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le 09 October 2017

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Idée, image et désir de théâtre October 2017LHT n°19

  • Les Conditions du théâtre : le théâtralisable et le théâtralisé
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Romain Bionda

Le théâtralisable : une proposition

1Jules Verne, on le sait, se voyait dramaturge. Mais si sa série de romans intitulée Voyages extraordinaires n’est plus à présenter, il est à gager que peu de personnes ont aujourd’hui lu sa célèbre pièce intitulée Voyage à travers l’impossible1. Lisons donc : « Georges (les mains sur les cartes) : Ils ont pénétré là, ces héros extraordinaires, dans les entrailles de la terre, sous les mers, à travers l’espace ! » (I, 1, 3) Au Docteur Ox venu soigner sa fièvre particulière, Georges annonce :

Georges : Ce que je veux, Docteur, c’est faire plus que n’ont fait ces héros dont les noms sont écrits dans ces livres, c’est aller au-delà des limites qu’ils n’ont pu franchir. Le professeur Lidenbrok s’est enfoncé dans les entrailles de la terre, moi je veux aller jusqu’au feu central. Le capitaine Nemo, prisonnier dans son Nautilus a recherché l’indépendance sous les mers, moi je veux vivre dans cet élément, et le parcourir d’un pôle à l’autre. L’audacieux Michel Ardan s’est enfermé dans un boulet pour aller graviter à quelque milles [sic] lieues de la terre ; moi je veux courir d’une planète à l’autre. Voilà ce que je veux, Docteur ! Est-ce donc impossible ?
Ox (d’une voix forte) : Non !

2Montrant une mystérieuse fiole, Ox explique :

Vois ce flacon, quiconque aura bu quelques gouttes de cette liqueur, sera emporté avec la rapidité de la foudre et dans les conditions d’une vie nouvelle jusqu’aux milieux interdits à l’homme ! Plus d’intervalles de temps, plus d’intervalles de distances ! […]
Georges : Ah ! ce serait bien réellement l’impossible.
Ox : L’impossible que tu réaliseras, parce que j’aurai donné à ton corps la faculté de ne pas brûler où l’on brûle, de ne pas se noyer là où on se noie, de respirer, là où il n’y a plus d’air respirable. Et après avoir été emporté comme dans un tourbillon, tu reviendras héros de l’impossible, ayant fouillé les plus insondables mystères de la nature. (I, 1, 5)

3Après avoir bu, Georges est transporté aux alentours du Vésuve. Il croit y rencontrer Lidenbrok :

Georges : À quoi servirait la nouvelle puissance vitale donnée à notre corps par le Docteur Ox, s’il ne s’agissait que d’aller où d’autres sont allés avant nous, où vous êtes allé vous-même ! Ici est l’extraordinaire et non pas l’impossible ! (I, 4, 1)

4Dépasser les Voyages extraordinaires : c’est bien là le souhait du protagoniste du Voyage à travers l’impossible2.

5On ne saura pas, finalement, si le voyage est effectif : cette « pièce fantastique » se termine en effet sur le « délire complet » de Georges évoquant son voyage, tandis que sa femme, Éva, ainsi que le Docteur et le mystérieux Volsius, à son chevet, semblent ne pas comprendre (ils étaient pourtant du voyage) : « Éva : Hélas !... c’est toujours la démence ! » (III, 19, 1) La pièce consistait-elle en la représentation des rêves fiévreux du protagoniste ? Comment se fait-il alors qu’un autre personnage, Valdemar, rencontré pendant le voyage, évoque le diamant qu’il aurait perdu sur la planète Altor ? Tartelet, autre personnage avec lequel il forme un duo comique, se moque-t-il de lui en prétendant l’avoir ramassé ? Quoi qu’il en soit, il y a dans ce voyage, en termes d’impossible, plus que certaines allitérations3 :

La scène représente le fond de la Mer.
Valdemar, seul.
Il apparaît de droite. Des bandes de poissons s’envolent sous ses pas et disparaissent à travers les flots.

C’est bien réellement le fond de la mer, et je vis, je marche, je respire dans l’eau… comme ferait un simple hareng !... Quel singulier pays ! (II, 10, 1)

6… singulier pays que notre valeureux marin (qui avait lui aussi bu le flacon du Docteur Ox) est bientôt obligé de quitter, étant donné l’hostilité de ses habitants : « Éperdu il va d’un côté, de l’autre, mais le crabe est sur ses talons, le requin approche en ouvrant ses formidables mâchoires. » (II, 10, 1)

7Pièce injouable ? Délire dramatique ? Théâtre dans un fauteuil rédigé par un romancier ignorant tout des conditions du théâtre ? Nullement : la pièce, écrite en collaboration avec Adolphe d’Ennery, aurait été jouée près de cent fois en 1882 et 1883 au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Si les scènes sous-marines ont été coupées à la générale, comme l’explique Robert Pourvoyeur, ce n’est pas en raison de leur impossibilité, mais au contraire parce qu’elles « rappelaient de trop près les tentatives similaires de la Biche au Bois (1845) et des Mille et une Nuits (1843 et 1881)4 ». Or si on peine aujourd’hui peut-être à se représenter une telle scène de théâtre représentant « des bandes de poissons [qui] s’envolent sous [l]es pas [du comédien jouant Valdemar] et [qui] disparaissent à travers les flots », c’est sans doute que notre expérience actuelle de spectateur ne correspond pas à celle d’un spectateur de féeries de la fin du xixe siècle. Quels étaient les moyens techniques à disposition5 ? Quels choix artistiques la mise en scène assumait-elle ? De quelle esthétique a-t-on pu dire qu’elle relevait ? Et comment la qualifierions-nous aujourd’hui ? Quelle place avait-elle dans la société d’alors ? Quelles catégories morales ou religieuses mobilisait-elle6 ? À quoi ressemblaient ses publics ? À quoi étaient-ils sensibles ? L’altérité de ce théâtre est à prendre au sérieux.

