Colloques en ligne

Géraldine Poels

La littérature dans les collections de l’INA

Literature in INA's collections

1La littérature est un thème présent dans les programmes de radio et de télévision depuis leur origine, aussi les ressources de l’INA sur ce thème sont-elles innombrables. Afin de guider le chercheur à travers cette profusion, un guide des sources a été réalisé et reste disponible en ligne sur le Carnet de recherche de l’INA thèque1, : nous y renvoyons le lecteur, car il ne saurait être synthétisé ici. Le document signale, média par média, les collections incontournables comme les émissions insolites, et rappelle que la littérature y est présente aussi bien à travers l’entretien et le documentaire que dans les émissions jeunesse ou de divertissement. Notre contribution vise plutôt à rappeler quelques éléments de contexte sur la constitution de ces collections, leurs modalités d’accès, et à présenter quelques pistes promettant de renouveler les recherches sur ce thème, tant la diversité des fonds disponibles reste méconnue, même de nombreux spécialistes.

2Créé en 1975, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) collecte, sauvegarde et transmet le patrimoine de la radio et de la télévision françaises. Ses collections se sont élargies et diversifiées au fil du temps, notamment depuis la loi de 1992 qui étend le dépôt légal à l’audiovisuel. Ainsi, si le fonds originel est constitué des archives léguées par l’ORTF, puis par les chaînes publiques, ce sont désormais les programmes de plus de 180 chaînes qui sont captés en continu. Ce patrimoine audiovisuel s’enrichit chaque année d’un million d’heures d’émissions.

3Outre les enregistrements proprement dits, l’Institut est dépositaire d’archives écrites, versées par les diffuseurs, mais aussi par de nombreux professionnels de l’audiovisuel, qui documentent la fabrique des émissions. C’est ainsi que le producteur et animateur Bernard Pivot, par exemple, a versé à l’INA ses archives personnelles, comprenant des dossiers relatifs à ses émissions littéraires, y compris des courriers de téléspectateurs. Moins connue, Françoise Normand a pourtant été la cheville ouvrière de Lectures pour tous et a également légué ses dossiers de préparation. Mais on trouve aussi une importante collection d’études sur la médiatisation de la littérature, produite par différents services de l’ORTF ou par des organismes exerçant des fonctions de régulation, comme le CSA.

4Depuis 2009, afin de rendre compte de la convergence des médias – audiovisuels et numériques –, plus de 15 000 sites web liés à l’audiovisuel sont archivés au titre du dépôt légal du web. La spécificité de cette collecte est sa dimension multimédia : elle donne accès aux anciennes versions des sites archivés, mais aussi et surtout à des contenus vidéos, audio ou podcasts, que des collectes « artisanales » (telles que celles que des chercheurs peuvent réaliser à titre individuel) ne permettent pas de « rejouer », plusieurs années après leur mise en ligne, compte tenu de l’évolution des formats. En outre, elle s’accompagne d’une collecte de tweets, à partir de comptes et de mots-dièses toujours en lien avec le périmètre médiatique de l’Institut.

5Enfin, l’INA se voit confier par des tiers, particuliers ou institutions, la sauvegarde et la valorisation d’autres fonds qui viennent enrichir ses collections. Ainsi, en vertu de conventions passées avec les théâtres nationaux, l’INA met désormais en consultation les fonds de plusieurs institutions, parmi lesquelles le Théâtre national de Chaillot, les Amandiers, l’Odéon, la Colline, le TNP... Ces fonds comprennent des captations de nombreux spectacles, enregistrées avec les moyens techniques des institutions, des compléments à la programmation (entretiens, conférences et débats, conférences de presse), mais aussi parfois des captations de répétitions. Autre haut lieu de la littérature vivante, la Maison de la Poésie de la ville de Paris a confié à l’INA la valorisation des captations des rencontres entre les auteurs et le public et des événements qu’elle organise depuis 2013.

