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La littérature : nos vies en actes ! (Paris Sorbonne)

La littérature : nos vies en actes ! (Paris Sorbonne)

Publié le par Eloïse Bidegorry (Source : Guillaume Bridet)

La littérature : nos vies en actes ?

Séminaire 2023-2024

15h-17h, Salle F007 en Sorbonne

(17 rue de la Sorbonne – 75005 Paris)

Nos sociétés et l’humanité entière sont entrées dans le temps d’une urgence écologique dont les pouvoirs politiques ne semblent pas avoir pris la mesure et dont les effets bouleversent et vont continuer de profondément bouleverser nos vies dans les années et décennies à venir. Qu’attend-on de la littérature face à une situation qui nous requiert de manière de plus en plus pressante et exclusive ? Et qu’attendon de sa lecture et de son enseignement ? Dans une époque d’excès et de saccage où il est de plus en plus difficile de mener sa vie en cohérence avec soi-même et d’adhérer à ses propres actes, de nouvelles exigences lui sont adressées qui constituent autant d’issues possibles pour un futur à construire. Un nouveau régime littéraire s’esquisse, qui réclame une littérature chevillée aux expériences que nous vivons et inscrite dans des contextes intimes et collectifs ; une littérature qui met en cohérence l’œuvre et la vie, la pensée et la pratique ; une littérature prise au mot, qui se trouve liée à un renouvellement des formes de nos vies ; en un mot, une littérature action.

Nous faisons le pari dans ce séminaire de percevoir ces nouvelles exigences éthiques et politiques comme une porte d’entrée pour relire à nouveaux frais les corpus les plus canoniques ou pour réévaluer certaines œuvres occultées, mais aussi comme une opportunité présente de renouvellement poétique et comme une manière de donner à la littérature une nouvelle consistance.

Certaines pratiques contemporaines en témoignent, et nous les explorerons de manière privilégiée. Qu’en est-il des nouvelles écritures à plusieurs mains fondées sur des expériences de vie collective ou même des aspirations individuelles conduisant à associer changement de vie et choix d’un certain type de créativité ? Ces associations de l’écrire et du faire ont des caractéristiques propres mais elles relaient aussi des expériences plus anciennes d’ici et d’ailleurs conçues elles aussi dans ce qui apparaissait comme des situations d’urgence. Concernés au premier chef par le temps présent qui nous requiert, nous nous tournerons aussi vers le passé et vers l’ailleurs en quête d’expériences littéraires enregistrant elles aussi un bouleversement des frontières entre l’œuvre et la vie. Des phalanstères fouriéristes au Comité invisible en passant par le groupe de l’abbaye ou la société secrète Acéphale sans oublier l’Université bengalie de Visva-Bharati, les prophétismes scripturaires africains ou les samizdats de la dissidence russe, il s’agit toujours d’apporter une réponse à la fois littéraire et pratique, à des contradictions restées jusque-là sans issue.

Il s’agira moins d’envisager les différentes formes qu’a pu prendre l’engagement de la littérature au nom de telle ou telle cause, ou son implication dans un certain état du monde, que de comprendre comment, dans de rares moments d’exacerbation de l’inacceptable, l’acte littéraire se trouve associé à une exigence impérative de changement de vie. À égale distance des écrivains dans leur rôle traditionnel d’intellectuels en surplomb et de ceux qui, à l’inverse, se sont brûlés à leur écriture dans un rapport sacrificiel, nous nous intéresserons à ces écrits à l’unisson de la vie de ceux qui les produisent et qui, associés à une transformation durable des manières de vivre, anticipent sur les temps futurs. 

Programme

Mardi 30 janvier 2024 : Guillaume Bridet, Xavier Garnier et Alain Schaffner : Séance introductive à trois voix.

