Acta fabula
ISSN 2115-8037

2008
Juillet-Août 2008 (volume 9, numéro 7)
Nicolas Di Méo

La France coloniale : un passé qui n’en finit pas

Retours du colonial ? Disculpation et réhabilitation de l’histoire coloniale, sous la direction de Catherine Coquio, Nantes : Librairie l’Atalante, 2008, 384 p.

1Issu du colloque Retours du colonial ?, qui s’est tenu à l’Assemblée nationale et à l’EHESS les 12 et 13 mai 2006 et dont l’argumentaire figure à la fin du volume, l’ouvrage s’interroge sur les origines d’un paradoxe que Catherine Coquio formule dès les premières pages de sa très claire introduction, destinée à mettre en perspective les thèmes que vont ensuite aborder les différents contributeurs. Ce paradoxe est celui « qui fait coïncider en France, sinon une reconnaissance des crimes coloniaux, du moins un profond malaise dans la “civilisation” et, aux tribunes de l’État, une […] résurrection de l’utopie coloniale » (p. 11). D’un côté, donc, un « retour critique sur le fait colonial, qui s’effectue sur le mode à la fois scientifique et militant » (p. 10) ; de l’autre, une « mythologie coloniale » (p. 21) qui ne disparaît pas et sur laquelle s’appuient des initiatives politiques visant à légitimer le passé colonial, dont les plus retentissantes ont sans doute été la loi du 23 février 2005 parlant de « l’œuvre accomplie par la France » dans « les territoires placés antérieurement sous [sa] souveraineté » et le discours prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar le 26 juillet 2007. La persistance d’un racisme profond et l’occultation systématique des exactions coloniales expliquent à la fois le peu de réactions suscitées par ces initiatives et l’insuccès du courant postcolonial en France : « … s’il n’y a pas en France de “postcolonie”, c’est que les crimes coloniaux n’y ont pas fait événement au point de se constituer en catastrophes historiques » (p. 25).

2L’introduction de Catherine Coquio est complétée par un article écrit en collaboration avec Aurélia Kaliski (« Dix petits nègres : retours d’une comptine »), dans lequel sont présentées plusieurs adaptations (américaines, britanniques et allemandes) de la comptine des Dix petits nègres. Sont ainsi mises en évidence la diffusion et la persistance, en Occident, de modèles ayant connu un large succès au cours de la période coloniale et dont les origines racistes sont indéniables.

3La première partie de l’ouvrage aborde la question des retours — ou de la persistance — du colonial sous ses aspects politiques, militaires et législatifs. Philippe Hauser (« Le mensonge comme opérateur politique ») souligne la parenté existant entre la loi du 23 février 2005 et la « représentation coloniale classique » (p. 66), mais voit dans le « nouveau discours colonial » moins une idéologie qu’une mythologie, c’est-à-dire un discours retirant au réel sa « densité historique » et « introduisant de manière délibérée le mensonge au cœur de l’histoire » (p. 68). L’objectif de cette manipulation est de souder la communauté nationale en désignant un autre qui pourrait aussi être un ennemi potentiel, si bien que la valorisation du passé colonial participe du même phénomène que la marginalisation — voire la stigmatisation — de la figure de l’immigré. Concrètement, l’objectif visé est double : d’une part, satisfaire les groupes qui s’estiment lésés par la décolonisation ; d’autre part, dans un contexte marqué par de fortes tensions dans les banlieues, donner le sentiment que le pouvoir politique agit pour préserver la cohésion nationale. La continuité du discours colonial ne doit donc pas masquer le renouvellement des enjeux politiques, qui ne sont plus nécessairement les mêmes que dans la première moitié du XXe siècle.

