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Reconfigurations identitaires de l’Afrique : mémoire et construction nationale à l'époque de la mondialisation (Lleida)

Reconfigurations identitaires de l’Afrique : mémoire et construction nationale à l'époque de la mondialisation (Lleida)

Publié le par Léo Mesguich (Source : Carme Figuerola)

Colloque international
Reconfigurations identitaires de l’Afrique: mémoire et construction nationale à l'époque de la mondialisation
Universitat de Lleida- Institut Catholique de Toulouse
Departament de Llengües i Literatures estrangeres-Chaire Francophonies et Migrations
Dans le cadre du projet Les Afriques, Mouvements, Vulnérabilités Et Créativité
Lleida, 11-12 juin 2024

Au tournant du XXe, le philosophe Zygmunt Bauman constatait avec inquiétude la réticence des sociétés modernes face aux défis d’un nouveau siècle : sous les effets d’une « épidémie » nostalgique née de l’insécurité générale, l’individu cherchait refuge dans le passé rassurant parce que mythifié. Cette société en mal d’avenir semble aimantée par le passé et se livre alors à la  fièvre de la commémoration, que Paul Ricoeur -soucieux de porter un regard attentif aux liens entre histoire et mémoire- a déjà décrite dans La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli. La notion de mémoire est devenue une exigence, un « devoir », pour parler avec Sébastien Ledoux.  L’individu cherche à comprendre son histoire et celle des autres : il construit son être et explique ses rapports à la société à l’heure de circonstances historiques. Pour cette opération mémorielle il ne suffit pas de présenter des souvenirs en témoignage, mais de bâtir une évocation à part entière du passé. Dès lors la rétrotopie, un mouvement rétrograde qui manifeste son engouement vers un monde prétérite, emporte l’utopie. Les contemporains, autrefois assoiffés de progrès, visant un ailleurs meilleur sous un nouvel ordre social, retournent à leurs tribus. Les technologies aidant, de petits clans émergent sans cesse.

Dès nos jours, cette manière de cerner le monde s’inscrit aussi dans la pensée africaine. En raison de sa grande diffusion, la littérature est devenue un des moyens les plus féconds. Du point de vue artistique, trois périodes jalonnent la littérature africaine : une première au début du XXe siècle, où les textes rapportaient avec complaisance les effets de la colonisation ; une deuxième, vers les années 30, marquée par les revendications de la Négritude où les auteurs voulaient prouver que leurs civilisations étaient à la hauteur de la culture occidentale ; une troisième qui, par le dépassement des deux précédentes, tient à porter réponse aux modes de vie contemporains. Après les indépendances, les intellectuels ont été en mesure de changer de ton pour se réapproprier de l’histoire de l’Afrique sous un angle plus critique que celui des aînés. Se réclamant d’une « littérature-monde », capable de s’ouvrir vers des horizons transnationaux, l’écrivain, le penseur africain a les mêmes préoccupations historiques et idéologiques que les autres homologues des continents voisins. Voilà pourquoi au début des années 90, le jeune réalisateur burkinabé Idrissa Ouedraogo rejetait d’être inscrit sous l’étiquette de « cinéaste africain » et d’affirmer : « Je suis un cinéaste, c’est tout». Dès nos jours Fatou Diome, Fouad Laroui ne mettent-ils pas en lumière différentes marginalisations de l’individu ? L’écriture de Fawzia Zouari, ne plaide-t-elle pas pour la construction d’une identité plurielle de la femme ? Si dans Ségou Maryse Condé avait écrit un roman des origines,  son écriture s’engage-t-elle pas en faveur d’adolescents insoumis, de femmes non-conformistes, enfin de sujets dominés par un ensemble varié d’institutions? La participation d’un monde global implique se faire écho des problématiques comme le développement durable, la responsabilité sociétale des États ou la crise identitaire de l’individu scindé entre tradition et post-modernité, chacun de ces phénomènes étant une composante du processus de mondialisation qui domine notre temps.

