Colloques en ligne

Charles Coustille

Le foot, un sport d’incultes

Soccer: a Sport for the Incultes

1Il va de soi que les incultes ne le sont pas. Leur culture se fonde sur un habile mélange de références savantes et populaires, où le football tient une place non négligeable. En témoigne le numéro spécial consacré à la Coupe du monde : paru en avril 2006 et vendu à 2500 exemplaires, il anticipe les résultats de la compétition, alors que les premiers matchs se tenaient en juin. L’exactitude du pronostic est impressionnante, les incultes ayant réussi à deviner que la France et l’Italie s’affronteraient en finale, et que l’Italie l’emporterait seulement après la fin du temps règlementaire (l’anticipation est d’autant plus remarquable qu’avant le début de la compétition, les bookmakers faisaient de l’Italie la cinquième favorite à 9 contre 1, la France était sixième à 19 contre 1). Les diverses contributions de ce numéro de revue réagissent à ce qui s’est virtuellement passé : certains auteurs commentent des matchs en fonction du score annoncé dans les pronostics, d’autres s’en tiennent à de brèves remarques sur le tableau de la compétition et proposent des réflexions plus générales sur le football.

2Dans cet article, j’aimerais mettre en avant la singularité du rapport au football des incultes. Les œuvres littéraires sur le football mettent généralement le sport au service de la littérature. Le jeu est alors pris, si n’est comme un prétexte, comme un objet au service d’une ambition littéraire. Quant aux écritures journalistiques les plus ambitieuses, elles se cantonnent principalement aux résultats et à l’actualité sportive ; la littérature n’est pas un enjeu direct. En revanche, pour les incultes, culture littéraire et culture footballistique interagissent horizontalement. Il ne s’agit pas de dire qu’individuellement, pour chacun des membres du collectif, la littérature et le football sont également « importants » ou « de même niveau » ou « aussi intéressants l’un que l’autre » ; simplement, les deux domaines culturels sont appréhendés de manière non hiérarchisée. À la proposition littéraire, que je tâcherai de décrire, s’ajoute un propos sur le football, qui mérite d’être compris. Sur la quatrième de couverture du hors-série, l’intitulé de « Revue littéraire et philosophique footballistique » doit être pris avec le plus grand sérieux. Ou, pour reprendre les mots d’Arno Bertina : « Canto et Rimbaud même combat » (p. 188).

3Il est possible d’aller plus loin : dans ce numéro, non seulement les deux domaines sont considérés comme également respectables, mais, en plus, un rapport d’analogie s’établit entre eux ; pas entre la littérature et le football tels qu’ils sont, plutôt tels que les incultes aimeraient qu’ils soient. Progressivement, des points d’achoppement apparaissent, une vision commune se dégage. Ce n’est pas un hasard si le texte introductif de Maylis de Kerangal porte sur un terme tout aussi littéraire que footballistique : le « commentaire » (loué lorsqu’il s’ouvre au « multiple » et amplifie la beauté du jeu ; honni lorsqu’il est « normé » et l’appauvrit). Dans cette introduction, le football n’est pas une métaphore de la littérature, et l’inverse n’est pas plus exact : se dégage plutôt l’idée qu’une bonne appréhension de ce sport est comparable à une bonne appréhension des écrits littéraires.

4L’existence de cette analogie sera démontrée à partir de onze caractéristiques, qui me sont apparues à la lecture du numéro de 2006 ; elles s’appliquent aussi bien à un domaine qu’à l’autre. Leur énumération se fera en suivant une composition en 4-3-3 dans laquelle chaque joueur porte le nom d’une des caractéristiques.

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5Avant de présenter les joueurs, notons que le premier point commun de cette relation à la littérature et au football, celui qui est mis en avant par l’entraîneur de l’équipe virtuelle, c’est bien sûr l’importance du « collectif ». Le « collectif Inculte » est un agencement à géométrie variable d’individus reliés davantage par des préférences et des affinités intellectuelles que par de grands principes. Dans cette équipe, si les dissensions existent, les joueurs sont globalement solidaires.

