Colloques en ligne

Mathieu Tremblin

Disobey Giant : envers et contre le capitalisme, devenir mème plutôt que de devenir même

Disobey Giant. Against capitalism,becoming a meme rather than becoming the same

1 En tant qu’artiste-chercheur intervenant dans l’espace urbain dans une démarche de recherche-création, j’enjoins toujours mes interlocuteurs à considérer le graffiti (le name writing graffiti) pour son amplitude de positionnements en actes. Si on serait tenté de classer intuitivement cette pratique créative du côté de l’anticapitalisme, elle se révèle souvent très compatible avec les valeurs capitalistes au prisme d’une expérience et d’une analyse de terrain. Malgré une écriture collective globalisée qui romantise son histoire, le graffiti en tant que moyen d’expression au sein de la société reste soumis à l’adage « medium is message » [le message, c’est le médium] du théoricien de la communication Marshall McLuhan ; et chaque praticien va dessiner un cheminement singulier mettant en tension deux réalités antagonistes — pro et anti capitalistes — qui influera sur la réception de ce qui est donné à voir.

Le graffiti compatible avec le capitalisme

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Couverture de la monographique du CAP

CAP. Crew Against People, Prague: Bigg Boss, 2007, 250 p.

2 Dans la monographie éponyme CAP. Crew Against People consacrée au crew de graffiti tchèque CAP1, rassemblant notamment Blez et Mosd, des writers influents en Europe dans les années 2010 pour leur style « anti-graffiti2 » très proche d’une peinture entre la figuration libre et l’art brut, l’artiste et curateur tchèque Václav Magid3 articule sa réflexion sur l’émergence du name writing aux États-Unis et sa diffusion mondiale autour de la fin de la modernité. Pour l’auteur, le name writing graffiti est le contre-point des mouvements de révolte qui égrènent les années 1960. Une sous-culture repliée sur soi et sur un rapport au local, qui succède au foisonnement de contre-cultures ambitionnant la transformation du monde de manière globale. Dans sa perspective, le writing (qu’il désigne de manière générale par « graffiti » dans son texte), est une exemplification de la postmodernité, entendue comme la fin des grands récits critiques de l’ordre mondial et symptomatique de la victoire du libéralisme où :

L’homme postmoderne n’a plus envie de participer à un projet d’envergure pour changer le monde. Cette tâche est laissée à l’initiative de la croissance économique ; le mieux que l’on puisse faire, c’est de se faire connaître dans un domaine particulier. Le graffiti est une activité qui endommage la propriété privée ou publique et, en tant que tel, est un ennemi de l’ordre capitaliste. Mais ce serait une erreur de l’interpréter pour cette raison comme une manifestation de révolte. Les graffitis ne sont pas une forme de critique des rapports de propriété ou même une représentation d’une attitude alternative ; au contraire, ils sont une démonstration de la simple présence. [...] Le graffiti n’est pas une critique (c’est-à-dire moderne), mais une réaction conservatrice à l’ordre capitaliste. Il n’aspire pas à remettre en cause les valeurs prédominantes, mais représente des valeurs beaucoup plus profondes et primitives. Sa psychologie est celle de la bande, de la famille ou de la tribu. Le graffiti est caractérisé par des attributs de société archaïque tels que la loyauté envers l’équipe, le quartier ou la ville à laquelle on appartient, la compétition et l’agonisme, l’attention et le soin apportés à l’histoire collective, préservée sous la forme d’une narration quasi-mythique [...], le culte de valeurs véritables et authentiques, un rapport de hiérarchie soigneusement entretenue, l’expression du respect aux figures d’autorités et l’humiliation des débutants. Cet ordre archaïque et patriarcal se manifeste également dans la composition essentiellement masculine de la scène du graffiti, avec des effets connexes tels que le sexisme et l’homophobie. (Blez 2007, p. 13-14)

3L’idée défendue par Magid est que ce qui sépare les contre-cultures des sous-cultures correspond à la dépolitisation des praticiens en regard de leur pratique ; c’est-à-dire un renoncement à transformer le monde dans son entièreté pour lui préférer des logiques d’existence micro-communautaires qui vont, pour se maintenir, s’accommoder du capitalisme si elles ne parviennent pas à s’en départir.

4Les pratiques créatives urbaines que sont le writing, le skateboard, l’urbex ou les free parties ont en elles-mêmes un caractère politique qui s’exprime dans leur existence, à la fois en présence et friction avec les espaces-temps urbains qu’elles investissent parce qu’elles viennent bousculer les modes d’organisation et de contrôle de la ville. Cette dépolitisation de la pensée en actes, contre l’action politique au corps défendant de ceux qui la font, favorise une perméabilité accrue et une certaine forme de vassalité avec la société de consommation. Ces sous-cultures, caractéristiques d’une atomisation des formes collectives historiques, ne cherchent pas à aller à l’encontre du système qui les oppresse, en le renversant ou en le transformant ; elles se bornent à « être contre le système » — cette « essence contre » devenant le prétexte, autosuffisant, de leur mise en œuvre plutôt que le point de départ d’une structuration pour la lutte. Elles existent par et pour elles-mêmes. Celles-ci sont omniprésentes dans les traces qu’elles laissent à dessein ou non, quitte à s’accommoder des logiques de marchandisation qui leur sont étrangères pour survivre et se diffuser — des logiques contradictoires de par la procuration consumériste qu’elles favorisent au détriment de l’expérience initiatique et do it yourself.