A l’échelle africaine, la globalisation comprise comme une interrelation de tous les peuples du marché mondial s’avère une gageure succédant à celles que le continent a auparavant relevées : l’esclavage et la traite, la colonisation, les Indépendances, la post-colonie. A chaque épisode, des logiques identitaires ont imprimé leur sceau au coeur des populations d’Afrique, qui à leur tour, les ont transcendées, puisque l’identité concerne l’être dans sa manière de se concevoir soi-même, l’autre, et leur situation au monde. De ce point de vue, les pays subsahariens dont les frontières sont tracées par les puissances coloniales en négligeant le substrat traditionnel, par quel biais ont-ils construit une Histoire commune ? Changement de l’identité, pluralité, hybridité sont des concepts qui reviennent souvent dans l’expression artistique contemporaine, de même que la mémoire, vu qu’elle peut devenir un outil pour la quête identitaire. Ainsi, le chanteur américain Akon tient à susciter chez les Afroaméricains le désir de redécouvrir la terre des origines, les terres de leurs ancêtres. Ce mouvement du retour à la terre mère en évoque un autre, celui du rastafarisme dans les années 1930, qui souhaitait le retour des Jamaïcains en Éthiopie. Ce n’est pas la première tentative : au lendemain de la Première Guerre mondiale, le mouvement Back to Africa visait à “amorcer un retour massif vers une terre promise, l’Afrique” (Bonacci : 255). Car parallèlement il est difficile d’oublier que souvent l’identité est associée à la territorialité, ce qui exige une réflexion sur l’espace : comment est-il perçu par les Africains ? L’évocation d’un lieu de mémoire, sert-elle à offrir une vérité du passé ? Y a-t-il une vision africaine de l’Histoire ou bien le regard des Africains est à la recherche de l’universalité ? Quelle est la recréation actuelle des espaces matriciels que les Africains reproduisent dans les métropoles ? Comment se construit la relation entre les villes, les pays et l’histoire de tout un chacun ? quel type de sociabilité s’inscrit dans ces lieux ? espaces de loisir, espaces individuels, collectifs, conflits des espaces... droit et gestion des espaces, perception des espaces offrent autant d’enjeux à l’africain, qu’il se trouve dans sa région autochtone ou dépaysé, ailleurs : le concept « métropole » reste encore valable pour les sociétés de notre temps ?

Dans le tout, il s'agirait d’observer comment les africains appréhendent le monde et les peuples qui l’intègrent. Quelle est l'articulation de la mémoire dans ces communautés africaines. Par quels biais elle se construit et organise ? comment "garder" les expériences vécues de deuil, de violence ? comment organiser l’histoire ?  Quel est le rôle du pouvoir politique et de la gouvernance ? quel espace pour le religieux ? la loi est-elle capable de gérer cette entreprise mémorielle ? Naturellement les aperçus artistiques auraient bien de choses à dire là-dessus...

Les propositions de communication sont à énoncer selon les axes suivants (ou tout autre
axe jugé pertinent en rapport avec la thématique du congrès) :

 

-Mémoire individuelle et/ou collective de l’Afrique à l’époque contemporaine 

- Devenir historique et construction identitaire africaine

-Mémoire, identité et expression artistique

- Sentiment d’identité : référents d’unité, d’appartenance

-Lieux de mémoire, géographie et construction identitaire

- Droit, mémoire et identité

 

Références bibliographiques:

Bauman, Zygmunt, 2017 (posthume), Retrotopia , trad. par Frédéric Joly, Premier Parallèle.

Bonacci, Giulia, 2002, “Le ‘Rapatriement’ des Rastafaris en Éthiopie. Éthiopianisme et retour en Afrique”,  Annales d’Ethiopie, vol. 18, : 253-264.

Bugul, Ken, 2000, « Écrire aujourd‟hui : questions, enjeux, défis », in Notre librairie n° 149, « Actualités littéraires 1999-2000 », octobre-décembre. 

Collot, Michel, 2014, Pour une géographie littéraire, Paris, Corti.

Hirsch, Marianne, 2014, « Postmémoire », Témoigner. Entre histoire et mémoire, 118, p. 205-206.

Ledoux, Sébastien, 2016, Le devoir de mémoire, une formule et son histoire, Paris, CNRS édition.

Le Gouriellec, Sonia, 2022, Géopolitique de l’Afrique, Paris, PUF, coll. « Que Sais-Je ? ».

Moura, Jean Marc, 1999, Littérature francophone et théorie postcoloniale, Paris, PUF. 

Ricœur, Paul, 2000, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Paris, Le Seuil.

Westphal, Bertrand, 2007, La Géocritique, réel, fiction, espace, Paris, Éditions de Minuit.   

Calendrier:                                               

- Avant le 20 décembre 2023 : envoyer une proposition d’une longueur maximum de 300 mots, mentionnant le nom de l’auteur et son rattachement institutionnel, aux adresses suivantes : carme.figuerola@udl.cat ; bmr.toulouse@gmail.com

- 1e quinzaine janvier 2024 : réponse des organisateurs du colloque