4Gabriel Périès (« Normativité de l’“état d’exception” dans la période postcoloniale ») choisit quant à lui de s’intéresser à une autre continuité, celle du « système juridique et normatif de l’état d’exception » (p. 80), apparu dans la loi française en 1955, avec la définition de « l’état d’urgence » au moment de la guerre d’Algérie, puis repris dans les constitutions de plusieurs États africains indépendants (Mauritanie, Tchad, Niger, Côte d’Ivoire…). Ce dispositif permet d’élaborer « les conditions d’émergence et d’application du pouvoir militaire » (p. 91) dans la perspective d’un quadrillage et d’un contrôle du territoire. Ses origines sont à rechercher dans l’analyse de l’organisation du Vietminh proposée par certains théoriciens militaires français lors de la guerre d’Indochine, et notamment dans la notion de « hiérarchies parallèles » (p. 95) encadrant les populations. Le système, selon Gabriel Périès, permet à la dictature de revêtir un « double visage : légal et “militaro-normatif” » (p. 100), dont la bataille d’Alger a constitué l’application la plus sanglante et dont la proclamation de l’état d’urgence lors des émeutes de novembre 2005 dans les banlieues françaises a représenté en quelque sorte un avatar atténué. Catherine Coquio (« Guerre coloniale française et génocide rwandais ») affirme alors que le Rwanda, au cours de la Guerre froide, a constitué un véritable terrain d’expérimentation pour une « doctrine militaire d’origine coloniale » visant à mettre la population « sous coupe réglée » en confiant la réalité du pouvoir à un « système politico-militaire substitutif des autorités civiles » (p. 107). Le rôle de l’armée française dans l’organisation de ce système et le soutien qu’elle a apporté au Hutu Power expliquent le refus des autorités françaises de reconnaître leur part de responsabilité dans le génocide de 1994, ainsi que leur défense de la thèse du double génocide1. Selon Catherine Coquio, c’est donc bien une « guerre coloniale » (p. 122) que la France aurait menée au Rwanda à partir de 19902 — mais une guerre coloniale différente des précédentes, adaptée à un contexte nouveau, ayant moins pour but de conquérir un territoire que de défendre une zone d’influence, notamment face aux États-Unis.

5Sévane Garibian (« Qu’importe le cri pourvu qu’il y ait l’oubli ») montre pour sa part que les dispositions de la loi française rendent le jugement des crimes commis pendant la colonisation et la décolonisation impossible. En effet, seuls les crimes contre l’humanité sont considérés comme imprescriptibles et inamnistiables. Or le droit français ne reconnaît que deux sortes de crimes contre l’humanité : ceux qui ont été commis au service des puissances de l’Axe lors de la Seconde Guerre mondiale et ceux qui ont été commis après le 1er mars 1994, c’est-à-dire après l’entrée en vigueur des nouveaux articles du Code Pénal concernant les crimes contre l’humanité. Le vide juridique ainsi créé rend donc les crimes coloniaux, prescrits ou amnistiés dès les années 1960, « insaisissables par le droit » (p. 137).

6Cette première partie se conclut sur une contribution de Boubacar Boris Diop (« Le discours impardonnable de Nicolas Sarkozy »), qui reprend un texte déjà publié dans un ouvrage de réponse au discours prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar3. Il y critique les préjugés du Président de la République et d’une partie des intellectuels français, le cliché selon lequel les génocides seraient récurrents et donc presque normaux en Afrique, la valorisation fréquente de la colonisation, le soutien des autorités françaises à toute une série de régimes dictatoriaux, ainsi que l’afro-pessimisme et son instrumentalisation en Occident. Il invite alors à prendre en considération la complexité et la diversité des situations africaines, autrement dit à adopter un regard se situant à l’opposé de celui dont témoigne le discours de Dakar.

7La deuxième partie s’attache à la question de la mémoire et des représentations associées au fait colonial. Elle tente notamment de cerner les causes et les conséquences des difficultés que rencontrent souvent en France ceux qui essaient de poser un regard critique sur l’histoire coloniale. Pascal Blanchard (« L’impossible débat colonial ») montre de manière tout à fait convaincante qu’entre 1870 et 1960, la France a été imprégnée en profondeur par une culture coloniale qui était une « culture du quotidien extrêmement banalisée » (p. 164). Des évolutions ont eu lieu depuis, mais les restes de cette culture expliquent les difficultés actuelles à poser le débat autour de la colonisation. Celle-ci, en particulier, n’est pas vraiment considérée comme faisant partie de l’histoire nationale, alors que « la connaissance de ce qui s’est fait dans les colonies [devrait] se concevoir en totale imbrication avec ce qui s’est construit simultanément ici [en métropole] » (p. 171). Une telle situation de déni institutionnalisé possède par ailleurs des conséquences psychologiques qu’Alice Cherki examine dans son article « Confiscation des mémoires et empêchement des identifications plurielles ». Selon elle, le déni de l’histoire coloniale entraîne, chez les descendants des colonisés, une « ethnicisation des mémoires » (p. 180), ou encore la construction d’une « mémoire monumentale plus imaginaire que réelle » (p. 181) privant les individus de tout moyen d’accès à des mémoires inconscientes et multiples, autrement dit de toute possibilité d’échapper à une assignation identitaire figée et de se construire en suivant un « trajet subjectif » (p. 184). C’est dans cette perspective également que Nils Andersson (« Reconstruction et déconstruction de soi : pour une “communication” entre deux mondes ») réclame une déconstruction de l’image du colonisateur occidental convaincu de sa supériorité, car c’est précisément cette conviction qui alimente le déni des crimes coloniaux : « Pour qu’une autre histoire, non amputée, soit possible, la construction de soi du colonisé est indissociable de la déconstruction du colonisateur » (p. 217).