6Les chercheurs peuvent accéder à ces collections à partir de différents dispositifs qui leur sont dédiés – l’accès en ligne n’étant pas, à l’heure actuelle, autorisé par le cadre juridique qui protège les œuvres et les auteurs. Premièrement, au centre de consultation INA thèque à Paris, et dans les six délégations régionales de l’INA, des postes de consultations donnent accès à l’intégralité des collections ainsi qu’à des outils spécifiques (de constitution et de visualisation de corpus, mais aussi d’annotation), adaptés à des usages experts. Les documentalistes présents y proposent également une aide personnalisée à la recherche. Deuxièmement, des Postes de Consultation Multimédia (PCM) installés dans de grandes médiathèques, bibliothèques universitaires et cinémathèques, offrent une consultation autonome dans cinquante lieux en France métropolitaine et en outremer. Enfin, le catalogue des fonds en ligne (http://inatheque.ina.fr) donne accès aux notices documentaires : il permet aussi bien de préparer une séance de consultation que de travailler à partir des métadonnées descriptives des programmes (avec des entrées par titres, dates, invités ou encore genre d’émission…). Bien entendu, les chercheurs peuvent par ailleurs profiter des offres « grand public » de l’INA (ina.fr, l’offre sur abonnement « madelen » ou encore les dossiers pédagogiques de Lumni), qui proposent de revoir une sélection d’extraits et d’émissions, dont de nombreux monuments de la télévision littéraire.

7Le catalogue permet de cartographier de manière large le paysage de la littérature télévisée. Une première recherche sur la thématique « littérature » dans les fonds radio et TV fait remonter un résultat de plus de 200 000 notices. 40 % de ces documents – et c’est un résultat en soi, révélateur des logiques de programmation – sont des rediffusions. 45 % de ces émissions ont été diffusées à la radio, et 23 % sur France Culture. Plus inattendu peut-être : 28 % l’ont été sur les chaînes dites du câble-satellite (et aujourd’hui de la TNT), que le public n’associe peut-être pas spontanément à une programmation culturelle, comme Public Sénat ou C8… 52 % relèvent du genre du magazine littéraire et 30 % sont composées d’entretiens. On peut souligner que cette offre augmente, encore aujourd’hui, mais il s’agit d’une augmentation en trompe-l’œil : elle est corrélée non seulement à l’augmentation du volume horaire diffusé en général, et du nombre de chaînes, mais aussi à la multiplication de formats très courts. Si l’on s’en tient aux chaînes « historiques », il apparaît au contraire que le nombre d’émissions littéraires par chaîne diminue avec le temps.

8Ces ressources ont déjà nourri quelques travaux2 qui font désormais référence sur les liens entre médias et littérature, avec des entrées par émission (Apostrophes, Lectures pour tous, Un siècle d’écrivains…), par genre (la poésie…), ou encore par auteur. La prédilection des médias pour la figure de l’écrivain, en effet, n’est plus à démontrer, mais quelques chiffres permettent de prendre la mesure de la starification de certains d’entre eux. Ainsi, Jean d’Ormesson apparaît-il au générique de 1554 émissions. Autre exemple, Paul Claudel, pourtant décédé bien avant que la télévision ne devienne un média de masse, est au générique de plus de 900 émissions, dont de nombreuses « causeries » et des entretiens radiophoniques3. Il serait intéressant de mesurer la place des femmes dans ce palmarès – une recherche rapide révèle que Marguerite Duras apparaît au générique de 669 émissions, Colette, dans 526, encore loin devant Amélie Nothomb (398)…

9Anecdotiques ou révélateurs, ces chiffres suggèrent l’étendue de ce terrain de jeu – ou de fouille – pour le chercheur, et nous voudrions pour finir lui suggérer quelques pistes.