5Si la perspective que Václav Magid propose semble pour une part déceptive, ce n’est pas tant sur la question du graffiti en lui-même que pour sa propension à considérer la postmodernité de manière unilatéralement pessimiste : c’est-à-dire sans l’envisager comme un ressort créatif et critique s’exprimant sur un autre mode que celui de la modernité4. Sur la question du graffiti, son analyse met bien en lumière le distinguo à opérer entre les mouvements artistiques et les pratiques créatives urbaines, qui du fait de leur caractère social, ne peuvent échapper à un rapport instrumental et pragmatiste, là où l’art constituera à l’inverse comme l’affirmation d’un positionnement. Même envisagé comme un ennemi de l’ordre capitaliste par essence, le writing peut aussi embrasser et servir des logiques capitalistes, car il reconduit par sa structuration sociale un ordre duplice, qui peut autant être le point de départ d’une autoémancipation que d’une autoaliénation. Les attributs de société archaïque listés par l’auteur peuvent trouver chacun un antagoniste, si on déploie une lecture plus positive de la pratique. L’aspect tribal peut s’entendre autrement, sous la forme d’une construction de communauté et de communs5 — la solidarité et la générosité étant aussi des attributs effectifs chez les writers ; la compétition et l’agonisme peuvent être entendus comme des dépassements de soi. C’est d’ailleurs le sens du « get up » dans la culture graffiti et du « battle » (que je traduis par agonisme ici) dans la culture hip-hop, dont l’objet est autant une démonstration de style qu’un dépassement de ses propres limites ; le rapport à la mise en récit de soi et au récit collectif partagé correspond à une nécessité propre aux pratiques culturelles immatérielles, qui se maintiennent et se transmettent d’abord par le récit oral6 ; le culte de valeurs véritables et authentiques est quant à lui sans cesse remis en perspective des dynamiques locales peu connues qui constituent autant de variation et d’interprétation qui mettent en crise le récit globalisé7 du writing ; enfin, sur la composition masculine de la scène du graffiti, il convient de rappeler ici que l’absence d’occupation paritaire de l’espace public par les femmes trouve son origine dans des problématiques sociales, mais aussi architecturales puisque, comme l’analyse le chercheur en géographie Yves Raibaud8, la ville est faite par et pour des hommes. Si celle-ci se constitue en terrain de jeu — de garçons —, c’est par la reconduction des biais sexistes qui existent dans la société et auxquels le champ de l’art n’échappe d’ailleurs pas non plus9.

De la propagande tautologique à l’injonction consumériste

6 Considérant la prégnance du graffiti sur les pratiques artistiques urbaines, et en particulier celles qualifiées en Europe de picto-graffiti10 ou de postgraffiti11 à la fin des années 1990, cette ligne de crête entre anticapitalisme et consumérisme trouve une illustration particulière dans la démarche de l’artiste américain Shepard Fairey. Issu du milieu du skateboard, il développe à partir du début de 1989 ce qu’il désigne comme « propaganda12 » : une forme de propagande artistique, articulée à partir du détournement potache de la figure du catcheur et acteur français André René Roussimoff dit « André The Giant » (André Le Géant en français). Une première phase de sa campagne consiste en la dissémination d’autocollants André The Giant Has a Posse [André Le Géant a une équipe] (Marshall, 2012) figurant un unique visuel où le visage en contraste du catcheur est accompagné du slogan éponyme ; le style de l’autocollant renvoie alors autant à des formes de communication graphique vernaculaire (affichettes, petites annonces) qu’à des visuels issus de la culture skate ou punk. Puis, succède une seconde phase à partir du milieu des années 1990, où l’artiste revisite le visage du catcheur en le stylisant à la manière d’un pictogramme et en y adjoignant le slogan « Obey » [obéis] sur un bandeau rouge reprenant les codes visuels du travail de collages et de détournements de l’artiste américaine Barbara Kruger13. La troisième phase de développement de son vocabulaire plastique consiste en une déclinaison et une articulation du visage en pictogramme et en slogan absurde « Obey Giant » [obéis au géant] jusqu’à l’injonction seule « Obey ». Fairey publie en 1999 sur son site web un manifeste intitulé « A social and psychological explanation of Giant Has a Posse » [une explication sociale et psychologique du Géant a une équipe] daté de 1990 où il énonce les enjeux de sa campagne.

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Capture d’écran de l’archive du site web www.obeygiant.com de Shepard Fairey, « A social and psychological explanation of Giant Has a Posse », 1999.

