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L’intelligence imaginaire : enjeux esthétiques des IA (cinéma et arts visuels)

L’intelligence imaginaire : enjeux esthétiques des IA (cinéma et arts visuels)

Publié le par Marc Escola (Source : Vincent Souladié)

L’intelligence imaginaire : enjeux esthétiques des IA (cinéma et arts visuels)

 14 mars 2024 - Quai des Savoirs (Toulouse)

Journée d’études organisée par :

Camille Prunet (Maitre de conférences en théorie de l’art, Université Toulouse Jean Jaurès)

& Vincent Souladié (Maître de conférences en histoire et esthétique du cinéma, Université Toulouse Jean Jaurès)

À partir du 2 février 2024 à Toulouse, le présente sa nouvelle exposition « IA, double je », à l’occasion de laquelle La Cinémathèque de Toulouse propose de janvier à mars une rétrospective de films sur le sujet. Associée à ces manifestations scientifiques et culturelles, cette journée d’études s’intéressera précisément aux « imaginaires esthétiques » des intelligences artificielles dans le cinéma et les arts visuels, c’est-à-dire aux représentations qu’elles suscitent et génèrent, aux modalisations artistiques de leur système perceptif et énonciatif, à l’épistémologie du vrai et du faux induit par leurs images.

Les intelligences artificielles sont impliquées de manière exponentielle dans les activités de secteurs très variés de l’industrie, du commerce, de l’éducation, de la culture, ou des arts. L’amplitude des champs sur lesquels elles peuvent agir pose la question des niveaux de relation au monde concernés par leur assistance virtuelle. Les intelligences artificielles agissent ainsi comme une interface dont la programmation informatique est dictée par la réalité pratique du milieu sur lequel elles interviennent et qu’elles ont le pouvoir de changer en retour. Leur nature d’outil à tout faire et leur capacité d’apprentissage les conduisent à couvrir des usages et des besoins mixtes (concrets ou abstraits, immédiats ou étendus, généraux ou spécialisés, idiosyncrasiques ou collectifs) dessinant le spectre d’une nouvelle réalité paradigmatique, en l’occurrence réticulaire (la mise en réseau ou le maillage de milieux hétérogènes, ce que Bruno Latour nommait un « système nerveux planétaire ») et multidimensionnelle (la stimulation de profondes couches interactives de ressources, comme dans la théorie du « Stack » proposée par Benjamin Bratton).

Or, comme c’est le cas de tout progrès industriel, ces présupposés techniques et philosophiques ont aussi tissé de complexes relations avec l’imaginaire collectif, précédant de loin leur expansion et la vulgarisation de leurs usages, et facilitant ou conditionnant par-là-même la manière de les appréhender. Comme le montrait Edgar Morin, « l’imaginaire esthétique, comme tout imaginaire, est le royaume des besoins et aspirations de l’homme, incarnés, mis en situation, pris en charge dans le cadre d’une fiction. Il se nourrit aux sources les plus profondes et les plus intenses de la participation affective. Par là-même, il nourrit les participations affectives les plus intenses et les plus profondes ». Bien avant l’apparition du terme « intelligence artificielle » au milieu des années 1950, la fiction la destinait déjà à incarner les dérives futuristes d’une incoercible inflation technique au terme de laquelle les machines auraient pris l’ascendant sur la civilisation humaine qui les avaient créées. Maintenant que la place des intelligences artificielles dans la société est rendue quasi inévitable, qu’en est-il de ce degré d’avance de la fiction sur la réalité ? Et dans quelle mesure les inventions techniques liées aux intelligences artificielles brassent-elle les récits d’anticipation qui les ont précédées ? Il convient toujours de se demander en quel sens les progrès de l’intelligence artificielle sont dépendants de sa propre mythologie (Hubert L. Dreyffus). Celle-ci ne désigne pas seulement l’ouvroir des potentialités pratiques de la machine mais aussi les configurations esthétiques au sein desquelles elle prend effet. L’image artistique, que ce soit au cinéma ou dans les arts visuels, est l’une de ces configurations possibles et c’est à partir d’elle, en tant que représentation comme en tant que production des IA, qu’il s’agit de réfléchir à ces questions.

Les relations qu’entretiennent les intelligences artificielles avec le monde esthétique des images (animées ou fixes) permettent d’alimenter au moins trois grands champs de réflexion, qui serviront d’axes à cette journée d’études.

