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Écriture du journal et élaboration de connaissances (Revue algérienne des lettres)

Écriture du journal et élaboration de connaissances (Revue algérienne des lettres)

Publié le par Marc Escola (Source : Benselim Abdelkrim)

Appel à contributions pour le Volume 8, numéro 1 | 2024 de la Revue algérienne des lettres

Numéro thématique coordonné par

Souad Bahri (Univ. Ain-Témouchent), Jérémy Ianni (Univ. Paris 8) et Houria Meddas-Mosbah (Univ. Paris 8)

Écriture du journal et élaboration de connaissances

La vision représentative de l'écriture a toujours structuré les grands travaux en socio-histoire du phénomène scriptural. En reflétant le niveau réel de civilisation d'une société, l'écriture se présente comme un élément essentiel dans la fixation des acquisitions antérieures, sans laquelle il est difficile d'envisager l'idée de progrès, comme le souligne Lévi-Strauss (1955). Aussi l’invention de l’écriture a-t-elle permis aux savoirs et aux expériences d’être accumulés, devenant un capital transmissible permettant aux générations futures de se baser sur ces expériences pour améliorer les techniques et développer de nouveaux progrès (Charbonnier, 1961 : 28-29).

Comment penser alors ce statut du savoir et de l’accumulation des expériences dans les différentes pratiques scripturales ? Sur quels paradigmes s’appuyer pour (re)penser l’écriture sous ses formes intime, professionnelle et scientifique afin de mettre en évidence la portée du discours sous-jacent ? C’est ce lien précis entre écriture et connaissance de soi, du monde, d’autrui, ou encore des réflexions que nous souhaitons mettre en discussion dans ce dossier thématique, en proposant des approches multiples et transdisciplinaires. Il est, en effet, possible tout autant que légitime de mobiliser le thème de l’écriture par le prisme de la subjectivité, à partir de la pratique du journal intime, du journal de classe ou encore du journal du chercheur, et d’envisager en quoi ces pratiques scripturales sont susceptibles de devenir des sources de connaissances dans le monde contemporain. 

Les dimensions éducatives, formatives ainsi que celles d’accès à la connaissance permises par l’écriture sont en effet multiples. L’écriture de soi, tout d’abord, enveloppe ces écritures qui se lisent le plus souvent sous un Je, qu’elles soient issues du registre littéraire ou celui de la recherche. C’est dans l’exercice autobiographique que l’écriture de soi s’exerce à travers les expériences et les pensées de son auteur. À cet égard, Philippe Lejeune introduit le concept de « pacte autobiographique » (1975) dans lequel l’auteur s’engage à dire « la vérité » à son lecteur. Cette pratique autobiographique prend la forme de journaux personnels dits intimes (Henri-Frédéric Amiel, Marie Bashkirtseff, Michel Leiris), de mémoires (Chateaubriand) ou de confessions. Le Je autobiographique peut également se dérober sous le jeu de l’altérité dans lequel l’auteur se dédouble à l’instar de Jean-Paul Sartre (Les mots, 1964) ou Enfance de Nathalie Sarraute (1983). L’écriture de soi est donc l’expression d’un langage qui fait émerger une re-connaissance de soi par une mise à distance de cet autre Je. 

La pratique du journal est une série de traces écrites et datées servant à « construire ou exercer la mémoire de son auteur » (Lejeune & Bogaert, 2003 : 9). Le diariste mène une quête de connaissance sur soi et sur le monde où « Je deviens mon propre interlocuteur » (Gusdorf, 1991 : 106-107).  De l’Antiquité grecque au XXe siècle, la forme du journal a évolué en même temps que son appartenance au genre littéraire qui a été longuement discuté. Il pourrait s’apparenter à l’autobiographie s’il ne s’agissait pas de tenir compte de la datation. Dans l’ordre temporel, Marc Aurèle notait ses réflexions dans les hypomnemata. Les Confessions de Saint-Augustin se rapprochent du journal puisqu’il pratique une introspection spirituelle (Westerhoff, 2005) malgré l’absence d’un écrit journalier. De la renaissance au XIXe siècle, le journal prendra ainsi la forme de journal intime ou de journal de voyage. Pour n’en citer que quelques-uns, le journal de Samuel Pepys, le journal de Stendhal, le journal de Jules Renard jusqu’aux journaux intimes des jeunes filles bourgeoises du XIXe siècle sont des exemples probants. C’est donc à cette période précisément que le journal se constitua en genre littéraire. 

La pratique diaristique constitue une écriture de soi par laquelle l’accès à la connaissance est un cheminement existentiel se traduisant par un double travail réflexif et d’introspection. Mais peut-on réduire la pratique du journal à un outil de connaissance de soi, et non du monde ? Le journal est-il en proie à l’égotisme ? En réalité, les diaristes se livrent à un dialogue où le lecteur prend connaissance de l’environnement social de l’auteur. Le fonctionnaire Samuel Pepys, pour ne citer que cet exemple, rapportera avec minutie le quotidien de ses contemporains.