Gardien, n° 1 : Amateur

6Le Inculte Football Club n’a pas vocation à jouer la Ligue des champions ou la Coupe du monde, non que son niveau soit trop faible, mais parce qu’il s’agit d’une équipe d’amateurs. L’amateurisme est une valeur revendiquée par le collectif et sa défense s’organise sous différentes formes. Tout d’abord, la Fédération internationale, la FIFA, est attaquée à diverses reprises pour son rapport mercantile et intéressé au sport :  François Bégaudeau se moque de son Président, Sepp Blatter, en lui faisant tenir des propos tout aussi vils que prémonitoires au regard des inculpations judiciaires dont il est désormais l’objet (p. 89) ; le narrateur du texte de Xavier de la Porte est aussi un membre de cette organisation, citoyen paraguayen résidant en Suisse, il ira jusqu’à proposer l’assassinat de ceux qui commettent des fautes de main et dénaturent le jeu. L’« altermondial » imaginé par Mathieu Larnaudie a également pris la FIFA pour cible : dans « Une autre Coupe du monde est-elle possible ? », la critique du monde professionnel ne va pas sans l’hypothèse d’une contre-organisation, résolument amatrice, même si la réforme est pensée sur un mode utopique et burlesque qui empêche de prendre les propositions au premier degré.

7Quant à Jeanne Rivoire, dans « Vincent, Francesco, Paul et les autres », elle imagine que Francesco Totti regarde Vincent, François, Paul et les autres de Claude Sautet ; l’attaquant italien décrit le match entre amis qui se joue dans les premières minutes du film. Il explique ensuite que son propre retour de forme après une saison catastrophique ne vient pas d’une minutieuse préparation physique, mais bien de la compréhension du caractère universel du football : un match dans un jardin est susceptible de provoquer des émotions comparables à celles des plus grandes compétitions, et c’est cette beauté du sport amateur qui a revigoré le professionnel.

8En définitive, le collectif considère le spectateur comme un joueur potentiel, ou c’est la même chose, le lecteur comme un producteur en puissance, dans une conception de l’amateurisme qui se rapprocherait de celle de Roland Barthes. En pensant à ce gardien de but amateur, on pourrait alors dire aux incultes la même chose que Nicolas Sarkozy à Julia Kristeva lorsqu’il lui remit la légion d’honneur : « On reconnaît dans votre travail l’influence de Roland Barthez. »

DÉFENSE

Arrière-droit, n° 2 : Sans-Style

9Dans une équipe d’amateurs, l’arrière-droit n’a pas la réputation d’être le joueur le plus élégant. Il est peu probable qu’il se pose la question du style de jeu. Et c’est ainsi qu’il faut comprendre « sans style » : c’est-à-dire qui ne fait pas du style, au sens emphatique du terme, une priorité — ce qui n’exclut pas la possibilité d’une manière ou d’un ton spécifique.

10En premier lieu, il est essentiel pour les incultes de ne pas se laisser impressionner par le « beau style ». Se prêtant à l’exercice d’anticipation, le journaliste Pierre Ménès est loin de s’offusquer de la victoire finale d’une Italie défensive et opportuniste : « ça prouve aussi que l’on peut gagner les plus grandes compétitions au monde avec des styles de jeu très différents. C’est la diversité du foot, qui fait son intérêt et sa beauté » (p. 61). Cette diversité, nous la retrouvons au sein d’Inculte bien sûr, et au sein même du numéro, où même si le ton général est plutôt comique, on trouve aussi des analyses sociologiques sérieuses ou résolument critiques à l’égard du football.

11Une question stylistique se pose tout au long du numéro : comment réconcilier le beau style avec une manière efficace ? Comment réconcilier Ronaldinho, l’aventurier des formes, l’attaquant plein de panache, et Lippi, l’inventeur du « méta-catenaccio », un système de jeu ultra-défensif paralysant l’adversaire ? Dans un texte de Mathieu Larnaudie, « une poignée de main unit [c]es deux créateurs » (p. 33).  Ce geste fictionnel peut être perçu comme une orientation directrice de la revue : créer une unité par la rencontre harmonieuse de styles opposés plutôt que d’unifier les manières en présence par un style commun.