Mardi 27 février : Pierre Schoentjes : « (Im)Possibilité d'un retour à la nature ».
Pierre Schoentjes reviendra sur le phénomène du « retour à la nature », plus ancien qu’on ne le croit habituellement. Il s’arrêtera à trois moments représentatifs : les colonies agricoles comme celle d’Aiglemont, fondées par les anarchistes à la fin du XIXe siècle ; Monte verità, haut lieu de recherche de mode de vie alternatif implanté sur une colline dominant le lac Majeur devenu entre 1900 et 1930 un lieu d’innovation artistique et de libération des corps ; et, plus récemment, le mouvement vers les campagnes qui dans les années 1970 a donné lieu à des tentatives de vie communautaires. Des caractéristiques communes relient ces différentes expérimentations dans laquelle le rejet des conventions bourgeoises et la libération des corps et des esprits étaient centrales. Elles ont en outre, chacune à sa manière, exercé une influence sur la création artistique que l’on observera en particulier à travers la littérature.

Mardi 26 mars : Sacha Todorov : « De la San Francisco Mime Troupe au Reinhabitory Theater, l'itinéraire d'une troupe théâtrale engagée ».
À partir des années 1960, une troupe théâtrale protéiforme défraie la chronique à San Francisco : d'un théâtre d'agit-prop "classique" (la San Francisco Mime Troupe), elle bascule dans des performances de real life acting anticapitalistes (c'est la période des Diggers), avant de participer au grand mouvement de retour à la terre des années 1970 — d'où elle ressort en posant les bases de l'écologie politique moderne (le biorégionalisme), et en pratiquant un théâtre multispéciste et décolonial avant la lettre (le Reinhabitory Theater). Une aventure collective passionnante et méconnue, où mode de vie, théâtre et militantisme 
étaient indémêlables.

Mardi 30 avril : Joana Maso « Nusch Éluard : de la psychothérapie institutionnelle au surréalisme hors du temps et de l’espace ».
Sous l’Occupation, fuyant la Gestapo, Nusch a trouvé refuge avec son mari Paul Éluard à l'hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole en Lozère, où elle s'investit dans la thérapie des malades schizophrènes à travers le théâtre. Elle s'associa ainsi brièvement à la transformation des institutions psychiatriques qu’on appela, au début des années 1950, « psychothérapie institutionnelle ». Mon intervention analysera cette épaisseur historique et politique très souvent absente de l’imaginaire surréaliste, dont les représentations ont si souvent enfermé les femmes dans des discours intemporels, hors du temps et de l’espace. 

Mardi 21 mai : Alain Romestaing : « Giono au Contadour : que mes choix demeurent ? »
En septembre 1935, Jean Giono emmène une « caravane » d’une cinquantaine de personnes dans la montagne de Lure, à la rencontre des paysans, des bergers et d’un pays sur lesquels il ne cessait d’écrire. Initié par Le Mouvement des Auberges du Nouveau Monde, cette randonnée participait d’une volonté de changer socialement et politiquement le monde : Giono lui ajoutait un souffle poétique et cosmique. Ce n’était pas encore contradictoire pour l’auteur de Que ma joie demeure, arc-bouté en artiste autant qu’en citoyen contre les puissances mortifères de la modernité. Même si cette mobilisation écopoétique avant l’heure se brisera en 1939 sur la mobilisation générale.

Mardi 18 juin : Maëline Le Lay : « “L’art est mon arme”. Slam & action politique à l’Est de la République démocratique du Congo ».
En 2017 est fondé à Goma, au Nord-Kivu (RD Congo), le collectif « Goma Slam Session », initié par de jeunes slameurs par ailleurs membres de la LUCHA (Lutte pour le Changement), un collectif de jeunes militant pour la justice sociale au Congo ayant émergé durant le second mandat du dernier président du Congo, Joseph Kabila. Le mode de fonctionnement de Goma Slam Session mais aussi sa raison d’être et son style sont calqués sur ceux de la LUCHA. Quoique ces deux collectifs affirment refuser le culte de la personnalité et lui préférer un mode de gouvernance horizontal, ils ont en partage un imaginaire révolutionnaire qui n’échappe pas à l’héroïsation des figures de martyres tombés pour le Congo. Cet imaginaire nourrit les parti-pris idéologiques qui évoluent au gré de l’actualité tumultueuse de la région en proie à un état de guerre semi-permanente.

Contact :

Guillaume Bridet : guillaume.bridet@sorbonne-nouvelle.fr

Xavier Garnier : xavier.garnier@sorbonne-nouvelle.fr

Alain Schaffner : alain.schaffner@sorbonne-nouvelle.fr