Dans le domaine scientifique, le journal de recherche renferme une écriture qui se définit comme étant à la fois « un médium entre soi et le monde » (Hess et al., 2016 : 143) et un « outil de formation du soi » (Hess et al., 2016 : 139). Il prend alors forme à travers l’écriture de soi du chercheur lié à son objet, mobilisant ainsi des connaissances par des méthodes d’observation de terrain, de lecture et d’entretiens. Il prend la fonction d’auto-analyseur de « la subjectivité du chercheur en train d’observer le monde social » (Noiriel, 1990 : 138) afin de donner accès à la connaissance et à la compréhension de son travail. L’ouvrage L’Afrique Fantôme, le journal de voyage de Michel Leiris est un exemple assez représentatif de l’écriture de soi qui mêle quête existentielle et écritures scientifiques multidisciplinaires.

Pour ce qui est du journal ethnographique, l’écriture interroge l’acte de voir en lui-même et la place de l’observateur dans le processus d’écriture. Longtemps chassée et interdite, la subjectivité des chercheurs n’est historiquement pas reconnue comme moyen d’accès à la connaissance. Pourtant, comme le soulignent des anthropologues comme François Laplantine, la présence des chercheurs et leur(s) subjectivité(s) ne peuvent plus être écartées dans l’activité de description ethnographique, en raison de l’expérience de l’altérité, et d’une forme de relation amoureuse entre les chercheurs et leurs terrains (1996 : 13-17). 

Pour envisager ce lien complexe entre écriture et connaissances (de soi, de l’autrui, du monde), nous proposons à titre indicatif les axes de réflexion portant sur :

- l’écriture du journal sous ses formes multiples (journal intime, journal de voyage, journal professionnel, journal du chercheur, journal ethnographique, etc.) : les procédés discursifs, la typologie textuelle, le jeu de la subjectivité et de l’altérité, etc.

- La problématique de la réception (de l’écriture) du journal.

- La question de l’enseignement-apprentissage de l’écriture du journal.

- Réflexions récentes en socio-anthropologie sur l'écriture du journal

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Dates importantes 

15 janvier 2024 : Mise en ligne de l’appel à contributions

15 mai 2024 : Date limite de Réception des articles pour évaluation

5 Juillet 2024 : Mise en ligne du numéro

 Lien de téléchargement du Template : https://journals.univ-temouchent.edu.dz/index.php/RAL/template

Lien de soumission des articles : https://www.asjp.cerist.dz/en/submission/523

NB : La revue ne recevra pas d’articles varia pour ce numéro.

Bibliographie indicative 

CHARBONNIER Gorges. 1961. Entretiens avec Lévi-Strauss. Paris. Union Générale d’Editions.

COHEN Marcel. 1935. « Les origines de l’écriture ». Dans L’Humanité. 19 septembre 1935.

COHEN Marcel. 1958. La grande invention de l’écriture et son évolution. Paris.

FEVRIER James Germain. 1959. Histoire de l’écriture. Paris. Payot.

FOUCAULT Michel. 1975. Surveiller et Punir. Tel Gallimard.

FRAENKEL Béatrice. 2009. « Marcel Cohen et l'écriture : autour de La grande invention de l'écriture et son évolution (1958) ». Dans Langage et société. Vol. 128. No. 2. p. 99-118. https://doi.org/10.3917/ls.128.0099 

GELB Ignace. 1952. A study of writing. Chicago/Londres, The University of Chicago Press.

GUSDORF Georges. 1991. Les écritures du moi. Lignes de vie 1. Paris. Odile Jacob.

HESS Rémi et al. 2016. L’écriture du journal comme outil de formation de soi-même. Dans Le Télémaque. 49. p.139-152.

KLOCK-FONTANILLE Isabelle, 2016. « Repenser l’écriture Pour une grammatologie intégrationnelle ». Dans Actes sémiotiques. No.219. https://doi.org/10.25965/as.5623   

LAPLANTINE François. 1996. La description ethnographique. Armand Colin.

LEIRIS Michel.1934. L’Afrique Fantôme. Tel Gallimard. 1981.

LEJEUNE Philippe. 1975. Le Pacte autobiographique. Seuil.

LEJEUNE Philippe. 1980. Je est un autre. Seuil. 

LEJEUNE Philippe. 1998. L’Autobiographie en France. Armand Colin.

LEJEUNE Philippe & BOGAERT Catherine. 2023. Un journal à soi, histoire d’une pratique. Paris. Éd. Textuel. 

NOIRIEL Gérard. 1990. Journal de terrain, journal de recherche et auto-analyse. Entretien avec Florence Weber. Dans Genèses. No. 2. « À la découverte du fait social ». p. 138-147.

WESTERHOFF KUNZ Dominique. 2005. Le journal intime, Méthodes et problèmes. Genève: Département de français moderne. En ligne : http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/journal/