La campagne d’autocollants Giant peut être expliquée comme une expérience de phénoménologie. Heidegger décrit la phénoménologie comme « le processus qui consiste à laisser les choses se manifester ». La phénoménologie tente de permettre aux gens de voir clairement quelque chose qui est juste devant leurs yeux, mais qui est obscurci ; des choses qui sont tellement considérées comme allant de soi qu’elles sont assourdies par une observation abstraite. Le premier objectif de la phénoménologie est de réveiller un sentiment d’émerveillement à propos de son environnement. L’autocollant Giant tente de stimuler la curiosité et d’amener les gens à s’interroger à la fois sur l’autocollant et sur leur relation avec leur environnement. Comme les gens ne sont pas habitués à voir des publicités ou de la propagande dont le produit ou le motif n’est pas évident, les rencontres fréquentes et inédites avec l’autocollant provoquent la réflexion et une frustration éventuelle, tout en revitalisant la perception et le souci du détail du spectateur. L’autocollant n’a pas de signification, mais existe seulement pour faire réagir les gens, pour les amener à contempler et à chercher un sens à l’autocollant. Comme Giant has a Posse n’a pas de signification réelle, les diverses réactions et interprétations de ceux qui le regardent reflètent leur personnalité et la nature de leur sensibilité. (Fairey, 1999)

7La campagne d’autocollants devient selon Fairey une manière d’amener les passants à jeter un œil nouveau sur leur environnement par la répétition d’un signe non fonctionnel qui vient s’insinuer de manière interstitielle entre ceux, injonctifs et informatifs, déjà présent dans la ville. En somme, ce que Shepard Fairey sous-entend quand il nous dit que l’autocollant n’a pas de signification, c’est que c’est le dialogue circonstanciel qui va s’instruire entre l’objet de la propagande, ses récepteurs et l’environnement urbain immédiat, et va produire une interprétation plus qu’un quelconque message ; l’autocollant est à assimiler, pour lui-même, comme un signe vide dans un espace visuel sursignifié — surchargé de signes. Signe vide : cette lecture s’inscrit dans la droite lignée de celle proposée par le philosophe français Jean Baudrillard à propos du tag dans la ville. On trouve une confirmation de cette conception du médium comme message dans le fait qu’il modifie rétroactivement son manifeste en remplaçant « Giant » par « Obey » dans la version actuelle du manifeste publié sur son site. Le fonctionnement premier de sa campagne de propaganda tient principalement au fait de contaminer l’écosystème visuel urbain par un signe, à la fois évanescent et persistant comme un filigrane.

8Le basculement début 2000 de la figure prétexte comique de André Le Géant vers une forme d’injonction autoritaire « Obey » s’accompagne d’une reprise progressive de répertoires iconographiques mélangeant la culture populaire américaine avec des références graphiques issues du champ politique, voire avec des formes de propagande autoritaire issues de régimes totalitaires, dont il s’inspire ou qu’il recycle parfois assez littéralement. La diffusion accrue de sa propaganda alliée à la richesse iconographique et à la propriété historiquement influente de sa matière première amène de nombreuses parodies (diffusées dans la rue ou en ligne) qui viennent témoigner du succès de sa campagne autant que souligner aussi une certaine ambiguïté de ses positionnements. Du constructivisme russe à la propagande soviétique, du pop art aux films de série B et Z, la galerie de portraits qu’il produit en affiches sérigraphiées entretient cette ambivalence puisqu’il fait se côtoyer souvent sur un même plan, Hope, le portrait du candidat à la présidence américaine Barack Obama avec d’autres figures reconnues du champ culturel américain comme l’artiste Andy Warhol, la chanteuse de Blondie, le rappeur Tupac Shakur ou issues de la contre-culture comme l’activiste afro-américaine et philosophe Angela Davis, le sous-commandant Marcos, militant altermondialiste mexicain zapatiste, ou le linguiste anarchiste libertaire Noam Chomsky, le président américain conservateur George W. Bush, le président américain conservateur Ronald Reagan, le président irakien Saddam Hussein, ou le président chinois Mao Zedong. L’alignement des personnalités issues de bords politiques et de contextes historiques étrangers les uns aux autres ramenés indifféremment au rang d’ambassadeur de sa campagne par l’apposition autoréférentielle de son slogan « Obey Giant » [obéis au géant] ou « Obey » [obéis] se voudrait une sorte de critique ontologique de l’idée même de propagande. La dimension cumulative de figures, de styles et de références peut donner l’impression d’un effet d’annulation des messages véhiculés autant que du discours de l’artiste. Et c’est peut-être à cet endroit que se situe le caractère expérimental de son travail, par le dénivellement de toutes les formes visuelles de propagande, quelles que soient leurs origines qui confinent in fine à une forme de pure communication, tautologique, jusqu’à rendre l’expérience visuelle nulle, voire vaine ou dispensable, comme une antimatière.

