et redistribue des traits de la carrière du héros sur les générations antérieures (p. 47). La réécriture de ces antécédents permet de noircir la Cornouaille et de blanchir le Léonois en préfigurant les destins de Marc et de Tristan.

5Dans "Comment nommer un bâtard arthurien", Florence Plet réfléchit au statut et à la représentation des bâtards au Moyen Age. Elle construit ainsi dans le domaine littéraire une typologie avec les fils sans père dont le nom emprunté, faussement attribué ou rattaché à la mère dissimule la filiation réelle (Méraugis, Mordred, Merlin...), puis les bâtards qui ne sont nés ni de l'inceste ni d'une femme mariée et qui sont alors plus facilement reconnus, leur nom pouvant relever aussi bien de la matronymie que de la patronymie (Yvain l'Avoutre, Hélain le Blanc, Arthur le Petit...). L'auteur évoque enfin quelques figures historiques (Yvain de Lescar, le bâtard de Foix, ou Dunois le Bâtard d'Orléans), associant le prestige des bâtards à la prégnance des romans arthuriens à la fin du Moyen Age.

6Dans "Brouiller les traces. Le lignage du héros éponyme dans le Roman de Guiron", Sophie Albert s'intéresse au passage où Brehus sans pitié, précipité dans une caverne merveilleuse, rencontre Fébus, le grand père de Guiron, qui lui explique la généalogie de sa famille. Guiron contrairement à Meliadus est  dépourvu de descendance dans le Lancelot-Graal ou le Tristan en prose. Son destin familial et social est marqué par des dysfonctionnements qui affectent le sort de son lignage : les figures maternelles sont défaillantes et la succession du lignage de Guiron sur le royaume de Gaule est interrompue. Cela tient à la présence de Pharamond dans le Tristan en prose et au fait que Guiron renonce comme son père à la royauté en faveur de l'érémitisme tandis que son grand-père lui avait préféré la chevalerie. Le secret demandé à Brehus assure la clôture de cet épisode qui apporte la légitimation généalogique du personnage éponyme et la justification littéraire du roman.

7Étudiant "L’illustre lignage de Cornuälle dans le Roman de Silence", Danièle James-Raoul montre que le nom du lignage que revendique l'auteur et qu'il partage avec son héroïne inscrit le roman dans l'héritage actanciel et l'horizon d'attente arthurien. Le lignage est un ressort narratif majeur qui détermine la cohérence de l'action. Le personnage de Cador de Cornouaille connaît des déplacements par rapport une tradition littéraire double et si Silence doit sa vie à la reconnaissance de son lignage dont elle démontre la valeur, les explications généalogiques embrouillées qu'elle allègue devant Merlin pour motiver sa capture contribuent à dévoiler son identité et sa nature féminine. L'auteur qui se présente sous le nom d'Heldris de Cornouailles au début et à la fin de son roman, revendique sa paternité littéraire et se sert conjointement de cette ascendance pour légitimer son écriture.

8Dans son "Étude pragmatique des relations langagières entre les chevaliers des lignages du roi Lot et du roi Ban, évolution entre la Mort le roi Artu et le Tristan en prose", Corinne Denoyelle part de l'opposition du lignage du roi Lot, organisé en parage où Gauvain et ses frères sont égaux et le lignage du roi Ban qui constitue un frérage complètement dominé par la figure de Lancelot. Utilisant les notions de "face négative" et de "face positive" et les "Face Threatening Acts" et "Face Flattering Acts", l'auteur souligne l'éclatement du lignage de Lot. L'autorité du chef du lignage de Ban est au contraire toujours reconnue et acceptée sans discussions. Dans le Tristan en prose, "les oppositions se durcissent". Le lignage de Lot se déchire avec violence. A l'inverse, Lancelot parvient à maîtriser et contenir son lignage.