Arrière-gauche, n° 3, Populaire-Érudit

12Les incultes, dont le jeu penche résolument à gauche, ont un rapport très fort à la culture populaire, et ce rapport se caractérise en premier lieu par son érudition. Populaire-Érudit et Amateur sont complémentaires en ce qu’ils montrent que le rapport non professionnel à une sous-culture ou à un champ marginal donné n’est pas un gage de tranquillité, au contraire. Plus l’objet est impur au sens de la culture légitime, plus le travail d’appropriation sera exigeant. Il faudra connaître les majores et les minores (le célébrissime Zidane et le défenseur gauche Franck Jurietti, à la carrière moins brillante mais qui fascine les connaisseurs par son nombre de cartons rouges reçus), de même qu’il faudra s’intéresser aux genres inférieurs sans préjugés (notamment au journalisme sportif). Les innombrables références à des noms de joueurs et la connaissance des subtilités de stratégie permettront de se reconnaître entre pairs. Cette recherche d’un certain bon goût, en décalage avec celui de la masse, apparaît par exemple dans le résumé de la rencontre entre le Brésil et l’Italie lors de laquelle le « méta-catenaccio » a entravé le beau jeu des Brésiliens : « Le niveau de la rencontre fut, pour la masse philistine du public, d’une médiocrité étonnante. Pour l’esthète, il fut admirable » (p. 32). C’est précisément cette touche esthète, distinguée, qu’apportera l’arrière-gauche au jeu des incultes.

Arrière central, n° 4, Viril

13On attend d’un arrière central qu’il bloque les attaques adverses. Celui du Inculte FC est-il forcément un gros dur, un type « mettant la tête là où on ne mettrait pas les pieds », comme le voudrait le cliché pour un tel poste ? Cela impliquerait de passer outre l’éloge de la « mélangeté » de Nicolas Richard dans son article sur le football féminin anglais à la fin du xixe siècle (p. 165). Et ce serait ignorer la présence de pas moins de six femmes dans le sommaire du numéro, de même que le livre dirigé par deux incultes, Maylis de Kerangal et Joy Sorman, intitulé Femmes et Sport (Hélium, 2009), qui met en valeur les exploits des sportives et particulièrement des « soccer girls ». Ne pourrait-on alors avoir un 4 féminin, ou peut-être un 4 non binaire ?

14Probablement pas : dans la numéro sur la Coupe du monde 2006, Joy Sorman a choisi de consacrer son texte au tacle, geste mâle par excellence ; la maquette de la revue, avec son esthétique volontairement kitsch, est rythmée par des photos de supportrices en petite tenue ; surtout, Lisa Friedlander, amie de différents membres du collectif, raconte comment ce qu’elle appelle « une bande de mecs » (p. 123) est venue à plusieurs reprises prendre possession de ses canapés et de ses bières pour regarder un match. La narratrice raconte de mémorables séances de mansplaining autour de la fameuse règle du hors-jeu, règle qu’une femme serait soi-disant incapable de comprendre. Certes, les incultes ont parfaitement conscience de ces mauvaises habitudes, au point de les mettre en scène de manière humoristique ; il n’en reste pas moins obligatoire de conserver un 4 Viril.

Arrière central, n° 5, (Inter-)National

15Si le numéro hors-série comporte un voyage à travers de nombreuses nations de football, du Portugal à l’Afghanistan, s’il rassemble des traductions et des contributions d’auteurs étrangers écrivant en français, il faut reconnaître que les incultes ont une certaine préférence pour l’équipe de France, à l’honneur dans la majorité des textes. Pour ne pas paraître chauvin, quelques concessions étaient nécessaires : « il a fallu mettre de côté nos préférences (au début, la France gagnait la compétition...) », concède Jérôme Schmidt à l’occasion d’un article du journal Le Monde en date du 8 juin 2006.

16Pour bien comprendre la relation des incultes à la France et à son équipe nationale, il est possible de faire un détour par un texte de François Bégaudeau intitulé « Nous sommes tous des outsiders » et publié dans le numéro 3 de la revue dont le dossier porte sur la « Littérature déplacée ». L’auteur y décrit les vingt-cinq années d’exil argentin de Witold Gombrowicz avant que l’écrivain polonais ne décide de revenir en Europe : ce dernier souhaitait « non pas exactement rompre, mais ménager une distance. Être à la fois dans et à côté. Dans et hors la littérature. Européen et pas » (p. 40). Ce rapport paradoxal à l’espace national, ce mouvement d’exil puis de retour, est rejoué dans « Qu’un sang impur rabreuve nos sillons ». Dans ce texte, François Bégaudeau imagine une initiative prise lors de la Coupe du monde 2006 consistant à se passer des traditionnels hymnes nationaux avant chaque début de match. Il propose d’abord de les remplacer par un poème dont un enfant ferait la lecture, ce qui ne convainc personne. Puis est émise l’hypothèse d’une chanson traduite en diverses langues pour être compréhensible par tous. L’équipe de France voudrait reprendre le succès de 1998, « I will survive » de Gloria Gaynor, que Jean-Pierre Raffarin propose de traduire en « Je survis William », avant que le footballeur Ludovic Giuly ne suggère une chanson dont il a oublié les paroles. Après ces tentatives de traductions, ces tergiversations, ces décentrements qui n’en sont pas, le jour du match, ce sont bien les paroles de « La Marseillaise » qu’on lit sur les lèvres des joueurs. Autrement dit, et nous retrouvons ici Gombrowicz, l’attachement à la nation n’a de sens qu’à condition de mesurer le caractère grotesque de certaines de ses traditions.