Impossible, injouable, irreprésentable…

8À la lecture donc, on pourrait postuler une difficulté dans la mise en scène des flots marins ; peut-être l’avons-nous fait ; peut-être même avons-nous lu ce texte de théâtre comme un simple texte dramatique7. Une étude historique nous apprendrait cependant que Voyage à travers l’impossible correspond à un théâtre en réalité fort en vogue sur la scène de la Porte Saint-Martin à cette époque8. Cette même étude nous apprendrait donc que c’est plutôt la scène du xixe siècle telle qu’on peut se la représenter aujourd’hui qui peut résister au Voyage à travers l’impossible. À partir de quoi se la représente-t-on ? À partir de nos connaissances historiques, bien sûr (en cela, les historiens du théâtre spécialistes de la période considérée n’auront pas été étonnés par le coup de théâtre qui précède), mais aussi sans doute à partir de notre propre expérience de spectateur, c’est-à-dire à partir de notre scène actuelle (ou plutôt nos scènes, au pluriel), à laquelle il n’est pas assuré que Voyage à travers l’impossible soit adéquat, moins peut-être pour des raisons techniques qu’artistiques ou esthétiques, voire économiques9 — inadéquat à nos scènes actuelles, donc, ou plutôt nos scènes telles qu’on peut se les représenter également.

9Dès lors, en quels termes poser le problème ? On trouve de nombreuses tentatives pour penser la conformité d’un objet (texte, discours, image, film, événement, etc.) avec le théâtre qui lui est contemporain ou ultérieur10. Il est frappant qu’elles utilisent souvent des tournures négatives — on a ainsi pris l’habitude de réfléchir à l’adéquation sous l’angle de l’inadéquation — à travers une série d’adjectifs substantivables qui ne sont des synonymes qu’en apparence : on dira par exemple que tel objet est au théâtre impossible, injouable, irreprésentable (et ses potentiels avatars : immontrable, infigurable, indicible, innommable, impensable, inimaginable, etc.), infaisable, impraticable, inintéressant, etc.

10Dans un livre qui réunit nombre de propositions que l’on doit à des chercheurs eux-mêmes inspirés, Bernadette Bost, Jean-François Louette et Bertrand Vibert ont proposé de réfléchir aux Impossibles théâtres des xixe et xxe siècles11. Or la convocation de la notion d’« impossible » pour parler de représentations théâtrales contrariées dans l’une ou l’autre de leurs conditions est peut-être un verrou logique : la réflexion est minée par la portée absolue que peut prendre le terme « impossible », même incidemment, alors qu’il est censé qualifier un état relatif12 — relatif, car il semble difficile d’identifier un objet qui s’avère « impossible à mettre en scène » en soi, partout et pour toujours, étant donné la variété des régimes de mise en scène ayant existé, qui existent aujourd’hui et qui existeront. Certes, une représentation peut être irrémédiablement empêchée (imaginons que le théâtre brûle la veille de la première, que la censure l’interdise, etc.) : elle peut donc être rendue impossible. Mais « rien n’est impossible au théâtre » : c’est du moins ce qu’on entend dans la bouche de celles et ceux qui s’y confrontent aujourd’hui — c’est également ce sur quoi insiste le « Lever de Rideau » de Jean-Pierre Ryngaert à la fin de l’ouvrage13.

11Or si, dans l’absolu, tout est possible sans doute, il faut bien constater qu’à l’échelle d’un artiste, d’une scène ou d’une institution, d’une ville, éventuellement d’une région, d’un pays, voire d’une aire linguistique ou culturelle — bref, à plus ou moins petite échelle —, tout n’est pas envisageable, ou du moins envisagé. Pierre Bourdieu l’a dit en 1965 de la photographie, et on peut sans doute le dire cinquante ans plus tard du théâtre :

si, abstraitement, la nature et les progrès de la technique photographique tendent à rendre toutes choses objectivement « photographiables », il reste qu’en fait, dans l’infinité théorique des photographies […] possibles, chaque groupe sélectionne une gamme finie […] de sujets, de genre et de composition14.

12Alice Folco et Séverine Ruset, dans le récent dossier intitulé « L’injouable au théâtre » qu’elles ont dirigé dans la Revue d’Histoire du Théâtre, dénoncent quant à elles les « fictions » sur lesquelles reposerait l’idée qu’aujourd’hui tout est possible.

En réalité, l’idée que tout serait possible au théâtre, fondée sur un raccourci du « faire théâtre de tout » vitézien, repose sur (au moins) deux fictions conjointes. Premièrement, le fantasme d’un spectateur moderne, qui serait absolument ouvert et réceptif à tout, sans tabous moraux ni surtout esthétiques : or, de la même manière que les musicologues distinguent ce qui est « jouable » de ce qui est « audible », force est de constater que ce n’est pas parce qu’une chose est faisable qu’elle est automatiquement recevable. Deuxième fiction : une certaine forme de croyance en ce qu’on pourrait appeler la « toute-puissance » du metteur en scène, qui serait capable de plier à sa volonté la matière décorative autant que les comédiens15.

13Posant donc que tout n’est pas possible16, A. Folco et S. Ruset entendent montrer néanmoins comment « l’injouabilité » peut être « déjouée » par les praticiens.

14Leur introduction est en partie lexicographique. Selon elles, tandis que l’anglais « distingue […] trois types d’impossibilités17 », « le français rassemble tout ce qui résiste à la scène sous un vocable unique » : l’« injouable18 ». Ce terme oscillerait aujourd’hui entre deux acceptions : l’injouable comme un « impossible de jeu » (on doit en réalité l’expression, dans le même dossier, à Anne Pellois19) ou comme une « incompatib[ilité] avec la scène20 ». Ce concernant, on peut formuler deux remarques.

15D’une part, on gagnerait peut-être à distinguer plus clairement la question de l’injouable de celle de l’impossible21. Se demander en quoi un texte est jouable est une chose radicalement différente que de se demander en quoi il est possible. Là où il est difficile d’expliquer en quoi, au théâtre, l’impossible est simultanément possible, il est facile d’expliquer comment l’injouable est simultanément jouable : par le recours d’une part à ce que Brigitte Joinnault qualifie de « méta-jeu », d’autre part à ce qu’on serait tenté d’appeler l’infra-jeu, c’est-à-dire à des « usages ludiques du texte qui consistent à en faire théâtre autrement qu’en le jouant22 » : jouer à jouer, jouer à ne pas jouer, voire lire à haute voix, faire lire, ou encore montrer le texte écrit. C’est notamment pourquoi, plutôt que de maintenir le terme « injouable » comme un équivalent d’« impossible » ou d’« incompatible avec la scène », on pourrait le réserver à la question du jeu23. Il fait d’ailleurs moins sens peut-être de se demander si les flots marins de Voyage à travers l’impossible sont « jouables » que de se demander dans quelle mesure ils sont faisables (techniquement) et appréciables (esthétiquement) en 1882 à Paris, ou aujourd’hui à Lausanne (par exemple). Même si les frontières entre le jeu, la technique, l’esthétique, etc. s’avèrent souvent floues, posons qu’il y a un intérêt à les maintenir à des fins descriptives.

