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Extensions du queer : enrichissements, limites et dispersions (Bordeaux)

Extensions du queer : enrichissements, limites et dispersions (Bordeaux)

Extensions du queer : enrichissements, limites et dispersions

Journée d’étude à l’Université Bordeaux Montaigne le 20 juin 2024

Le queer est une notion polysémique et accueillante, qui a reçu au fil des décennies des acceptions différentes, parfois opposées : cette élasticité sémantique est-elle un atout, qui expliquerait son succès dans l’univers social et culturel depuis les années 1990, ou un inconvénient, si l’on considère les nombreuses dissensions qui entourent le sens précis donné à ce terme, au risque de l’incohérence ?

Le queer demeure en effet une notion fuyante, allant de la désignation des minorités sexuelles à l’expression d’une identité de genre non-binaire/complexe, en passant par le refus plus global des normes sociétales ou politiques, au nom d’une marginalité revendiquée. Ces différentes définitions relancent sans cesse les interrogations sur l’extension de ce mot, tout en fournissant des repères de visibilité. Pour mieux saisir cette complexité, nous souhaitons observer et interroger les effets d’élargissement de la notion, depuis différents angles d’approche : 

1. Extension du terme, et réflexion sur les limites de son extension : quels sont les rapports d’opposition ou de synonymie entre le queer et les identités LGBTQIA2+ (l’altersexualité), souvent confondus, malgré l’hétéronormativité possible des individus altersexuels (par exemple, un modèle de virilité gay) ? Le queer est-il une identité de genre, ou bien un simple outil critique ? Une hétérosexualité queer est-elle possible ? Il s’agirait d’envisager les différents problèmes terminologiques propres au queer, afin de mettre au jour les effets de confusions ou de conflits théoriques à son sujet.

2. Élargissement géographique : des États-Unis vers l’Europe, mais aussi le reste du monde extra-occidental (le queer des féministes noires et chicanas telles que Gloria Anzaldúa étant perçu comme un modèle supérieur selon Bourcier), quelle cohérence de fond, quels invariants demeurent dans le voyage de la notion ? Existe-t-il des queer régionaux, ou est-ce que la notion est transnationale, indépendamment des spécificités de chaque contexte linguistique, politique et culturel ? Qu’est-ce que l’européisation ou la francisation du terme apportent à la notion, face à ses tentatives de traduction, telles que « TransPédéGouines » (TGP) ou « Tordu·e·s » ? Selon Bourcier, dans le champ américain, le queer est un positionnement contre les politiques des identités gay et lesbiennes, mais cette perspective ne serait pas pertinente en France : le queer y deviendrait alors, non plus une critique radicale de l’identité, mais l’invention de nouvelles identités. Une comparaison entre l’anglophonie et la francophonie queer, ou d’autres sphères linguistiques, permettrait d’éclairer ces effets de transferts et d’appropriations, dans une forme de réactivité théorique.

3. Extension temporelle (perspective historique) : il convient de mener une réflexion sur l’écart entre la définition première (injure homophobe attestée depuis le XIXème siècle), sa réappropriation moderne (revendication d’une fierté altersexuelle, comme étendard politique et militant) et ses multiples redéfinitions de nos jours : comment contextualiser l’objet du « moment queer » en synchronie, pensé comme un régime d’historicité spécifique, une sédimentation de moments par des pratiques de discours ? Cette historicité du queer permettrait de mieux établir la spécificité du contemporain : déclarer « Je suis queer », comme on l’entend souvent depuis quelques années, peut-il avoir du sens ? S’agit-il d’une identité genrée, ou a-t-on intérêt à maintenir le sens « précédent » d’une seule critique des identités stabilisées ? Enfin, quelles possibilités d’usages anachroniques de la notion sont envisageables (les aspects queer de La Princesse de Clèves, Frida Kahlo comme artiste queer…) ?

4. Élargissements culturels : nous souhaitons également analyser le passage d’une définition première, renvoyant à des pratiques sexuelles non-hétéronormatives, vers son application à des formes culturelles de pensée ou d’expressions artistiques : qu’est-ce que l’épistémologie ou la philosophie queer ? Qu’est-ce que la littérature ou l’art queer ? D’autres disciplines peuvent-elles être également « queerisées » ? Quelle relation métonymique existe-t-il entre ces « objets queer » et la notion qui leur donne son nom ? Une interrogation sur la pertinence ou la légitimité du rapprochement pourra ainsi être menée : quels critères permettent d’établir qu’une forme culturelle peut être caractérisée comme queer ? Suffit-il que la notion soit thématisée (est queer un art ou une pensée qui aborde explicitement des questions queer, qui représente des individus queer), ou faut-il qu’une revendication militante soit également signifiée (est queer toute forme qui promeut l’expression libre des sexualités alternatives ou des identités de genre dissidentes) ? Une application d’ordre plus symbolique peut-elle être admise sans dénaturer le sens du mot (est queer ce qui est libertaire, subversif, marginal, politisé, radical, etc.) ?

