Acta fabula
ISSN 2115-8037

2008
Avril 2008 (volume 9, numéro 4)
Isabelle Brouard-Arends

Les Traités d’obstétrique au seuil de la modernité

Valérie Worth-Stylianou, Les Traités d’obstétrique en langue française au seuil de la modernité. Bibliographie critique des Divers travaux d’Eustache Rösslin (1536) à l’Apologie de Louyse Bourgeois sage femme (1627)., Genève, Droz, coll. "Travaux d’Humanisme et de la Renaissance", n°CDXXI, 496 p, 2007.

1L’ouvrage édité dans la belle collection des Travaux d’Humanisme et Renaissance fournit un index thématique, des auteurs et  des lieux. Y figure également une table des illustrations et des éditions recensées. L’ensemble construit un outil scientifique précieux. L’ouvrage est constitué de deux parties, la première est une présentation de l’objet, le traité d’obstétrique et les savoirs médicaux associés, sachant que le terme d’obstétrique n’existe pas encore. Il faut attendre le XIXe siècle pour que ce domaine médical prenne son autonomie. L’absence de terminologie précise révèle la difficulté à admettre la reconnaissance d’une médecine générale de la femme.  Les travaux d’E.Berriot Salvadore ont exploré les débats de l’antiquité jusqu’à la Renaissance à ce sujet. V.Worth-Stylianou s’y  réfère souvent comme à d’autres critiques tissant ainsi un réseau intertextuel anthropologique, historique (histoire de la médecine, des femmes, de l’édition…). Son amplitude et son ouverture manifestent clairement les champs d’analyse de l’étude. La deuxième partie est exclusivement consacrée à la présentation bibliographique des traités d’obstétrique sélectionnés, avec une présentation de chaque auteur, une transcription des titres, une collation abrégée, une liste des exemplaires recensés dans les fonds publics français et britanniques et une description de l’ouvrage, l’objectif de l’auteure étant de  retracer la diffusion des ouvrages afin de contribuer à l’histoire de l’édition française. Citons parmi les plus connus, Euchaire Rösslin, Ambroise Paré, Guillaume Chrestian, traducteur d’Hippocrate, les Erreurs populaires de Laurent Joubert, Louise Bourgeois, etc…Cette étude amène à poser des questions de réception et de lectorat : le choix de la langue vulgaire, exceptionnel à l’époque,  dans ce domaine de la médecine a quelle incidence sur le destinataire, homme ou femme ? Souci de vulgarisation ? de diffusion de connaissances vers d’autres pratiquants de  la médecine obstétricale qui en étaient exclus par leur ignorance du latin, les sages femmes par exemple qui seront au cœur d’une attention de plus en plus vigilante de la part des autorités royales tout au long du dix-huitième siècle pour lutter contre le fléau de la mortinatalité et de la mort des femmes en couches.

2V.Worth-Stylianou propose à son lecteur un projet original aux confins de deux territoires, l’histoire de la médecine et l’histoire sociale : sa tentative de constituer une bibliographie critique concernant les manuels obstétricaux sur à peu près un siècle, de retracer  l’évolution des éditions notamment de celles qui ont été écrites en langue vulgaire ou qui ont été traduites du latin en français, met à jour un horizon de débats qui touchent à la réception de ceux-ci ( en relation avec  l’identité du lectorat), et à des questions d’ordre éthique, en particulier, sur le bien fondé à divulguer des secrets qui touchent à l’intime de la personne et dont la révélation à un lectorat non spécialisé, chirurgiens et apothicaires, sages femmes ou femmes soucieuses d’accéder à des connaissances qui les concernent pour leur santé et celles de leurs enfants,  pourrait être comprise comme une offense à la vertu et, c’est bien pis, pourrait informer des personnes jusque là naïves !  L’alliance dans certains ouvrages entre médecine gynécologique et soins de beauté (cf Louise Bourgeois) voire l’approche vers  des savoirs érotiques transgresse les règles de la bienséance mais constitue aussi un appel à la lecture. De la même manière que la publication en langue vulgaire tend à effacer la distinction entre celle-ci et la langue savante, son emploi contribue à l’effritement des barrières en médecine savante et médecine populaire.  Elle manifeste également, même si les préjugés demeurent sur l’image utérocentrique de la femme en relation avec une vision qui remonte à l’antiquité,  l’importance accordée à la maternité jusqu’à la fin du XVIIIè siècle.

3L’éventail des questions abordées ainsi que l’approche des éditions des traités d’obstétrique sauront intéresser un lecteur curieux de l’évolution des textes obstétricaux de même qu’un lecteur soucieux des questions de réception concernant, notamment, l’utilisation de la langue vulgaire dans un domaine traditionnellement attaché à la langue savante.