16D’autre part, si « ce n’est pas parce qu’une chose est faisable qu’elle est automatiquement recevable24 », comme le relèvent très justement A. Folco et S. Ruset, ce n’est pas parce qu’un texte est faisable et recevable qu’il est forcément « compatible25 » avec la scène, ou plutôt adéquat au théâtre : encore faut-il, pour l’être, qu’il intéresse non seulement le pôle de la réception (les spectateurs) mais encore celui de la production (les praticiens, les programmateurs, les producteurs). En effet, l’adéquation au théâtre est conditionnée en termes de possibilité mais aussi d’intérêt (en filigrane, cela traverse d’ailleurs les deux volumes qui viennent d’être présentés). Au moins aux xxe et xxie siècles, l’impossible, l’injouable, l’irreprésentable, etc., s’avèrent en effet particulièrement intéressants… et donc font l’objet de mises en scène.

Les conditions du théâtre

17Pour échapper à l’ambivalence qui existe entre la portée absolue ou relative de ces termes (impossible, injouable, irreprésentable, etc.) ainsi qu’à leur imprécision sur le plan définitoire, il semble utile d’approcher franchement le problème sous l’angle des conditions du théâtre. En fait, réfléchir à la capacité du théâtre à représenter ou exprimer quelque chose, c’est-à-dire poser la question, comme c’est souvent le cas, en termes d’irreprésentable26 (et ses avatars : indicible, infigurable, innommable, etc.) exige de réfléchir au préalable aux conditions (techniques certes, mais aussi et surtout peut-être artistiques, esthétiques, morales, religieuses, juridiques, etc.) dans lesquelles il s’agit de représenter ou d’exprimer cette chose au théâtre ; idem d’une réflexion sur l’essence du théâtre, c’est-à-dire d’une réflexion sur le possible théâtral, qui demande également d’interroger les conditions dans lesquelles cette essence est imposée27. C’est encore plus clair dans les études sur la mise en scène des textes, ou plus largement sur l’adaptation théâtrale, en cela qu’elles interrogent presque directement ces conditions. En fait, de toutes les manières dont on peut tourner le problème de l’irreprésentable, de l’impossible ou de l’injouable, on procède à un moment ou à un autre de la réflexion à une évaluation plus ou moins complète, concrète et informée de l’adéquation de l’objet aux conditions du théâtre telles qu’on se les représente28.

18Les conditions du théâtre sont d’ordre, disons : artistique (l’appropriable), esthétique (l’appréciable), social (le recevable), moral (le tolérable), religieux29(le convenable), politique (l’acceptable), juridique (le valable30), économique (l’abordable), technique (le faisable), physique31 (le jouable). Elles sont dès lors internes au théâtre (en ce sens il ne s’agit pas exactement de contraintes) et externes à lui, car le théâtre (y compris contemporain) est pris dans l’histoire. Il va dès lors de soi que ces conditions varient dans la diachronie. Elles varient également dans la synchronie. Elles sont donc autant de faisceaux mouvants, en interaction dynamique les uns avec les autres, d’un même ensemble. C’est pourquoi une telle liste ne saurait être détaillée plus : elle devra s’adapter aux divers cas étudiés.

19En outre, étant donné le nombre de ces faisceaux, l’adéquation aux conditions du théâtre est souvent partielle. Parfois c’est l’adéquation faible en termes de possibilité (politique, technique, etc.) qui garantit l’intérêt (politique, technique, etc.) de mises en scène dès lors tentées, voire réalisées, ainsi que leur réussite entière ou partielle (avec un succès immédiat ou différé, unanime ou discordant, de portée diverse). Plus que l’acceptable (politiquement), c’est alors parfois le contestable (du point de vue politique) qui peut être estimé adéquat32. Ce sont là encore des situations à évaluer au cas par cas.

20On a déjà dit que ces conditions existent non seulement comme des réalités qui conditionnent une pratique, mais encore comme des représentations. Posons qu’elles existent comme idée, comme image, et comme désir. 1. Comme idée, à l’échelle d’un individu ou d’un groupe (libre de croire au caractère absolu de son idée), elles constituent une certaine représentation de ce qu’est le théâtre ; en d’autres termes, de la théâtralité telle que la comprend Anne Larue dans ces lignes :

Par définition, la théâtralité désigne tout ce qui est réputé être théâtral, mais elle n’est justement pas théâtre. […] Théâtre hors du théâtre, la théâtralité renvoie non au théâtre, mais à quelque idée qu’on s’en fait. Autrement dit, elle n’interroge qu’incidemment la réalité propre du théâtre, son existence concrète33.

21« Quelque idée qu’on s’en fait ». Peut-être faut-il ici distinguer l’idée de l’image. 2. Comme image34, à l’échelle d’un individu ou d’un groupe (libre de croire au caractère absolu de son image), ces conditions constituent une certaine représentation de ce qu’on fait au théâtre ; en d’autres termes, du théâtralisé, mais toujours tel qu’on se le représente (et non pas sa « réalité propre », que l’image « n’interroge qu’incidemment »). 3. Comme désir, elles constituent, à l’échelle d’un individu ou d’un groupe, une certaine représentation de ce que devrait être le théâtre, et de ce qu’on devrait y faire. Le désir est peut-être une modalité de l’idée et de l’image qui permet d’articuler le théâtre comme représentation avec le théâtre comme réalisation35. Comme le disent Geneviève Jolly et Muriel Plana dans leur article sur la théâtralité : « Le concept de théâtralité permet d’articuler le théâtral et le non théâtral, puisqu’il peut rendre compte d’un désir de théâtre dans ce qui n’en est pas encore […]36. »

22Pour saisir l’interaction entre ces deux plans d’existence des conditions du théâtre (réalité — représentation) à l’échelle de la création d’une œuvre, la génétique peut se révéler utile. Du point de vue d’une théorie de la création, on comprend en effet assez instinctivement (mais c’est difficile à montrer) que l’idée et l’image puissent orienter le désir et donc la pratique, et que la pratique puisse modeler l’idée et l’image tout en suscitant de nouveaux désirs (ce qui dans les faits, certes, rend parfois la distinction malaisée). Il est ici important de rappeler qu’il peut s’agir également d’une pratique de spectateur : si un créateur assiste à une mise en scène marquante parce que réussie (ou ratée, d’ailleurs), par exemple du Voyage à travers l’impossible — on pourrait y songer (ou pas) —, il est possible que sa représentation du théâtre, comme la nôtre d’ailleurs, qui sait ?, évolue en termes d’idée, d’image et de désir37.