10Tout d’abord, même si les émissions-phares sont connues et étudiées, il faut souligner que la présence des auteurs et de la littérature est si multiforme que leur étude est loin d’être épuisée. La recherche est tributaire du travail d’indexation (c’est-à-dire de description du contenu des émissions), réalisé par les documentalistes de l’INA et qui est toujours en cours, y compris sur des fonds anciens. Des « pépites » font ainsi régulièrement surface, notamment dans les fonds radio, dont l’indexation était historiquement la plus incomplète (par rapport à la télévision). Ce travail de reprise d’antériorité sur les notices fait d’ailleurs partie intégrante du processus de patrimonialisation de certaines émissions, puisqu’il peut être initié soit dans le cadre de campagnes de traitement systématique (avec une entrée par collection, ou par personnalité), soit, de plus en plus, en fonction du potentiel de valorisation éditoriale ou commerciale des fonds. Les chercheurs peuvent en être les prescripteurs, en pointant eux-mêmes l’intérêt de telle collection pour la recherche, ou les bénéficiaires – ainsi, l’émission magazine Aujourd’hui Madame (1970-1982), dont le traitement vient d’être achevé, a-t-elle proposé quotidiennement pendant des années des chroniques, rubriques, ou numéros entiers consacrés à l’actualité éditoriale, qui n’ont encore fait l’objet d’aucune étude. Un récent hommage à Pierre de Boisdeffre, organisé à la Fondation Charles de Gaulle en décembre 2022, a été l’occasion de rappeler l’importance des émissions de radio et de télévision produites et présentées par ce grand commis de l’État, également critique littéraire, dans la médiation de la littérature, alors que sa mémoire a été quelque peu éclipsée par celle de personnalités comme Pierre Dumayet ou Bernard Pivot.

11La constitution de vastes corpus, la fouille dans les métadonnées et le recours à des outils de transcription automatique feront également émerger, dans les années qui viennent, d’autres types d’approches4. Toutefois, il faut espérer que ce passage par le texte favorise effectivement des analyses novatrices, appuyées sur les outils de traitement automatique du langage par exemple, et ne serve pas simplement de refuge, comme on le voit dans certains travaux d’étudiants trop heureux, peut-être, de revenir en terrain connu (ou « d’économiser » le temps de l’écoute), et qui évacuent totalement la question de la médiagénie des contenus étudiés – alors qu’on pourrait travailler, comme certains chercheurs le font, sur ce que la radio fait à l’œuvre, puisque ce média, contrairement à la télévision, laisse une large part à l’interprétation et à la lecture des œuvres littéraires. Des travaux sur la voix, la diction, ou encore le corps (de l’acteur ou de l’écrivain) resteront ainsi entièrement d’actualité.

12Enfin, les approches croisant les archives de la radio-télévision avec les ressources hors médias – archives écrites, archives web ou encore fonds tiers – restent encore trop rares. Tout récemment, la thèse de Marine Siguier5 sur la place de la littérature sur les plateformes (YouTube, Instagram, Tumblr) a mis en évidence la manière dont les formats audiovisuels sont reconfigurés (un peu) et réinventés (beaucoup) sur le web, au point de faire du livre et du lecteur des figures centrales de la culture numérique. La notoriété de certains auteurs, par ailleurs, doit aussi être étudiée de manière transmédiatique – pour ne prendre qu’un exemple, la présence de Virginie Despentes dans les médias passe autant par le podcast que par sa participation à des émissions radio-télévisées. Les études sur les adaptations et circulations transmédiatiques des œuvres, ou encore sur l’histoire des costumes, des mises en scènes et en images, pourraient croiser davantage les fonds des théâtres et ceux de la télévision, les archives audiovisuelles et les sources écrites.

13Il se dit, enfin, que l’on croise parfois à l’INA thèque des écrivains venus visionner des archives pour nourrir leur prochain roman – mais l’Institut protège leurs petits secrets et laisse aux usagers le plaisir de les reconnaître derrière leur écran… et aux lecteurs celui de deviner leurs sources d’inspiration.