9L'article de Juliette Pourquery de Boisserin "Guiron le Courtois : le lignage et sa représentation iconographique" rappelle la bipolarité d'un roman tendu entre d'une part Meliadus et son fils Tristan, l'avenir de la chevalerie, et d'autre part Guiron, tourné vers le passé de l'enfance ou de la chevalerie de l'ancien temps. L'épisode de la caverne permet de remonter le temps vers l'ascendance de Guiron à travers l'enfermement et la transformation du découvreur de la caverne, Bréhus sans Pitié et un parcours dans l'espace temps de la lignée, la caverne constituant un lieu de mémoire où la mort est esthétisée. L'auteur étudie successivement trois transcriptions iconographiques de la caverne où s'expriment la beauté des êtres conservés dans la mort et la clôture du récit.

10Dans "Un air de famille, Observations sur les armoriaux arthuriens" Richard Trachsler s'intéresse aux armoriaux qui apparaissent à la fin du XVe siècle dans l'entourage de Jacques d'Armagnac et ajoutent à la présentation de l'identité et de l'écu du chevalier une description plus fouillée des personnages mentionnés. Les descriptions physiques et les détails ajoutés sont souvent inédits et complètent ainsi les éléments fournis par les romans en prose. Parfois de nouveaux chevaliers sont créés et souvent les mêmes caractéristiques physiques sont reprises et réarticulées pour distinguer les chevaliers arthuriens. À travers la présentation des lignages de Palamède et de Loth (les relations familiales sont déterminantes au sein de la fratrie constituée par le compagnonnage de la Table Ronde) les armoriaux préservent l'individualité de chaque personnage tout en maintenant une certaine homogénéité à l'échelle du recueil.

11Catherine Daniel étudie "Les généalogies arthuriennes des rois d’Angleterre au XVe siècle" et montre comment depuis le XIIe siècle, puis au temps d'Edouard Ier, Arthur constitue seulement le prédécesseur légal des rois d'Angleterre, ce qui suffit à justifier leurs prétentions politiques à contrôler les royaumes voisins. Si les généalogies se développent au XIIIe siècle, c'est seulement au XVe siècle que les rois d'Angleterre recourent à la branche galloise de leur généalogie (par le biais de l'alliance, au XIIe siècle du Normand Ralph Mortimer avec la princesse galloise Gwladys) pour faire valoir leur ascendance bretonne et ainsi fonder leur légitimité sur le sang en remontant à Arthur et à Brut. Dans le contexte de la Guerre des Deux Roses, contemporaine des conflits de la Guerre de Cent Ans, Edouard IV d'York s'efforce ainsi se rattacher aux bretons. Par la suite, la dynastie Tudor bénéficie encore des prophéties qui lui apportent le soutien gallois et même au XVIIe siècle, Jacques Ier Stuart recourt à cette généalogie à des fins de propagande.

12L'article de Jean-Louis Benoît "Yonec, une nouvelle vengeance du fils de la veuve?" s'inspire des travaux sur le mythe et en particulier des études sur le Conte du Graal pour insister sur la dimension mythique, rituelle et à la fois chrétienne et ésotérique du lai de Marie de France.

13Karine Ueltschi dans "Le Premier Roi ou le Fils Méhaignié. A propos d’Arthur, d’Hellequin et des Plantagenêt", étudie les liens qui unissent des personnages dont les filiations infernales "éclairent singulièrement les soubassements de la fonction royale et  les corrélations souterraines et cycliques entre mort et souveraineté, provenant de l'idée immémoriale de la sacralité de la royauté" (p. 165). D'Hellequin à Henry II, les rois bretons étudiés entretiennent ainsi une parenté par analogie par un "savant mélange entre héritage légendaire, historicité et visées politiques" (p. 165). Ces rois chasseurs sont au cœur d'importants désordres familiaux et entretiennent des relations privilégiées avec le monde infernal. Leur lignage est méhaigné à cause d'un ancêtre monstrueux et le mal royal affecte l'ensemble de leurs terres, la seule solution consistant dans le retour mythique du roi.

14Dans "Lignage et virginité", Antoinette Saly étudie d'abord les proses du Graal où le maintien de la virginité assure la préservation du lignage à venir, puis l'Eludication et Jaufré où "la sauvegarde de la virginité mène l'abondance alors que tout atteinte à la virginité la détruit" (p. 181), pour conclure sur la permanence de rapport entre virginité et fécondité dans le domaine indo-européen.