8Bernard Mouralis (« La colonisation chez des écrivains africains depuis 1990 ») déplace l’analyse en se penchant sur la place du thème colonial chez plusieurs écrivains africains (Amadou Hampâté Bâ, V. Y. Mudimbe, Ahmadou Kourouma, Tierno Monémembo, Mongo Beti). Il note une forte présence de la question à partir des années 1990 (on aurait d’ailleurs aimé que cette date soit davantage commentée), dans une logique tenant plus du désir d’analyse ou d’explication que du travail mémoriel. Pour les auteurs considérés, il s’agit de se dégager aussi bien de « l’historiographie coloniale [que de] l’historiographie nationaliste » (p. 200) et de privilégier une vision critique n’épargnant ni le système colonial, ni les élites traditionnelles, ni le néo-colonialisme apparu à partir des années 1960. Malgré un certain nombre d’évolutions, la continuité des structures de domination est ainsi mise en évidence, notamment par Mongo Beti et Ahmadou Kourouma. Toujours dans le champ de la littérature, Zahia Rahmani (« Le “harki” comme spectre ou l’écriture du “déterrement” ») relate pour sa part une expérience personnelle en se penchant sur la genèse de son récit Moze (2003), qui met en scène une figure de « harki » inspirée de son propre père. Elle souligne la position intenable du « supplétif » luttant au service d’une communauté française qui ne le considérait pas comme l’un des siens et combattant « une communauté de “frères” dont il faisait partie en tant que colonisé » (p. 233). Elle conclut son texte en affirmant que le « harki », aujourd’hui, rechercherait l’oubli avant tout.  

9Alain Deneault (« Les symboles coloniaux au service de l’humour noir offshore », sous-titré « L’île dans la “littérature” du fiscaliste Édouard Chambost ») conclut cette partie consacrée aux mémoires et aux représentations en étudiant l’imaginaire spécifique associé aux paradis fiscaux, dans lesquels il voit la réalisation du projet colonial d’espaces entièrement dévolus au commerce, à la finance et aux affaires : « Le lexique colonialiste ou offshore fut créé pour qu’on comprenne le moins possible ce qui a trait aux pratiques de domination civilisationnelles ou financières » (p. 248). L’imagerie associée à l’île permet en particulier de masquer la réalité de pratiques financières peu avouables.