9Son succès planétaire s’établit en même temps que celui, progressif, de la marque de vêtements Obey Clothing14. Des premiers t-shirts comme produits dérivés de sa démarche artistique, à l’usage de son slogan « Obey » comme image de marque, Obey Clothing trouve un développement entrepreneurial propre à partir du milieu des années 2000 et devient une activité économique consubstantielle de sa pratique. Un transfert d’aura s’opère de Obeygiant.com, nom du site consacré à son travail, vers Obeyclothing.com, nom du site de sa marque de vêtements : doit-on obéir au Géant ou au vêtement ?

10Son expérience phénoménologique semble se conclure par une tenaille entre le « devenir mème » de son appropriationnisme initial et le « devenir même », correspondant à une uniformisation des contenus comme corrélation du libéralisme. Ce revirement jette un opprobre sur la démarche de l’artiste et transforme inéluctablement le regard que l’on porte sur sa production graphique : son travail n’est plus reconnu pour lui-même et devient accessoire puisque ses consommateurs vont jusqu’à ignorer la démarche artistique qui le fonde. L’art de Shepard Fairey, disparu derrière le succès commercial de la marque Obey Clothing, donne l’impression que le travail artistique est — ou aurait toujours été — par un jeu d’inversion typiquement spectaculaire où « le vrai est un moment du faux » (Debord 1968, p. 19) une campagne publicitaire déguisée, une gigantesque opération de marketing de contrebande, consistant à assimiler, digérer et recracher, neutraliser, tous les codes visuels de l’endoctrinement et de la propagande afin de servir un objectif secret : rendre l’autoritarisme cool en vendant des t-shirts à motif.

11Le phénomène d’attraction-répulsion envers la société de consommation et la capacité du capitalisme à assimiler toutes les formes de résistance s’illustre à merveille dans l’évolution et la diffusion du travail de Shepard Fairey. Un des ressorts sous-jacents de la campagne Obey Giant mérite d’être éclairci pour saisir la manière dont cette articulation entre culture et contre-culture se joue encore à un autre niveau. Le slogan « Obey » glissant d’un registre potache à un autre plus sérieux eu égard de cette notion de propaganda revendiquée par l’artiste. Ce dernier provient du film de science-fiction They Live ! réalisé par John Carpenter en 1988. L’apparition de ce slogan sur un panneau publicitaire correspond dans le film au moment de la révélation d’une imposture, lorsque John Nada, le personnage principal du film, regarde le monde à travers une paire de lunettes spéciales. Dans The Pervert Guide to Ideology, un documentaire de la réalisatrice anglaise Sophie Fiennes écrit et interprété par le philosophe et psychanalyste slovène Slavoj Žižek, Fiennes utilise des scènes de films hollywoodiens dans lesquels elle vient insérer Žižek en commentateur, soit par le biais d’une incrustation dans le plan du film, soit par un plan de coupe avec un astucieux raccord reconstituant le décor ou l’ambiance de la scène. Planté au milieu de deux scènes du film de Carpenter qui ouvre le documentaire, Žižek analyse les tenants et aboutissants du scénario de They Live ! et détaille ce de quoi cette imposture est le nom :

They Live ! de 1988 [...] raconte l’histoire de John Nada. « Nada » est bien sûr un mot espagnol qui signifie « rien ». Un sujet pur, dépourvu de tout contenu substantiel. Un travailleur sans-abri de Los Angeles [...] trouve une étrange boîte de lunettes de soleil. Et lorsqu’il en met une, en se promenant dans les rues de L.A., [...] ces lunettes lui permettent de voir le vrai message qui se cache en dessous : toute la propagande, les paillettes publicitaires, les affiches, etc. Vous voyez un grand panneau publicitaire qui vous dit que vous avez les vacances de votre vie et lorsque vous mettez les lunettes, vous voyez juste sur le fond blanc une inscription grise. [...] Nous vivons, nous dit-on, dans une société post-idéologique. [...] Quand vous mettez les lunettes, vous voyez la dictature en démocratie. C’est l’ordre invisible qui soutient votre liberté apparente. [...] Selon notre bon sens, nous pensons que l’idéologie est quelque chose de flou, qui brouille notre vue immédiate. L’idéologie devrait être des lunettes qui déforment notre vue, et la critique de l’idéologie devrait être à l’opposé, comme si vous enleviez les lunettes pour pouvoir enfin voir la réalité des choses. C’est précisément cela, et ici le pessimisme du film, de They Live !, est bien justifié ; c’est précisément l’illusion ultime : l’idéologie ne s’impose pas simplement à nous-mêmes. L’idéologie est notre relation spontanée avec notre monde social. D’une certaine manière, nous apprécions notre idéologie. [...] Sortir de l’idéologie — ça fait mal. C’est une expérience douloureuse. (Fiennes, 2012)