 Le premier domaine pose des questions de représentation : quels régimes de présence, de visibilité, d’agentivité, la fiction confère-t-elle aux intelligences artificielles qui peuplent les contes ou les cauchemars dystopiques depuis L'Uomo Meccanico (1921) et Metropolis (1927), jusqu’aux vidéos contemporaines imaginées par l’artiste Gwenola Wagon (World Brain) ? Considérant que l’inférence émotionnelle et intellectuelle envers un artefact technologique ressort objectivement d’un réflexe empathique, sinon d’un complexe d’infériorité, quels corps, quels visages, quelles voix, quels mots sont prêtés à ces semblants de conscience pour que l’ambiguïté de leur identité fournissent un argument dramaturgique ? De fait, comment dépasser par la représentation ce mythe anthropomorphique de la machine, dans lequel sont fondues les intelligences artificielles, et autour duquel se joue si souvent le choix manichéen entre technophobie et technophilie ? La fiction a-t-elle ainsi d’autres issues que de prophétiser les risques et les triomphes de la technologie (Computer Chess, Andrew Bujalski, 2013 ; Her, Spike Jonze, 2013 ; After Yang, Kogonada, 2021) ? Comment les représentations des IA suggèrent-elles parfois un renversement de perspective qui invite à se départir d’une vision humaine pour embrasser une vision machinique ? Quand peut-on dire par ailleurs des représentations des IA qu’elles dialectisent l’ambivalence entre le noyau algorithmique impénétrable et informel et la réalité tangible et sensible de son action ?

Le deuxième pose des questions de création : qu’est-ce que l’intelligence artificielle fait à la fabrication des images et des récits ? Là, trois modalités se concurrencent : l’usage commun et ludique permis par la libre mise à disposition depuis le début des années 2020 des interfaces de deep learning, aptes par exemple à modifier des images ou en créer de nouvelles. Cette culture du deep fake s’étend à une exploitation opportuniste dès lors que ces outils sont mis au profit de l’industrialisation esthétique du spectacle pour générer des représentations impossibles ou dictées par la rentabilité (de-aging ; réemploi de visages scannés ; décors virtuels en 3D). Dans le registre de l’exploitation, les médias ne sont pas en reste pour basculer dans le piège des fake news alimentées par des images frauduleuses de source intraçable, comme l’artiste David Fathi a pu récemment en faire la démonstration à son insu avec une de ses images indûment réutilisée dans la presse. L’art comme extension de la technique est en revanche la voie par laquelle les intelligences artificielles peuvent se voir affranchies de leur déterminisme techno-économique et dévoilent leurs potentialités expressives et dynamiques dans des laboratoires formels propres à instaurer à leur égard une distance critique et discursive sur des modes politiques, relativistes, satiriques ou iconoclastes. L’artiste et musicienne Laurie Anderson a récemment travaillé les potentiels des IA que ce soit pour produire des images fictionnées de la vie de son grand-père suédois, ou pour imaginer un dialogue avec son mari disparu, le chanteur Lou Reed. De nombreux artistes multimédias se sont ainsi penchés sur la possibilité pour les intelligences artificielles de créer contenus visuels « automatiquement », dans le cadre de programme complexe. Quelle dimension esthétique peut-on prêter à ces images résultant d’une logique informatique ?

Le troisième pose des questions des questions d’épistémologie : les images générées par IA sont tramées d’un corpus gigantesque de données invisibles stockées et référencées dans des espaces virtuels latents. Ces images non-humaines, dont l’apparence est calculée mathématiquement à partir d’une somme de micro-restes décorrélés d’images crées par l’humain, désamorcent a priori les topologies référentielles de l’ontologie, de l’indicialité, de l’imaginaire, à partir desquels se positionnent culturellement l’appréhension et le jugement des images. Pourtant, dans quelle mesure ces images virtuelles, mouvantes et imparfaites, générées à partir de sollicitations humaines, configurent-elles comme une morphologie vivante d’un état de la pensée culturelle, d’un imaginaire (du) contemporain ? Qu’en est-il des images invisibles qui permettent aux IA de lire, de transformer ou de générer des images ? Comment se saisir de ce pan des images qui nous échappe et reflète comme un langage de machine à machine ? De nombreuses œuvres de Grégory Chatonsky interrogent ces aspects dissimulés. Les IA répondent par ailleurs au rêve humain de pouvoir entrer dans l’image, de se l’approprier, voire de l’incorporer (Pinotti et Somaini). L’iconophagie que l’on peut observer dans la fabrication et la transformation d’images par les IA – et qui transparaît par exemple dans le cinéma de David Cronenberg – résultent de la digestion, du « compost » d’autres images (Donna Haraway). Comment cette idée vient-elle troubler le régime même de la représentation ?

Les propositions de communications (résumé de 200-300 mots, bibliographie indicative, courte biographie) sont à envoyer aux deux adresses suivantes : camille.prunet@univ-tlse2.fr, vincent.souladie@univ-tlse2.fr, avant le 20 janvier 2024.

 Comité scientifique :

Claire Chatelet (Université Paul-Valéry-Montpellier), Jacques Demange (Université de Strasbourg), Erika Fülöp (Université Toulouse Jean Jaurès), Hélène Machinal (Université Rennes 2), Camille Prunet, Vincent Souladié.