10La dernière partie du livre aborde les questions de la francophonie et du postcolonialisme et insiste notamment sur le peu de succès rencontré par la théorie postcoloniale dans les milieux intellectuels français. Marc Nichanian (« Retour d’humanisme. Humanisme, orientalisme et philologie chez Edward Said ») s’attaque à la notion d’humanisme et entreprend de défendre Orientalism, dont la première édition date de 1978, contre la lecture que l’auteur lui-même, Edward Said, a rétrospectivement faite de son propre travail. Alors que Said affirme « qu’il est possible de critiquer l’humanisme au nom de l’humanisme et que, si l’on est conscient de ses abus par l’expérience de l’eurocentrisme et de l’empire, on peut formuler un type différent d’humanisme qui soit cosmopolite et philologique » (p. 264), Marc Nichanian voit plutôt dans Orientalism une « critique antihumaniste de l’orientalisme de type généalogique » (p. 267), ou encore une « critique foucaldienne, antihumaniste, de la philologie » (p. 268). L’intérêt du livre viendrait alors du fait qu’il constitue « à la fois la critique et l’aboutissement […] du même objet et du même sujet, la philologie » (p. 267). Or pour Marc Nichanian, humanisme et philologie demeurent intimement liés au colonialisme et à la domination dénoncés par Said, au point que l’humanisme ferait partie « de la culture, des institutions, du projet même, de l’homme occidental » (p. 266). Si l’on suit le raisonnement, il y aurait donc, paradoxalement, une sorte de retour du colonial chez l’un des penseurs ayant déconstruit avec le plus de netteté les ressorts de la domination coloniale. Polémique, la thèse de Marc Nichanian a le mérite de souligner à quel point l’humanisme et la philologie ont pu avoir partie liée avec le colonialisme. On peut cependant regretter que l’argumentation repose souvent sur des notions abstraites (essence de la philologie, essence de l’humanisme) qui tendent à réifier les concepts évoqués, à les enfermer dans un développement prédéterminé au sujet duquel tout semble écrit d’avance. Or est-il vraiment certain que l’on ne puisse pas « critiquer l’humanisme au nom de l’humanisme » ? S’il est absurde de nier les implications eurocentriques de l’humanisme du passé et s’il est sans doute naïf de penser que ces implications ont complètement disparu aujourd’hui, on ne voit pas bien ce qui permet de prétendre que l’humanisme ne peut, par essence, ni être amendé, ni faire l’objet d’une redéfinition critique. Par ailleurs, l’affirmation selon laquelle la philologie ferait partie « du projet même de l’homme occidental » laisse songeur : on aimerait en savoir davantage sur ce « projet », si tant est qu’il existe vraiment4.

11Françoise Vergès (« Postcolonialité : retour sur une “théorie” ») souligne quant à elle l’intérêt des outils de la théorie postcoloniale pour comprendre le monde contemporain, tout en rappelant que le postcolonialisme peut également, parfois, donner « naissance à une orthodoxie » (p. 278). Les concepts issus de la théorie postcoloniale permettent de penser les rapports Nord-Sud dans une relation dynamique et évolutive qui en révèle toute la complexité. Ils font apparaître les formes de « double conscience » identitaire (p. 282), les « influences réciproques » (p. 283) et les tensions à l’œuvre : « La théorie postcoloniale a complexifié les approches, insistant sur l’entre-deux et les zones de contact » (p. 285). Des notions comme celle de « transculturalité » fournissent le moyen d’éviter le double écueil du nativisme en quête d’authenticité mythique et de la valorisation systématique d’un cosmopolitisme ne tenant pas compte des rapports bien réels de domination. Tiphaine Samoyault (« Les réticences françaises à l’égard des études postcoloniales ») revient alors sur le peu de succès rencontré par ce courant postcolonial dans l’université française. Elle fait état d’un certain nombre d’objections (corpus dominé par la langue anglaise, prédilection accordée à la théorie sur l’analyse, valorisation systématique des « subalternes » et donc, en quelque sorte, simple renversement de perspective), avant de situer les réticences françaises à plusieurs niveaux : attachement aux concepts universalistes, croyance en l’autonomie de la littérature, retard dans l’écriture de l’histoire coloniale, méfiance vis-à-vis des modèles importés des États-Unis. Ce bref examen des cadres de pensée prévalant dans les milieux universitaires français peut être rapproché des réflexions de Pap Ndiaye dans son récent ouvrage sur La Condition noire. Il y explique en effet non l’absence de la théorie postcoloniale, mais l’absence des Noirs comme objet d’étude dans les publications françaises par la « chasse au culturalisme » au nom d’un certain universalisme et par « la place centrale de la “question sociale” dans la recherche en sciences sociales française »5. Dans les deux cas, ce sont les réticences à penser la notion de minorité politique qui sont pointées du doigt.