23La « théâtralisation », terme habituellement utilisé comme synonyme d’« adaptation » et désignant par conséquent un mouvement généralement compris comme étant linéaire, décrit ici ce processus circulaire par lequel on passe des conditions telles qu’on se les représente ou les désire aux conditions actualisées par un spectacle (ou notre propre tentative), et par lequel on passe des conditions actualisées aux conditions imaginées ou désirées. C’est pourquoi il est possible de dire que ce qu’on estime adéquat aux conditions du théâtre dépend certes d’une pratique (de créateur et/ou de spectateur), mais encore d’une idée, d’une image et d’un désir du théâtre.

L’adéquation aux conditions du théâtre : une proposition

24Pour décrire l’adéquation à ces conditions du théâtre, il est peut-être utile de mobiliser un terme utilisé depuis le xixe siècle au moins, qui présente le triple avantage de ne s’être jamais imposé, de ne pas être négatif, et de faire sens au sein d’une même famille : théâtralisable. Il apparaît peut-être en 1845 dans la seconde édition « considérablement augmentée » du Dictionnaire de mots nouveaux de Jean-Baptiste Richard de Radonvilliers, tandis que la première édition de 1842 donnait « théâtralisation », « théâtralisé », « théâtraliser », « théâtralisme » et « théâtralité »38 :

Théâtralisable, adj. Des 2 g ; qui peut être théâtralisé, rendu théâtral : si les cérémonies religieuses sont théâtralisable ;s [sic] la religion n’a plus rien de digne et perd toute sa dignité.
Théâtralisation, s.f. ; action de théâtraliser, de rendre théâtral ; état théâtralisé : la théâtralisatiom [sic] des cérémonies religieuses chasse du cœur la piété, ne laisse plus qu’un momerisme de forme, et appelle l’indifférence religieuse.
Théâtralisée [sic], e, part. pas. Et adj. ; qui est rendu théâtral, qui a, qui présente de la théâtralité, qui est imité du théâtre : ces cérémonies sont théâtralisées.
Théâtraliser, v. act. Et pr., se— ; rendre devenir théâtral [sic] ; donner, prendre de la théâtralité ; adopter les modes du théâtre, imiter le théâtre.
Thâtralisme [sic], s.m. ; système de théâtralisation ; ce qui ne présente qu’une continuelle théâtralité : c’est du théâtralisme.
Théâtralité, s.f. ; état, qualité de ce qui est théâtral, de ce qui est imité du théâtre39.

25« Théâtralisable » est utilisé diversement jusqu’à nos jours, par des praticiens40 comme des chercheurs41, sans qu’il soit pour autant jamais théorisé. Sa fréquence paraît augmenter dans la seconde moitié du xxe siècle.

26On peut faire la proposition suivante : réorienter la définition de J.-B. Richard de Radonvilliers de la question de la possibilité (« qui peut être ») vers celle de l’adéquation aux conditions du théâtre telles qu’on se les représente ou telles qu’on les désire. Pourquoi « telles qu’on se les représente » et non « telles qu’elles sont » ? Parce qu’elles n’existent pas exactement sur le plan de la réalité objective : pour chacun de nous, les conditions réelles du théâtre existent comme idée ou comme image, voire comme désir (l’historien n’échappe pas à cela) — ce qui n’implique pas, bien sûr, que notre représentation de ces conditions soit forcément infondée ou singulière. Dire qu’un objet est théâtralisable, c’est-à-dire adéquat aux conditions du théâtre, c’est procéder nécessairement à une évaluation, et non poser un constat ; l’adjectif « théâtralisable » et ceux qu’il subsume (« jouable », « convenable », « appréciable », « faisable », etc.) ne peuvent pas décrire une qualité intrinsèque d’un objet, mais seulement une relation dynamique entre les conditions du théâtre et cet objet — du moins tels qu’on se les représente. Il faut alors reconnaître la part de chacun (dont la nôtre) dans cette évaluation : l’historicisation des discours en présence est nécessaire. La réflexion théorique et l’enquête historique sont ici comme ailleurs totalement solidaires : l’une permet de penser l’autre, l’autre de repenser la première — et ainsi de suite, sans qu’il soit possible de savoir laquelle est première.

27Un objet (texte, événement, etc.) peut donc ne pas être adéquat aux conditions du théâtre telles qu’on se les représente : c’est le cas de ceux d’entre nous qui ont estimé le Voyage à travers l’impossible comme étant non théâtralisable (à Paris en 1882 et/ou à Lausanne en 2017). Plus étonnant (mais courant) : un spectacle « théâtral » peut également être inadéquat, c’est-à-dire jugé comme contrevenant à une certaine idée du théâtre (selon laquelle, si je la partage, je dirai que « ce n’est pas du théâtre ») ou à une certaine image qu’on en a (selon laquelle, si je la partage, je dirai que « je n’ai jamais rien vu de tel »)42. Il faut penser le rapport d’adéquation comme un spectre continu entre deux pôles (l’adéquat et l’inadéquat), car la plupart du temps les objets se situent dans une zone médiane. L’adéquation moyenne d’un spectacle en termes d’idée peut par exemple faire hésiter sur son genre (théâtre ou danse ? théâtre ou performance ?), et en termes d’image elle peut faire hésiter sur son positionnement (singulier ou déjà vu ? conventionnel ou subversif ? réactionnaire ou révolutionnaire ?). Il est en outre possible qu’un spectacle « théâtral » soit adéquat à l’idée mais pas à l’image (on dira : « c’est du “théâtre”, mais je n’ai jamais rien vu de tel »), ou l’inverse, c’est-à-dire adéquat à l’image, mais inadéquat à l’idée (on dira : « j’ai déjà vu ce “théâtre” cent fois, mais ce n’est pas — ou ce n’est plus — ce qu’il devrait être »43). Corollaire : un spectacle « théâtral », partie d’un tout qu’on pourrait nommer le « théâtralisé », voire tout un pan de ce théâtralisé, n’est pas forcément théâtralisable. On constate alors que le théâtralisable ainsi considéré permet de se passer d’une définition du théâtre tout en en parlant.


*

28En somme, là où la distinction entre possible et impossible ne le permet pas bien, ce sont les rapports d’adéquation en termes de possibilité et d’intérêt aux conditions du théâtre telles qu’on se les représente comme idée (comme théâtralité) et telles qu’on se les représente comme image (comme théâtralisé), voire telles qu’on les désire, que la notion ainsi réélaborée de théâtralisable invite à penser. On trouvera ici, espérons-le, une boîte à outil, dans laquelle puiser.

bibliographie

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notes

1  Jules Verne, Adolphe d’Ennery, Voyage à travers l’impossible, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1981.