12Si s’extraire de l’idéologie se révèle douloureux, c’est parce que l’effort de déconstruction nécessaire pour aller à l’encontre des forces du désir que nourrit et véhicule notre société est soumis au joug du capitalisme. Il nous demande de refuser la médiation de ce désir, dans nos relations avec l’espace quotidien, recouvert par la société de consommation, mais aussi avec nos semblables, dans l’espace social, considérant que ceux-ci ne sont probablement pas prêts à enlever les lunettes idéologiques qui leur permettent de rester dans un état de dissonance cognitive et de soutenir la violence inégalitaire et oppressive inhérente au système capitaliste globalisé. Plus loin dans le documentaire, Žižek revient sur cette question du lien entre violence et consumérisme après avoir fait un détour filmique sur les liens entre principe de plaisir et principe de réalité. Prenant comme appui des images d’émeutes au Royaume-Uni d’août 2011, il déroule la pensée accidentelle du Premier ministre anglais d’alors, David Cameron, lorsqu’il condamne, non pas les violences des émeutiers envers les personnes, mais le fait que ces derniers brûlent des magasins pour s’enfuir sans payer avec les marchandises ; cette sorte de pillage ne peut selon lui trouver aucune justification idéologique :

De façon très limitée, Cameron avait raison, il n’y avait aucune justification idéologique. [Ce pillage] est la réaction de gens qui sont totalement pris dans l’idéologie dominante, mais qui n’ont aucun moyen de réaliser ce que l’idéologie exige d’eux. C’est donc une sorte de comportement sauvage dans cet espace idéologique de la consommation. Même si nous avons affaire à une brutalité apparemment totalement non idéologique — « je veux juste brûler le bâtiment pour avoir des objets » — il est le résultat d’une constellation sociale et idéologique très spécifique, où la noble idéologie qui lutte pour la justice, l’égalité, etc. se désintègre. Si la seule idéologie qui fonctionne est le consumérisme pur alors il n’est donc pas étonnant d’en arriver à cette forme de protestation. (Fiennes, 2012)

13L’analyse de Žižek rejoint celle de Václav Magid : si le consumérisme pur est la seule idéologie fonctionnelle, c’est parce qu’il est tautologique, en ce qu’il reconduit la satisfaction d’un désir illimité, de fait insatisfaisable. La solution pour y contrevenir, c’est la destruction pure et simple du capitalisme comme système ; en ceci l’approche frontale des writers qui s’attaquent à la propriété publique et privée est vaine, elle est facilement récupérée et participe, souvent à son corps défendant, au maintien des logiques de contrôle et de surveillance voire à leur extension. De la même façon, abordant l’idéologie sous l’angle de sa possible annulation par la surenchère, la seule chose à laquelle parvient Shepard Fairey, c’est à mettre en œuvre un consumérisme idéalisé qui ne dit pas son nom, à réaliser le pessimisme du film de Carpenter. Ce renversement de la propaganda de l’artiste vers une captation d’attention à des fins marchandes — où son objet, un signe vide, devient une marque — n’a donc rien de paradoxal en ceci qu’elle illustre bien comment le médium est le message ; comment le picto-graffiti, reprenant les mécaniques de publicité virale, peut basculer indifféremment de l’autopromotion d’une persona à la publicité pour une marque — le personal branding étant une des clés du capitalisme avancé.

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Mathieu Tremblin, Tautological Propaganda, 2015, San Francisco (US), slogans, typographie, impression numérique sur vêtements, dimensions variables, vidéo HD, couleur, son, 16 :9, 14 s

14Dans le sillage des diverses appropriations que son univers visuel génère, j’amorce la série Tautological Propaganda, à l’occasion de l’exposition « F.A.T. Gold15 » en 2015 à San Francisco avec le collectif Free Art and Technology dont je fais partie. Cette série a pour objet de mettre en évidence à la fois la dérive ambivalente du travail de Fairey, et de prolonger la fiction de John Carpenter à travers une lecture positiviste formulée par Slavoj Žižek, dans laquelle les passants ont enlevé les lunettes idéologiques dont la campagne Obey relève, qu’elle soit indifféremment artistique ou marchande. Tautological Propaganda est une série de vêtements reprenant l’esthétique dépouillée des divers supports de communication présents dans la fiction et dont le port donne lieu à des performances spontanées. Elle est complétée par une collection de portraits détournés, réalisés à partir de photographies partagées par les clients d’Obey Clothing sur les médias sociaux, sur lesquels je viens appliquer le filtre des lunettes de soleil du film They Live ! Les images qui en découlent font apparaître en négatif vingt messages autoritaires tirés de la fiction dont les modèles deviennent les étendards involontaires en se mettant en scène pour adhérer au récit global de l’artiste autant que de la marque :

Obey [Obéis] ; Doubt Humanity [Doute de l’humanité] ; Work 8 Hours Sleep 8 Hours Play 8 Hours [Travaille 8 heures Dors 8 heures Joue 8 heures] ; Do Not Question Authority [Ne conteste pas l’autorité] ; Marry and Reproduce [Marie-toi et reproduis-toi] ; Buy [Achète] ; No Ideas [Pas d’idée] ; Submit [Soumets-toi] ; Honor Apathy [Honore l’apathie] ; Consume [Consomme] ; This is your God [C’est ton Dieu] ; Obey and Conform [Obéis et conforme-toi] ; Stay Asleep [Reste endormi] ; No Independent Thought [Pas de pensée indépendante] ; Cooperate [Coopère] ; Follow [Suis] ; No Imagination [Pas d’imagination] ; Obey Authority [Obéis à l’autorité] ; Surrender [Rends-toi] ; Watch T.V. [Regarde la télévision].