15L'article de Mireille Séguy "La parole est d’argent : transmission lignagère et transmission discursive dans le Roman de Silence" montre d'abord comment "la transmission lignagère empêchée par l'interdit royal est traitée par le récit comme une parole empêchée" (p. 188). Le nom de Silence que porte l'héroïne témoigne ainsi de "l'interdépendance de l'inscription généalogique, de l'identité sexuelle et de la parole" : l'onomastique dessine en effet "le motif obsédant d'une parole perturbée, détournée, retenue ou interdite" (p. 190). Mais "la rétention de la parole des personnages dans l'histoire" entraîne une "inflation de discours" de la part du narrateur qui rend compte de leurs débats intérieurs et assume une posture moralisatrice face à la crise des valeurs et de la lettre, dans un univers fictionnel marqué par le mensonge et la dissimulation. Or la superposition de "strates narratives et discursives souvent contradictoires", crée une ambiguïté irréductible. Le discours se développe au final dans un mouvement de circulation cohérent avec l'éloge de la transmission de la richesse, tandis que le désir amoureux et le dévoilement du corps sont indissociables d'un désir de dire tendu entre "le cours silencieux du récit" et des développements didactiques proliférants.

16Dans "Le Bon Chevalier sans Peur, Brunor, Dinadan et Drian : un lignage détonnant!" Barbara Wahlen étudie comment à la suite du Tristan en prose le Roman du roi Meliadus promeut les "greffons" que sont Brunor, incarnant "une conception sublime de la chevalerie, de l'amour et de l'idéal poétique" (p. 207) et Dinadan, qui au contraire se sert du registre comique pour souligner la vanité des exploits chevaleresques et les méfaits de l'amour passion. Dans Ysaÿe le Triste, Drian est déterminé par son mauvais lignage et il constitue une caricature de son père Dinadan. Dans le Roman du roi Meliadus, le Bon Chevalier sans Peur surpasse ses fils Brunor et Dinadan par sa perfection et il permet "une représentation idéalisée du pouvoir d'intégration de la chevalerie et de la fonction égalisatrice de la prouesse" (p. 211). Enfin dans la réécriture du passage de la Douloureuse Garde du Lancelot, il incarne une "nouvelle chevalerie, sans prétention célestielle, dont la prouesse n'a pas besoin d'être exaltée par l'amour" (p. 213).

17Hélène Bouget dans "Haine, conflits et lignages maudits dans le cycle de la Post-Vulgate" montre comment le lignage de Loth, constamment opposé à celui de Pellinor, et objet de conflits internes, devient peu à peu un lignage maudit qu'Arthur renie pour lui préférer celui de Ban. Gauvain lui-même participe à la destruction d'un lignage que la conception illégitime des fils du roi ne peut sauver. Les principaux conflits lignagers sont mis en abyme dans des récits secondaires et répétés dans tout le cycle où ils causent la destruction du royaume Arthur, ce qui participe d'une vision tragique de la chevalerie et du roman arthurien qui renoue alors avec la tradition épique.

18Dans "Paroles du père au fils. Généalogie et filiation littéraire dans la Continuation de Wauchier de Denain", Sébastien Douchet met en relation la filiation des héros avec la façon dont les continuations du Graal "perpétuent le lignage littéraire de Chrétien" (p. 232). L'invention d'un bâtard littéraire comme Lionel dans la Première Continuation emblématise la démarche de Gerbert de Montreuil qui manifeste une grande liberté créatrice et rompt avec "la ligne romanesque imposée par l'hypotexte champenois" (p. 234). La mise en scène de Guinglain dans la Deuxième Continuation autorise l'introduction d'un long discours analeptique de Gauvain qui s'appuie sur le Conte du Graal et la version courte de la Première Continuation. Or par les modifications qu'il introduit, "Wauchier réorganise et réoriente dans un sens chrétien" (p. 239) les données de son roman "afin d'établir une filiation littéraire qui laisse accroire à une fidélité à l'hypotexte et qui en réalité s'en affranchit" (p. 241) ; il s'éloigne ainsi de la Première Continuation en se rapprochant de la lettre de Chrétien.