On remarque, finalement, un écart de plus en plus marqué entre la théorie et les pratiques du queer : d’un outil critique universitaire (la visée des queer studies étant de proposer une analyse subversive d’objets culturels donnés), le queer est devenu une notion inscrite dans des pratiques intellectuelles et/ou professionnelles du quotidien, dans de nombreux domaines (l’éducation queer dans l’institution scolaire, le militantisme queer dans le domaine associatif, la culture numérique des zines ou des réseaux sociaux, voire les pratiques de travail du sexe). Des témoignages de pratiques queer, issus de communicant·e·s extérieur·e·s au champ critique ou universitaire, permettraient ainsi de prendre la mesure de l’écart entre des pratiques actuelles et un substrat théorique qui en est à l’origine, pour mieux saisir le passage de l’un à l’autre.

Axes possibles :

- Queer et altersexualités : synonymie ou distinction avec le sigle « LGBT+ » ; queer et homosexualité / bisexualité / intersexuation / transidentité ; queer et binarité / non-binarité.
- Philosophie queer ; épistémologie queer ; littérature queer ; art queer… Définition du rapport métonymique de la discipline au queer : quelle mise en lien ? Qu’est-ce que le queer apporte à la discipline ?
- Le queer en contextes : queer américain, queer français/européen, queer extra-occidental : distinctions, invariants, enrichissements. Queer et culture nationale ou régionale, linguistique, politique. Queer régional / queer mondial.
- Queer et politiques des identités, l’identité queer comme réalité ou paradoxe, queer et marginalité / radicalité politique.
- Le queer à l’épreuve des limites, normes (normativité / normalisation) ; queer et cadre légal ou moral.
- Le queer entre représentation, thématisation, expression et/ou méthode.
- Passages et ruptures temporels : du queer comme injure au queer comme outil universitaire ; le queer redéfini de nos jours ; les intérêts ou les limites de l’usage du queer comme outil anachronique.
- Pratiques actuelles du queer ; queer et expérience ; militantisme, associations, information, éducation, archives, queer comme enjeu de société concret (théorie contre pratiques / discours).

Indications bibliographiques : 

– ANZALDÚA, Gloria, Borderlands/La Frontera. The New Mestiza, San Francisco, Aunt Lute Books, 2012.

– BOURCIER, Sam, Queer zones : politique des identités sexuelles et des savoirs, Paris, Éditions Amsterdam, 2006 [2001].

– BUTLER, Judith, Trouble dans le genre : le féminisme et la subversion de l’identité, traduit de l’anglais par Cynthia Kraus, préface d’Éric Fassin, Paris, La Découverte, 2005 [1990].

– BUTLER, Judith, Défaire le genre, traduit de l’anglais par Maxime Cervulle, Paris, Éditions Amsterdam, 2006 [2004].

– BUTLER, Judith. Ces corps qui comptent : de la matérialité et des limites discursives du « sexe », Paris, Éditions Amsterdam, 2009.

– DE LAURETIS, Teresa, Théorie queer et cultures populaires : De Foucault à Cronenberg, traduit de l’anglais par Sam Bourcier, préface de Pascale Molinier, Paris, Éditions La Dispute (Coll. « Le genre du monde »), 2007.

– ÉRIBON, Didier, Réflexions sur la question gay, Paris, Flammarion, coll. « Champs Essais », 2012.

– LORENZI, Marie-Émilie Lorenzi, « « Queer », « transpédégouine », « torduEs », entre adaptation et réappropriation, les dynamiques de traduction au cœur des créations langagières de l’activisme féministe queer », GLAD! [En ligne], 02 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017.

– NELSON, Maggie, Les Argonautes, Points, coll. « Féministe », Paris, 2022 [2015].

– NIEDERGANG, Pierre, Vers la normativité queer, Blast, Paris, 2023.

– PRECIADO, Paul B., Testo junkie : sexe, drogue et biopolitique, Paris, Grasset, 2008.

– PRECIADO, Paul B., Manifeste contra-sexuel (trad. Sam Bourcier), Diable Vauvert, 2011.

– PRECIADO, Paul B., Un appartement sur Uranus : Chroniques de la traversée (préf. Virginie Despentes), Paris, Grasset, 2019.

– PRECIADO, Paul B., Je suis un monstre qui vous parle : Rapport pour une académie de psychanalystes, Grasset, 2020.

– RUBIN, Gayle, « Penser le sexe : pour une théorie radicale de la politique de la sexualité » dans RUBIN Gayle et BUTLER Judith (dir.), Marché au sexe, Paris, Epel, 2001.

– SEDGWICK, Eve Kosofsky, Épistémologie du placard, trad. et préface de Maxime Cervulle, Paris, Éditions Amsterdam, 2008.

Comité d’organisation :

Juliette Assada, diplômée du master « Genres, cultures et sociétés » de l’Université Bordeaux Montaigne, militante au sein d’Espace QG-Bibliothèque Queer.
Jérémy Levasseur-Le Gall, doctorant, Université Bordeaux Montaigne, Plurielles.
Cette journée d’étude est organisée avec le soutien de l’équipe Plurielles de l’Université Bordeaux Montaigne.

Calendrier et modalités de candidature :

Les propositions de contribution (communications de 20 minutes) sont à envoyer avant le 1er mai 2024, avec un titre, un argumentaire de 300 mots maximum ainsi qu’une brève indication bio-bibliographique à jeremy.le-gall@etu.u-bordeaux-montaigne.fr et julietteassadam@gmail.com

Nous souhaitons également valoriser des propositions non-académiques originales, telles que des témoignages de professionnel·le·s ou de militant·e·s d’associations queer.

Réponses aux propositions de contribution : 15 mai 2024. 

Langue : français.