2  « Le mot “extraordinaires” implique qu’il s’agit […] de voyages “possibles”, mais hors du commun, quadrillant systématiquement notre univers en y comprenant les entrailles de la terre, le fond des océans, la lune — et même, à la rigueur, le système solaire, car on ne saura jamais si Hector Servadac (1877) a rêvé… Jules [Verne] ne sort que de façon tout à fait exceptionnelle du possible, du justifiable au point de vue scientifique, et le silence s’est fait autour d’une pièce au titre pourtant fondamentalement différent de tous les autres et dont l’objet même est d’aller au-delà des limites de cet extraordinaire, que s’étaient assignées les romans […]. » (Robert Pourvoyeur, « De l’extraordinaire à l’impossible », p. 76, dans ibid., p. 75-101)

3  « N’entrechatez pas Tartelet » (III, 16, 3)

4  Robert Pourvoyeur, art. cit., p. 84.

5  En ce domaine, l’article d’Olivier Goetz et Jean-Marc Leveratto, qui prend place dans ce qu’ils appellent le champ d’étude de « l’expertise théâtrale du spectateur », montre quels avantages, pour la saisie des enjeux éthiques et esthétiques des spectacles, présente le croisement de l’histoire des techniques avec la sociologique des professions et l’anthropologie du spectacle : Olivier Gœtz et Jean-Marc Leveratto, « Mise en scène et techniques de fabrication du fantôme dans le théâtre du xixe siècle », dans Françoise Lavocat et François Lecercle (dir.), Dramaturgies de l’ombre,Rennes, PUR, 2005, p. 427-443.

6  La pièce se termine sur l’apparition de « toute une “Gloire” resplendissante […] entourée d’anges. » (III, 20, 1)

7  Sur cette distinction et plus généralement sur la lecture du texte dramatique, voir « La vérité du drame. Lire le texte dramatique (Dom Juan) », dans Poétique, n° 181, 2017, p. 67-82, également en ligne.

8  Cette étude, il faut évidemment l’étendre au texte (qui, en l’occurrence, n’a pas été publié du vivant de l’auteur) : quel statut ont les didascalies ? Reflètent-elles ce qui a réellement été mis en scène ? Le dialogue imprimé correspond-il au texte dit sur la scène ?

9  Dans un article, Marianne Bouchardon montre que les raisons qui contrarient la mise en scène d’un même élément peuvent varier considérablement à travers le temps : « De la scène interdite à la scène utopique : Mangeront-ils ? de Victor Hugo », dans Revue d’Histoire du Théâtre, n° 267, L’Injouable au théâtre, dir. Alice Folco et Séverine Ruset, 2015, p. 403-414, également en ligne.

10  Objet : le plus souvent, il s’agit de textes dramatiques (en raison du caractère théâtral qui est généralement mis à leur crédit), mais on peut en réalité facilement élargir la réflexion à l’ensemble des objets susceptibles d’être mis en scène.

11  Bernadette Bost, Jean-François Louette et Bertrand Vibert (dir.), Impossibles théâtres xixe-xxe siècles, Chambéry, Comp’Act, 2005.

12  Voir le compte rendu de l’ouvrage : « Impossibles théâtres impossibles », dans Acta fabula, vol. 18, n° 8, Les Conditions du théâtre : un état de la recherche, dossier n° 47, en ligne, 2017. Y sont présentés et discutés les « trois visages de l’impossible » distingués par J.-F. Louette dans son introduction.

13  Jean-Pierre Ryngaert, « Lectures de l’illisible et nouveaux usages du texte de théâtre », p. 275, dans Impossibles théâtres xixe-xxe siècles, op. cit., p. 275-282.

14  Pierre Bourdieu, « Introduction », p. 24, dans P. Bourdieu (dir.), Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Minuit, 1965, p. 17-28. Il poursuit : « l’aire de ce qui, pour une classe sociale donnée, se propose comme réellement photographiable (c’est-à-dire, le contingent de photographies “faisables” ou “à faire”, par opposition à l’univers des réalités qui sont objectivement photographiables étant donné les possibilités techniques de l’appareil) se trouve définie par des modèles implicites qui se laissent saisir à travers la pratique photographique comme promotion ontologique d’un objet perçu en objet digne d’être photographié […]. » (Idem.) Le terme est substantivé plus loin, par exemple lorsqu’il s’agit d’analyser comment « les vacances déterminent l’élargissement de l’aire du photographiable » (« Culte de l’unité et différences cultivées », p. 59, dans ibid., p. 31-106).

15  A. Folco et S. Ruset, « Introduction », p. 353-354, dans Revue d’Histoire du Théâtre, n° 267, L’Injouable au théâtre, op. cit., p.347-356, également en ligne.

16  En fait, comme dit ci-dessus, il s’agit sans doute d’une question d’échelle : aujourd’hui en Europe occidentale, si à grande échelle à peu près tout peut s’avérer « possible », à plus petite échelle c’est moins vrai.

17  « […] celle d’interpréter, du point de vue de l’acteur (« unplayable »), celle de représenter un texte au théâtre, pour des raisons esthétiques notamment (« unperformable »), et celle de porter une proposition à la scène, qu’elle soit textuelle ou non, pour des raisons essentiellement matérielles (« unstageable »). » (Ibid., p. 347) Voir notamment le travail de Karen Quigley auquel elles renvoient : If there is an unstageable: a synchronic exploration, PhD supervisé par Alan Read et Lara Shalson au King’s College London, en ligne, 2013.

18  Idem : « “Injouable” sert ainsi à caractériser des résistances d’ordre multiples, et n’est d’ailleurs pas exclusif au champ théâtral ou opératique […]. ».

19  Anne Pellois, « Le personnage injouable. Quelques éléments pour une pensée du jeu à la fin du xixe siècle », p. 359, dans Revue d’Histoire du Théâtre, n° 267, L’Injouable au théâtre, op. cit., p. 357-372, également en ligne.

20  A. Folco et S. Ruset, « Introduction », art. cit., p. 355.

21  Voir le compte rendu du dossier : « Jouer l’injouable », dans Acta fabula, vol. 18, n° 8, Les Conditions du théâtre : un état de la recherche, op. cit., en ligne. Il inclut également le dossier que les auteures ont dirigé tout récemment sur le même sujet : European Drama and Performance Studies, Hors-série, Déjouer l’injouable : la scène contemporaine à l’épreuve de l’impossible, dir. A. Folco et S. Ruset, 2017.