19Étudiant les "Filiations improblables du cyle troyen-breton en Islande", Hélène Tétrel s'intéresse à la compilation du Livre de Haukr (XIVe s.) marquée par l'influence de textes encyclopédiques comme les Etymologies d'Isidore de Séville ou le De Imagine Mundi d'Honorius qui comprend la traduction combinée du De Excidio Trojae et de l'Historia Regum Britanniae ainsi que des généalogies à la fois nordiques et bretonnes. Bien que la compilation constitue un "assemblage instable" (p. 246), elle comprend une importante dimension historique et religieuse ; marquée par la pensée évhémériste et comportant des orientations syncrétiques, elle tend à replacer l'histoire des peuples scandinaves dans l'histoire universelle en soulignant leur parenté avec les Bretons.

20L'article de Myriam White-Le Goff "Quand la légende de Saint Patrick s'aventure en territoire arthurien", distingue d'Yvain le personnage d'Owein bien qu'il puisse être considéré comme un chevalier arthurien dans le Tractatus de purgatorio sancti Patricii de Henry de Saltrey. L'auteur met en relation la légende de saint Patrick avec la Queste del Saint Graal pour la distinction posée entre chevalerie temporelle et chevalerie célestielle et avec le Perceforest où Passelion fonde le temple de Barcolan qui deviendra le purgatoire de saint Patrick et où Gaddifer comme Owein œuvre à dissiper les fausses croyances. Or si dans le Purgatoire la pensée religieuse s'appuie sur une forte sensibilité à l'immanence de l'au-delà, le Perceforest essaie d'extirper les superstitions pour promouvoir la foi chrétienne.

21Dans "Les fils de Gauvain et l’héritage du roman", Francis Gingras met en relation le motif de la filiation avec l'évolution poétique du récit arthurien après Chrétien de Troyes. L'apparition de Lionel dans la Première Continuation témoigne de la fructification du Conte du Graal. Ainsi la figure paternelle, (entachée par des violences lignagères) s'estompe au profit de la figure avunculaire, et le récit passe de l'ordo artificialis à l'ordo naturalis. La figure du père s'absente du Bel Inconnu qui joue avec les conventions et les formes littéraires et se place nettement à l'écart des aventures du Graal. Enfin le Biaudous de Robert de Blois fait imploser la forme romanesque, le cadre arthurien servant de prétexte aux explorations et interpolations à caractère didactique et allégorique.

22Danielle Buschinger s'intéresse aux "Liens de parenté dans le Conte del Graal de Chrétien de Troyes et son adaptation allemande dans le Parzival de Wolfram von Eschenbach". Alors que le premier livre les relations parentales de ses personnages "de façon impressionniste" (p. 286), le second introduit modifications, ajouts et précisions pour tisser entre ses personnages des liens de parenté. Wolfram complète la généalogie de son héros pour en faire le descendant direct du premier roi du Graal Titurel, et son épilogue rattache  Parzival à la légende du Chevalier au cycle  déjà liée à la famille de Godefroy de Bouillon. De la sorte, ses personnages, d'Orient et d'Occident "représentent toute l'humanité" car pour l'auteur, "le poète allemand a eu le dessein de créer une véritable cosmologie, une sorte d'histoire universelle" (p. 291).

23Dans "Méraugis, l’homme sans père", Michelle Szkilnik étudie l'évolution du personnage et le développement de son lignage de l'œuvre de Raoul de Houdenc aux romans en prose (Estoire de Merlin, Tristan en Prose, Queste del Saint Graal Post Vulgate, Demanda portugaise et manuscrit BNF Fr. 112). Dans ces derniers, Méraugis est inséré dans un complexe réseau d'analogies qui le dotent non seulement d'un lignage mais encore de "doubles" comme Arthur le Petit et Mordred. Il constitue en outre un palimpseste de l'Erec de Chrétien dans la Queste Post Vulgate marquée par une vision pessimiste caractéristique de l'évolution des romans arthuriens.