12Anthony Mangeon (« Écrire l’Afrique, penser l’histoire : du postcolonialisme chez Yambo Ouologuem, Ahmadou Kourouma et Achille Mbembe ») s’intéresse pour sa part aux œuvres de plusieurs écrivains africains francophones et étudie le thème de la continuité des structures d’exploitation (esclavagistes et religieuses surtout) depuis la période précoloniale. Les auteurs considérés mettent à nu l’interdépendance et l’instrumentalisation réciproque des structures féodales et coloniales, les unes et les autres fonctionnant sur le mode de la ruse : « Les exemples abondent, qui montrent les populations africaines […] perpétuellement flouées par le double langage que leur tiennent tantôt les colonisateurs, tantôt les élites traditionnelles » (p. 310). Ces mêmes auteurs élaborent alors des stratégies de détournement, dans le but de subvertir et de contester les discours faisant autorité sur l’histoire de l’Afrique. Ce thème du détournement est également présent dans la contribution de Laure Cotet (« Écriture postcoloniale, écritures de soi… »), qui analyse deux exemples d’écriture au féminin produits par des auteurs masculins. Dans L’Isolé soleil, Daniel Maximin explore plusieurs positions minoritaires afin de « s’émanciper de toute inscription dominante » (p. 336). Dans Texaco, Patrick Chamoiseau instaure au contraire une nouvelle posture dominante — une posture renversée, à la fois antillaise (par opposition à métropolitaine) et féminine (par opposition à masculine). Les deux œuvres se rejoindraient en ce qu’elles constitueraient chacune, à travers les questions de l’autre et du genre, un « essai de détournement de l’histoire coloniale, contre les retours du colonial » (p. 343).

13Éloïse Brezault (« Qu’est-ce qu’un écrivain francophone ? ») se penche alors sur le problème du champ littéraire lui-même. Elle souligne le rôle de Paris comme centre de légitimation et comme moyen d’accès à un large lectorat, de telle sorte que « l’écrivain francophone […] est inévitablement contraint à se soumettre à une instance d’évaluation française pour trouver son public » (p. 351). La création de collections francophones présente le risque d’enfermer les écrivains dans des identités réductrices, et cela est encore plus fréquent pour les auteurs africains que pour les auteurs européens ou québécois. Toutefois, les choses semblent évoluer quelque peu et de plus en plus d’écrivains francophones réussissent à trouver leur place dans des collections généralistes, « sans qu’il soit fait état d’une mention géographique » (p. 353).

14Enfin, le dernier article, celui de Koulsy Lamko (« “Comme un cœur obsédé” ») dresse un constat que l’ensemble du livre invite par ailleurs à faire : « la France n’est jamais partie de ses colonies africaines, à qui elle a concédé des indépendances de façade dans les années 1960. […] Il n’y a donc pas de retour du colonial. C’est de permanence qu’il s’agit » (p. 361). Il envisage le problème sous l’angle linguistique, affirmant que la colonisation est aussi « un phénomène d’occupation mentale » (p. 362). Dans cette perspective, l’imposition de la langue française et la notion de francophonie sont à l’origine d’une « espèce de programmation de la mort lente des langues africaines » (p. 366) et participent d’une situation de domination, même s’il est vrai que la langue française constitue également « un butin de guerre, […] un outil qui permet l’ouverture vers d’autres peuples » (p. 368). Il n’en demeure pas moins que la rencontre avec l’ancien colonisateur n’a pas vraiment eu lieu, car depuis les indépendances, le regard que les Français posent sur les sociétés africaines ne paraît pas avoir beaucoup évolué.

15Retours du colonial ? permet ainsi de mesurer à quel point la société française contemporaine reste prisonnière de représentations et de préjugés issus de l’époque coloniale. La diversité des contributions et des objets d’étude représentés dans l’ouvrage explique parfois certaines difficultés de classement des différents articles (comme en témoigne par exemple le titre de la première partie, qui fait appel à des rubriques très larges et très générales : « Histoire, droits, politiques »). Elle possède toutefois un intérêt immense, car elle montre que la complaisance à l’égard du fait colonial n’est ni un préjugé résiduel, ni une idéologie en voie de disparition, mais une structure récurrente imprégnant des domaines extrêmement variés et déterminant encore en grande partie, un peu à la manière d’un dispositif foucaldien, les relations entre la France et les pays africains, mais aussi, à l’intérieur de la communauté française elle-même, les rapports entre majorités et minorités politiques. Une telle analyse souligne par ailleurs la persistance d’un nationalisme profondément enraciné, qui n’a jamais rompu avec ses origines racialistes. Grâce à son intérêt scientifique, l’ouvrage apporte donc une contribution éclairante à un débat très important et participe d’une nécessaire prise de conscience, à la fois civique et politique.