22  Brigitte Joinnault, « Jouer, ou ne pas jouer ? Points de vue. Vitez, Bonnaffé, Podalydès », p. 389, dans Revue d’Histoire du Théâtre, n° 267, L’Injouable au théâtre, op. cit., p. 387-402, également en ligne. Voir aussi, dans le même dossier, l’article déjà cité d’A. Pellois et celui de Stéphane Hervé, « De l’anachronisme dans les mises en scène d’opéra contemporaines », p. 427-440, également en ligne.

23  À la manière d’Octave Mannoni : « Aujourd’hui, ce rôle de héros [Rodrigue] manque d’épaisseur […]. Aujourd’hui, il n’y a aucun moyen d’échapper à cette option déplaisante : ou bien on se prend pour Rodrigue (gare au ridicule), ou bien on le choisit comme rôle et on le joue, ce qui n’est pas supportable non plus et révèle trop clairement un penchant mégalomaniaque pour les rodomontades. Cette difficulté, sous une forme certainement différente, existait déjà du temps de Corneille, puisque c’est la même année qu’ont été créés le Cid et Matamore (justement dans L’Illusion comique). Matamore, c’est celui qui s’identifie au Cid, et comme ce devait être dangereux de le représenter, comme Corneille est obligé de charger cette caricature, au point que la pièce est aujourd’hui difficilement jouable ! Il devait y avoir plus de fiers-à-bras dans le public qu’aujourd’hui. » (Octave Mannoni, « L’illusion comique ou le théâtre du point de vue de l’imaginaire », p. 172-173, Clefs pour l’imaginaire ou l’Autre scène [1969], Paris, Seuil,1985, p. 161-183.)

24  A. Folco et S. Ruset, « Introduction », art. cit., p. 353.

25  Ibid., p. 355.

26  Il est entendu que ce qu’on peut appeler « théâtre » n’a pas toujours vocation ni à représenter, ni à exprimer. Sur ce point, voir notamment Florence Dupont, Aristote ou le vampire du théâtre occidental, Paris, Flammarion, 2007.

27  Pour un argumentaire plus complet, voir « Impossibles théâtres impossibles » (art. cit.).

28  Même s’il ne s’agit là que d’un préambule, comme l’explique Florence Fix dans son livre sur la violence au théâtre : « La violence au théâtre interroge précisément la notion de représentation : l’irreprésentable ne saurait se réduire à une difficulté technique (même si, de fait, la chambre éventrée et les mains coupées engagent la virtuosité et l’imagination du scénographe), ni même à une donnée esthétique (une femme amputée des deux mains peut-elle être stylisée sans être grotesque ?) ou encore éthique (il est immoral de montrer la souffrance d’une femme violée — et plus encore, le plaisir de ceux qui la regardent ; on remarquera que Corneille évite soigneusement la scène d’infanticide). Sur scène, l’irreprésentable est accumulatif et non soustractif : il est la somme de tous ces éléments […]. » (Florence Fix, « Introduction », p. 17-18, dans F. Fix (dir.), La Violence au théâtre. Shakespeare, Corneille, Sarah Kane, Botho Strauss, Paris, PUF, 2010, p. 11-32.)

29  Au sens large, c’est-à-dire y compris le spirituel.

30  Plutôt que le légal, dans la mesure où il est en partie en prise avec les plans religieux, moraux, sociaux, etc., et qu’il est sujet à interprétation. Voir par exemple ce que dit Nathalie Coutelet du fameux article 330 au tournant du xxe siècle : « Comme toujours lorsque les contraintes s’exercent, les artistes déploient leur ingéniosité pour sembler se plier aux codes de bienséance. Ces derniers sont, au demeurant, fort élastiques : entre l’article 330 du Code pénal qui punit l’outrage public à la pudeur et la censure, active jusqu’en 1906, les décisions sont parfois contradictoires. » (Nathalie Coutelet, « Les bonnes mœurs et la scène (1891-1914) », p. 108, dans Revue d’Histoire du Théâtre, n° 269, Scènes de l’obscène, dir. Estelle Doudet et Martial Poirson, 2016, p. 107-118, également en ligne.)

31  C’est-à-dire le domaine du corporel.

32  On trouvera des exemples dans Alain Clavien, Claude Hauser et François Vallotton (dir.), Théâtre et scènes politiques. Histoire du spectacle en Suisse et en France aux xixe et xxe siècles, Lausanne, Antipodes, 2014.

33  Anne Larue, « Avant-propos », p. 3, dans La Licorne, Colloques II, Théâtralité et genres littéraires, dir. A. Larue, 1995, p. 3-17. L’auteure souligne.

34  À distinguer également des « images produites par le théâtre » (p. 6) explorées par exemple dans Véronique Lochert et Jean de Guardia (dir.), Théâtre et imaginaire. Images scéniques et représentations mentales (xvie-xviiie siècle), Dijon, EUD, 2012.

35  On trouve de nombreuses réflexions sur le désir dans les études sur les avant-gardes historiques et leur « théâtre rêvé plus souvent que réalisé » (Didier Plassard, L’Acteur en effigie. Figures de l’homme artificiel dans le théâtre des avant-gardes historiques : Allemagne, France, Italie, Lausanne, L’Age d’Homme, 1992, p. 18). C’est également le cas, par exemple, dans Sylvie Triaire et Pierre Citti (dir.), Théâtres virtuels, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2001, également en ligne, par exemple dans les lignes écrites par Mireille Losco, « Du regard à la vision : le spectateur virtuel des symbolistes », p. 261-275.

36  Geneviève Jolly et Muriel Plana, « Théâtralité », p. 214, dans Jean-Pierre Sarrazac (dir.), Lexique du drame moderne et contemporain, Paris, Circé, 2005, p. 214-218. Sur la part de désir contenue dans la théâtralité : « […] l’essentialisme accule tantôt à des postulats — ce qu’on suppose raisonnablement être le théâtre —, selon l’optique traditionnelle et le Classicisme (la pratique d’hier donne le modèle de celle d’aujourd’hui), tantôt au fantasme hégélien, cultivé par le Romantisme et le Modernisme : ce que chacun désire que le théâtre soit (la projection du théâtre de demain donne le théâtre d’aujourd’hui). Le suffixe “-ité” comprenant également l’idée de potentialité, l’objet se définit alors par sa finalité externe, et son devenir : est théâtral ce qui veut et peut être théâtre. Cette approche hégélienne, et téléologique, accepte, contrairement à l’autre [la logique aristotélicienne], le mouvement et la contradiction interne dans l’histoire. Qu’elle soit nostalgie d’un modèle, rêve d’une essence, repli sur une spécificité, vouloir ou pouvoir — désir —, la théâtralité est manque de théâtre. La modernité conçoit la théâtralité comme manque, désir et recherche de théâtre, au lieu de faire du théâtre un art défini et accompli. » (Ibid., p. 215.) Pour un aperçu global de l’historiographie du terme en Europe et en Amérique du Nord, voir par exemple Josette Féral, « Les paradoxes de la théâtralité », dans Théâtre/public, n° 205, Entre deux. Du théâtral et du performatif, dir.J. Féral, 2012, p. 8-11.