15Cette propagande tautologique regroupe une vingtaine d’images diffusées en ligne sur les médias sociaux via le hashtag « #obeyclothing » et dans le même temps affichées dans la ville comme une campagne de street marketing — à l’instar des premières campagnes artistiques de l’artiste.

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Mathieu Tremblin, Tautological Propaganda Campaign, 2019, Cologne (DE), palissade, impression numérique sur papier dos bleu, colle, 300 × 160 cm

16La série se prolonge avec autre affiche Tautological Propaganda Campaign « Liberté Égalité Fraternité », réalisée fin novembre 2019 dans le sillage du premier anniversaire du mouvement des gilets jaunes. Elle est diffusée en ligne en téléchargement libre16 et dans l’espace public par voie de collage ou d’adbusting. Cette affiche a pour objet de rendre lisible d’une part la filiation entre le film de Carpenter et sa reprise par Fairey sous forme de slogan iconique et de marque, d’autre part l’appropriation symbolique qui se cristallise autour de son travail artistique en perspective de certaines collusions avec le pouvoir politique.

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Mathieu Tremblin, Tautological Propaganda Campaign « Liberté Égalité Fraternité », 2021, Besançon (FR), image numérique, retouche, impression numérique sur papier affiche, clé JCDecaux, 120 × 180 cm

17L’image détournée utilisée comme point de départ est tirée d’une allocution télévisée du président de la République française Emmanuel Macron17, diffusée le 15 octobre 2017. On y voit le président attablé dans un bureau du Palais de l’Élysée. En arrière-plan, dans le coin supérieur gauche du cadre se trouve une peinture de Shepard Fairey intitulée Liberté Égalité Fraternité. Cette affiche représente un visage de femme orné de fleurs d’hibiscus et inscrit dans des cercles concentriques dont certains sont décorés de motifs géométriques. Elle est réalisée par l’artiste comme un plaidoyer en faveur de la liberté18 et est diffusée sur son site web en réponse aux attentats du 13 novembre 2015 survenus à Paris. Elle constitue une actualisation de l’affiche Make Art Not War [faites de l’art, pas la guerre] datée de 2003 qu’il a réalisée pendant la guerre d’Irak pour promouvoir la paix dans le monde (et qu’il a rééditée plusieurs fois par la suite en réponse à d’autres conflits armés) dont la teinte a viré du rouge au bleu blanc rouge et où le slogan originel a été remplacé par la devise républicaine française.

18Cette reprise atteste d’une considération de l’artiste pour l’économie de l’attention, propre au web, et de l’optimisation de son contenu artistique aux usages numériques accrus et à la diffusion virale immédiate qu’ils favorisent. Mais elle met aussi en lumière la capacité de l’artiste à se saisir de sujets d’actualité pour faire exister son travail au-delà des espaces urbains ou artistiques, voire à manifester une certaine accointance avec des personnalités politiques pour promouvoir sa propre campagne. De cette façon, il réalise fin 2007 un portrait en rouge et bleu du futur président des États-Unis Barack Obama à l’invitation du publicitaire Yosi Sergant. Le portrait, intitulé Hope en soutien à sa campagne présidentielle, est décliné sous forme de peintures murales. Il sera ensuite repris pour la une de plusieurs magazines et vaudra à l’artiste une reconnaissance internationale. L’œuvre Liberté Égalité Fraternité a été réalisée en peinture murale19 à Paris sur invitation de la galerie Itinerrance, puis sous forme de tableau acheté à Shepard Fairey au printemps 2017 par Emmanuel Macron, alors candidat. Elle aura été accrochée dans son quartier général de campagne avant de rejoindre le bureau du Palais de l’Élysée suite à son élection à la présidence20. La présence répétée de l’œuvre en arrière-plan des allocutions de Macron l’a popularisé au point d’associer celle-ci à l’image du président, dressant de la sorte une filiation avec l’affiche Hope figurant Barack Obama — attestant une fois encore la relation instrumentale que l’artiste entretient avec le politique.

Luttes sociales et autoritarisme graphique

19 À l’occasion de l’acte X des gilets jaunes le 19 janvier 2019, on trouve en tête de cortège plusieurs pancartes sur lesquelles ont été collées des affiches détournées de la figure de Marianne créée par Fairey (Garro, 2019). Son œil crevé et la devise républicaine transformée en « Liberté Égalité Flashball », le visuel s’adresse directement au président Macron et pointe les violences policières survenues de manière répétée lors des manifestations spontanées depuis le 17 novembre 2018 par le mouvement social.