37  C’est entre autres choses pourquoi la question, outre le fait de se poser pour l’ensemble des praticiens, se pose aussi pour les écrivains. On se souvient que Bernard Dort dit que « la scène » comme « concept » « est l’une des conditions de l’écriture du texte ». « Une scène imaginaire — un modèle — est, en quelque sorte, antérieure au texte dramatique et le régit » (B. Dort, « Le texte et la scène : pour une nouvelle alliance » [1984], Le Jeu du théâtre. Le Spectateur en dialogue, Paris, P.O.L., 1995, p. 253 ; il souligne). Joseph Danan se demande alors si la question du modèle vaut toujours pour la période contemporaine. Par exemple, écrit-il, « lorsqu’il est avéré que l’on a affaire à un “texte-matériau” caractérisé, la question des modèles de représentation ne se pose radicalement plus, puisque la représentation est entièrement laissée au metteur en scène et, avec elle, la dramaturgie, quand il y a lieu que cette notion soit maintenue. » (J. Danan, « Écrire pour la scène sans modèles de représentation ? », p. 196, dans Études théâtrales, n° 24-25, Écritures dramatiques contemporaines. L’avenir d’une crise, dir. J. Danan et Jean-Pierre Ryngaert, 2002, p. 193-201). Or l’inexistence d’un modèle de représentation ne signifie pas absence d’une idée ou d’une image de théâtre. J. Danan écrit que « les conditions actuelles de la scène ouvrent d’autres types de positionnement chez les auteurs » (p. 194). C’est bien la conception du théâtre comme art des metteurs en scène, ou encore du théâtre comme pure praxis (avec ou sans metteur en scène), qui avec d’autres éléments concourt à encourager, comme J. Danan en fait l’hypothèse, la production de textes « matériaux » ou, à l’autre opposé, de textes très prescriptifs. Le théâtre contemporain (ses formes certes, mais sans doute aussi et surtout la sociologie de sa création) peut bien priver les auteurs d’un « modèle de représentation » unique, il ne les empêche pas d’avoir ni une représentation du théâtre (une idée et une image), ni un désir. J. Danan écrit : « Il n’est pas sûr que l’auteur d’aujourd’hui ne rêve plus, fût-ce secrètement, à un certain type de représentation — la plupart des auteurs sont nourris par la scène et par ses images, sans parler du cinéma, qui imprime aussi ses modèles de représentation » (p. 200). J. Danan reprend la question plus récemment, sans point d’interrogation : « “Nous avons récusé tout modèle”, dit Dort [dans L’Esprit dramaturgique (1986)]. Ont-ils pour autant disparu ? Il me semble qu’il faudrait parler d’un éclatement des modèles. » (J.Danan, « Le modèle rêvé d’une scène sans modèle », p. 9, dans Registres, Hors-série n° 4, Écrire pour le théâtre aujourd’hui. Modèles de la représentation et modèles de l’art, dir. Catherine Naugrette, 2015, p. 9-16). Sur le théâtre comme poïesis ou comme praxis, voir la mise au point utile de Denis Guénoun, Actions et acteurs. Raisons du drame sur scène, Paris, Belin, 2005, p. 41 sq.

38  Concernant ce dernier terme, il est peut-être utile de rappeler qu’on l’utilise bien avant les années 1950 et sa « popularisation » par Roland Barthes dans le monde de la critique. Entre autres exemples, on peut penser à Filippo Tommaso Marinetti, Emilio Settimelli et Bruno Corra qui, en français, l’utilisent en 1915 dans leur manifeste intitulé Le Théâtre futuriste synthétique, où ils défendent notamment la « nouvelle théâtralité futuriste ».

39  Jean-Baptiste Richard de Radonvilliers, Enrichissement de la langue française. Dictionnaire de mots nouveaux (1842), 2nde édition considérablement augmentée, Paris, Léautey, 1845, p. 570-571, disponible en ligne.

40  Par exemple : « En 1945, je publie un texte composé de répliques, Quoat-quoat. Je ne l’avais point conçu pour la scène. Il se révéla pourtant théâtralisable. » (Jacques Audiberti, cité dans Paris fut. Écrits sur Paris. 1937-1953, éd. Josiane Fournier, Paris, Claire Paulhan, 1999, p. 18.) (Il est difficile de retrouver le contexte original qui, selon J. Fournier, devrait être Dimanche m’attend [1965]. Idem d’autres extraits qui sont en fait repris des Entretiens avec Georges Charbonnier, Paris, Gallimard, 1965, dans lesquels on lit par ailleurs, p. 93, que « Quoat-Quoat n’avait pas été écrit pour être monté. C’était, encore une fois, un récit, quelque chose comme une nouvelle, dans une forme spéciale qui était dialoguée et qui était jouable. »). Autre exemple : « Pour ma part, je pense que tout matériau “théâtralisable” est intéressant pour le théâtre, pas seulement un bon texte dramatique. » (Odette Guimond, Jacques Rossi et Solange Lévesque [entretien], « Du roman au théâtre — “Le Grand Cahier” et “La Preuve” : entretien avec Odette Guimond et Jacques Rossi », p. 65, dans Jeu, n°53, 1989, p. 61-68). Plus proche sans doute de l’usage que propose le présent numéro : « Le comédien qui veut traiter de la réalité et agir sur elle doit savoir observer le théâtralisable de ce qui la compose. Cette matière est toujours nouvelle, parce que la réalité est mouvante. On ne peut utiliser des sujets nouveaux, bannis du domaine artistique, sans créer une forme théâtrale nouvelle, car l’important est de créer une nouvelle façon de voir et de juger notre monde. » (« Le Théatre euh ! », p. 114, dans Travail théâtral,n° 21, 1975, p. 107-118.)

41  Dans des champs très différents, par exemple lorsqu’il est question de la dimension « théâtralisable » de l’hystérie féminine (Alain Corbin, Le Temps, le Désir et l’Horreur. Essai sur le xixe siècle, Paris, Flammarion, 1991, p. 99). Michel Pruner semble l’utiliser comme synonyme de « possible (et intéressant ?) au théâtre » : « À une époque où le théâtre fait feu de tout bois et où les metteurs en scène créent des spectacles à partir de n’importe quel texte, tout étant désormais théâtralisable, il devient problématique de proposer une définition du texte théâtral. » (Michel Pruner, La Fabrique du théâtre [2000], 2nde éd., Paris, Armand Colin, 2010, p. 106.) On le trouve aussi, entre autres, sous la plume de Jean-Marie Thomasseau et de Patrice Pavis : « il devient urgent pour l’analyste […] de prendre en charge le para-texte comme un texte à la fois théâtralisable et littéraire » (J.-M. Thomasseau, « Pour une analyse du para-texte théâtral : quelques éléments du para-texte hugolien », p. 102, dans Littérature, n° 53, Le lieu / la scène, 1984, p. 79-103, également en ligne) ; « Tout texte est théâtralisable, dès lors qu’on l’utilise sur une scène » (P. Pavis, « Texte dramatique », Dictionnaire du théâtre [1996], Paris, Armand Colin, 2009, p. 353-354). Marie-Madeleine Mervant-Roux en propose un usage peut-être plus complexe : « [Claude Martin] cherchait à transcrire en une matière énonçable à voix haute, audible, théâtralisable, ce qui était encore une matière lisible, dicible mais intérieurement, isolément, silencieusement. […] Le roman avait déjà quelque chose de théâtral, et pas seulement parce qu’il était dialogue : son espace-temps portait les traces de l’espace-temps scénique. » (Marie-Madeleine Mervant-Roux, « La création du Square : un bouleversement invisible », p. 371, dans Claude Burgelin et Pierre de Gaulmyn [dir.], Lire Duras. Écriture — Théâtre — Cinéma, Lyon, PUL, 2000, p. 363-384.)

42  Véronique Sternberg dénonce « la conviction […] que toute pièce de théâtre est nécessairement théâtrale — conviction démentie par l’abondant corpus des œuvres de minores » (Véronique Sternberg, « Théâtre et théâtralité : une fausse tautologie », p. 51, dans La Licorne, Colloques II, Théâtralité et genres littéraires, op. cit., p. 51-61). Je la rejoins à condition de remplacer « théâtrale » par « théâtralisable », c’est-à-dire à condition d’insister sur le fait qu’il s’agit de qualifier non pas une qualité intrinsèque, mais un rapport d’adéquation de ces minores aux conditions des majores (qui mériteraient d’être qualifiées de « théâtrales ») telles qu’on se les représente comme idée (comme théâtralité) ou comme image (comme théâtralisé). Pour V. Sternberg, est « théâtrale » une œuvre « réussie » sur les plans de l’« instant » (en termes d’« effet ») ou de la « pièce » (en termes de « qualité dramatique, esthétique donc » ; p. 61). V. Sternberg ne reconnaît à la pièce Les Visionnaires de Desmarets de Saint-Sorlin qu’une théâtralité de l’instant, « favoris[ée] » par « les conditions de représentation et le comportement des spectateurs de l’époque, comme la perception qu’avaient les contemporains d’une représentation dramatique » (p. 59). Elle serait théâtralisable du point de vue des « contemporains », donc, mais pas du point de vue de V. Sternberg (sans qu’il soit exactement possible de savoir si l’inadéquation qu’elle pointe concerne les conditions historiques ou actuelles, ou si elles sont abstraites dans l’absolu).

43  Voir par exemple Daniel Maggetti, « Fernand Chavannes ou l’invention d’un théâtre vaudois », dans Revue d’Historiographie du Théâtre, n° 3, L’Idée d’un théâtre originaire dans la théorie et la pratique dramatiques,dir. Éric Eigenmann et Lise Michel, en ligne, 2017. On consultera avec profit l’introduction au volume : É. Eigenmann et L. Michel, « Introduction — saisir les origines du théâtre : enjeux d’une fascination », en accès libre en ligne.

résumés

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À partir d’une expérience de pensée qui prend appui sur une lecture de Voyage à travers l’impossible de Jules Verne, il peut apparaître que les conditions du théâtre existent non seulement comme des réalités qui conditionnent une pratique, mais encore comme des représentations : comme idée (comme théâtralité), comme image (comme théâtralisé), et comme désir. Si l’on se demande comment un objet (texte, image, événement, etc.) peut être adapté au théâtre (ou s’il y est « possible », « jouable » ou « représentable »), on procède à un moment ou à un autre de la réflexion à une évaluation plus ou moins complète, concrète et informée de l’adéquation de cet objet à ces conditions du théâtre telles que décrites ci-dessus, dans un aller-retour entre ces divers plans de réalité qui s’avère très vite complexe. Pour décrire cette adéquation et tenter d’y voir plus clair, il paraît utile de mobiliser et de redéfinir un terme utilisé depuis le xixe siècle au moins : théâtralisable. Sa réélaboration, qui exclut d’emblée toute essentialisation, permet peut-être de se passer d’une définition du « théâtre » tout en en parlant. Elle invite surtout à penser les rapports d’adéquation au théâtre en termes de possibilité et d’intérêt (ils s’opposent parfois). On s’aperçoit que les situations sont multiples et complexes : s’il semble évident que seule une partie du théâtralisable est théâtralisée, on remarque aussi (dans un paradoxe qui n’est qu’apparent) qu’une partie de ce qu’on peut nommer le théâtralisé n’est pas théâtralisable. En s’écartant des notions de « jouable » et de « représentable » sans les remplacer, le terme aide peut-être à expliquer comment et pourquoi les objets injouables et irreprésentables, tout en le restant, peuvent s’avérer théâtralisables (et de fait, leur présence sur la scène « de théâtre » est incessante). On a voulu proposer ici une boîte à outils.

plan

  • Impossible, injouable, irreprésentable…
  • Les conditions du théâtre
  • L’adéquation aux conditions du théâtre : une proposition

mots clés

Conditions du théâtre, Histoire du théâtre, Impossible, Injouable, Théâtralisable et Théâtralisé, Théâtralisation, Théâtralité, Théâtre, Théorie du théâtre

auteur

Romain Bionda

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Université de Lausanne

Courriel : romain.bionda@unil.ch

pour citer cet article

Romain Bionda, « Le théâtralisable : une proposition », dans Fabula-LhT, n° 19, « Les Conditions du théâtre : le théâtralisable et le théâtralisé », dir. Romain Bionda, October 2017,URL : http://recherche.fabula.org/lht/index.php?id=2063, page consultée le 23 May 2022.

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