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Alter1fo, « 20 Janvier 2019 — Un jour, une photo “Liberté, Égalité, Flashball” », 2019

20Le 14 décembre 2020, le média citoyen en ligne Hiya ! relaie une action artistique consistant en une intervention graphique dans la nuit du 13 décembre sur la peinture murale Liberté Égalité Fraternité de Shepard Fairey. Des larmes rouges sont réalisées sur le visage de Marianne, de larges traits chromés viennent barrer la devise républicaine. Sur le flan de l’escalier en colimaçon qui jouxte le bâtiment, un hashtag #MariannePleure est écrit au fat cap à la peinture aérosol rouge tout comme le nom du média en ligne indépendant. Le geste répond de manière équivoque à une invitation du mouvement citoyen Concorde relayée par le fondateur de Hiya ! Abdallah Slaiman une semaine auparavant : il s’agit de « se mobiliser pour redonner tout leur sens aux valeurs portées par “Marianne” » et de résister par la création : « Artiste, engage-toi ! Crée et partage tes créations avec le #mariannepleure ». (Hiya ! Rédaction, 2020b)

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Hardi Jules (réal.), Graffiti vandal. Les démarches invisibles, France, Jules Hardi, 2021, 64 min

21Dans un second article publié le lendemain, le média fait état de la réaction de Shepard Fairey : « Si certains sont en désaccord avec le détournement de l’œuvre Liberté Égalité Fraternité parce qu’ils ne sont pas d’accord avec les auteurs, alors ma réponse est claire : je ne suis pas prêt à la leur donner et vous ne devriez pas l’être non plus » (Hiya ! Rédaction, 2020a). Le nom du crew anonyme est révélé, LREM-NRV — jeu de mots avec le parti du gouvernement LREM pour La République en marche, auquel est adjoint « NRV » pour « énervé » —, partagé sur YouTube avec une vidéo documentant l’intervention accompagnée d’un manifeste déclamé en voix off sur une ritournelle de rap hardcore qui s’ouvre de la façon suivante : « Ouvrez donc les yeux, on le voit comme une larme rouge au milieu de la peinture : la république est morte » (LREM-NRV 2020). Le message graphique tout comme le texte font référence à l’usage de la violence policière à l’encontre des manifestants que l’on retrouve en plan de coupe de l’action documentée dans la vidéo. Le fil de la conversation mémétique reprend tandis que le collectif LREM-NRV prolonge le geste de détournement anonyme des gilets jaunes. Cette fois Marianne pleure du sang, les valeurs républicaines sont enterrées : « Donnez donc en pâture aux vers de terre votre liberté sous surveillance, votre égalité à taux variable et votre solidarité d’entre bourgeois » insiste le collectif.

22Le 13 décembre 2021, Hiya ! publie sur son compte Instagram21 des images de la restauration de la fresque de Shepard Fairey opérée en février 2021 (Lescurieux, 2021). Le slogan de l’artiste est repris en commentaire : « Actions speak louder than words » [L’action vaut plus que les mots], le nom de l’opération de restauration. La peinture murale est retournée à son état originel à un détail près : l’artiste américain a fait ajouter sur la joue de Marianne une petite larme, désormais bleue, rappel des larmes rouges peintes à l’aérosol par le collectif LREM-NRV. La restauration est accompagnée d’un argumentaire vidéo qui joue sur l’émotion en mêlant des images de son œuvre à celles de manifestations aux États-Unis. C’est l’expression d’un droit de réponse, le montage et la structure de la vidéo se calquant sur celle de LREM-NRV. En lieu et place de manifeste, Shepard Fairey nous raconte l’histoire de l’œuvre et nous explique le nouveau discours qu’elle embrasse en introduisant la production d’affiches en sérigraphie du nouveau visuel — sur les côtés duquel des bandes noires avec un texte blanc « L’action vaut plus que les mots » ont été apposées — dont les bénéfices seront reversés à l’association caritative Les Restos du Cœur :

J’ai créé cette image à l’origine en réponse aux attaques du Bataclan et de Paris du 13 novembre 2015. Liberté, égalité, fraternité. J’aime la devise de la France. Cela incarne très bien ce que doivent être les valeurs des sociétés démocratiques. L’image, le tableau n’avait aucun parti pris politique. J’ai vu ce qui est arrivé sur mon mur dans le 13e arrondissement. J’ai lu les raisons qui se cachent derrière cet acte. Je suis du côté des gens qui s’opposent aux injustices. Particulièrement quand il s’agit des droits de l’Homme. Je crois beaucoup dans le fait d’utiliser mon art pas seulement pour mettre en lumière des situations, mais pour aider les gens sur le terrain. Nous devons faire de notre mieux pour façonner les choses. Ne laisser personne prendre le monopole. Nous avons tous une part de travail à faire pour créer le monde que l’on souhaite. J’ai ajouté une larme sur Marianne. Tous les bénéfices de cette nouvelle édition limitée iront à ceux qui sont dans le besoin. L’action est plus importante que les mots. L’action vaut plus que les mots. (Pluquet 2021)

23Le clip se termine sur une image de l’estampe à laquelle est juxtaposé le hashtag #MariannePleure, une manière stratégique pour l’artiste de s’associer au cadre de revendications de ceux qui ont détourné son œuvre.

24Hiya ! relaie aussi la déclaration de LREM-NRV qui commente en contrepoint la restauration et ses réserves sur la reprise de la larme : « le sang du peuple est bien rouge #1312 ». Du rouge au bleu, c’est toute une symbolique et un engagement qui s’estompe, la peinture murale reflète à la fois une volonté d’intégration des revendications citoyennes, autant qu’elle révèle le positionnement artistique de Fairey, opportuniste parce qu’apolitique. La larme bleue « consensuelle » continue de servir le récit de sa peinture murale en mémoire des victimes des attentats de 2015 à Paris, tout en faisant un clin d’œil astucieux à un détournement inscrit dans le cadre d’une lutte sociale. Mais elle devient surtout le prétexte à un geste de solidarité via l’édition d’une estampe : Fairey entend la souffrance, mais opère une déflexion d’attention. Il n’adresse pas les problèmes systémiques qui en sont la cause en se rangeant du côté du discours des opprimés, il invite à verser la larme de l’empathie, en attachant une dimension caritative au service de la création d’une nouvelle image, objet d’une négociation morale plutôt que d’une revendication politique. Certains usagers de la plateforme YouTube témoignent de leur scepticisme sur ce retournement en commentaire :

Triste récupération, le détournement initial a été vidé de son sens. Détourner un détournement, c’est faire régner le statu quo. Et soutenir les restos du cœur est une bonne chose, mais c’est mettre un pansement sur une fracture. L’idéal anticapitaliste d’Obey est une posture qui fait vendre. Ce sont des indignations de façade. Quel dommage... (@Polosuzou) [...] Il parle pour ne rien dire, donc en effet il peut considérer que les actes valent mieux que les mots - que ses mots à lui, en tout cas. Malheureusement, ses actes ne valent pas mieux. De l’art officiel, acheté, froid et sans vie, avec un peu de charité pour que l’imposture continue. Pas étonnant que Macron ait choisi sa Marianne de pacotille, au style très années pré-fascismes, pour son bureau. (@Alina-Reyes)

25Comme pour la Marianne éborgnée des gilets jaunes, le groupe LREM-NRV s’approprie le visuel de l’artiste comme symbole du pouvoir étatique et du ripolinage communicationnel auquel se livre le gouvernement Macron, qui refuse de reconnaître des violences policières pourtant autant documentées par des collectifs de citoyens rassemblés autour de la figure du journaliste David Dufresne22 que de la Ligue des droits de l’Homme23. L’éborgnement et les larmes de sang, la modification de la devise républicaine en « Liberté Égalité Flashball » et le caviardage du texte sur la fresque de Fairey viennent repolitiser l’œuvre, en la faisant basculer d’un statut de mémorial à celui d’un outil de lutte sociale. Le retournement symbolique que les gilets jaunes et LREM-NRV opèrent montre bien comment l’usage social du travail de Shepard Fairey — une appropriation consistant à utiliser son vocabulaire plastique comme matériau à l’instar d’un template de mème24 — est susceptible de le charger d’un discours et d’un positionnement qui restent pourtant superficiels dans la démarche de l’artiste.

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Autocollant « Love ! » par Supakat, 5 mai 2022, Strasbourg (FR).

Photographie : Mathieu Tremblin

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Autocollant anonyme « Bboy », 1 juin 2022, Nantes (FR).

Photographie : Mathieu Tremblin

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Autocollant anonyme « Obesy », 8 août 2022, Lyon (FR).

Photographie : Mathieu Tremblin

26Fairey préfère affirmer le remix continuel des iconographies politiques et contre-culturelles, n’en conservant que la sémantique après les avoir vidées de leur substance sémiotique dans l’opération. Sa posture relève d’une certaine political correctness américaine qui serait poussée à l’extrême, s’apparentant à l’axiome central libertarien, le principe de non-agression, dont l’horizon est la promotion d’un marché sans entraves au nom de la liberté individuelle. À se refuser à prendre position de peur d’offenser qui que ce soit ; à ne pas se saisir pleinement de la dimension conversationnelle de son travail existant déjà dans le champ social ; en préférant la liberté artistique aux usages sociaux de l’art, son œuvre deviendrait un matériau propice à être vecteur de toutes les formes d’idéologies et sensibilités politiques. Pendant la campagne présidentielle d’avril 2022, la reprise de ses codes graphiques par des groupes d’extrême droite en est la triste manifestation : sur les murs de France, la figure du candidat à la présidentielle américaine Obama est remplacée par le buste stylisé de l’essayiste fasciste Charles Maurras soutien du régime de Vichy et penseur influent l’extrême droite française.

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Affiche fasciste « Maurras 2022 » de l’Action française caviardée par des autocollants et graffitis antifascistes, 15 mai 2021, Nancy (FR).

Photographie : Mathieu Tremblin