MILIEU

Milieu récupérateur, n° 6, Épique

17Dans cette composition, il se pourrait qu’Épique soit le joueur qui pose problème. Il n’est pas le plus mauvais des incultes, loin de là, son potentiel est indéniable. Mais il est, au moment de ce numéro spécial, comme on dit, « dans une mauvaise passe ». Les autres joueurs du Inculte FC n’ont pas vraiment l’intention de le laisser s’exprimer et ce pour une excellente raison : l’association du football et de l’épique est un cliché de commentateur sportif. C’est certainement pour cela que la dimension épique du football est soit volontairement esquivée, soit traitée au second degré.

Milieu droit, n° 8, Intense

18Heureusement, pour compenser la faiblesse passagère d’Épique, nous avons un 8 Intense, joueur polyvalent capable de défendre comme d’attaquer. Dans « Pour une littérature inculte », texte paru en 2009 dans le n° 588 de La NRF, Mathieu Larnaudie écrit cette phrase éminemment deleuzienne : « nous désirons une littérature qui soit une pensée sensible du multiple et une intensification de la vie » (p. 351).

19Cette « intensification de la vie », c’est bien ce qui se produit durant un match de Coupe du monde. Les incultes ne sont pas des spectateurs passifs, esthètes ou désintéressés, ils vivent le match physiquement, crient lors de chaque rebondissement. Les contributeurs de la revue se défient des dilettantes qui, tous les quatre ans, se rappellent que le football existe et le traitent comme un simple divertissement ; par opposition, Nicolas Hourcade fait l’éloge du « supportérisme de club, plus intense », car « ceux qui suivent régulièrement un club sont généralement plus investis dans cette activité » (p. 140).

20L’éloge de l’intensité a deux variantes chez les incultes : une version profane, qui consiste en un éloge général de l’énergie, voire de l’électrique. On relève à de nombreuses reprises les expressions toutes faites de « match électrique » ou d’« ambiance électrique ». Et, comme le démontre Tristan Garcia dans La Vie intense (Autrement, 2016), l’électricité, en tant que phénomène physique, est le vecteur historique de ce qui deviendra la valeur « intensité », c’est-à-dire une injonction à vivre le plus intensément possible. Se déploie également une appréhension sacrée de la notion d’intensité : par exemple, dans le vocabulaire d’Estelle Denis, qui parle d’un « supplément d’âme » (p. 57) au sujet de l’entrée de Franck Ribéry, ou, dans le titre d’un écrit de Maylis de Kérangal paru en 2013 et portant sur la passion qui entoure l’Olympique de Marseille : Les Fervents.

Meneur, n° 10, Poétique

21Le Zidane des incultes est Poétique. Il n’est pourtant pas aisé de définir une poétique inculte, ou même, plus modestement, le rapport à la poétique qui se dégagerait du numéro sur la Coupe du monde. Au moins peut-on procéder par élimination : un refus du lyrisme est exprimé, et ce dès l’introduction. Maylis de Kérangal voudrait fissurer le commentaire footballistique « dopé au désignatif lyrique » (p. 12). Et lorsqu’on tombe sur une phrase lyrique, une phrase qu’on pourrait même qualifier d’hugolienne, c’est sur un mode ironique : « Le club de la capitale n’est pas un club mais le bûcher des talents — la foire aux vanités » (p. 197), écrit emphatiquement un certain Alain Millet, derrière lequel se cache très probablement Mathieu Larnaudie.

22Reste qu’un élément de poétique se détache de manière significative : l’usage récurrent, et même volontairement excessif, de termes techniques et de noms propres, dont le pouvoir suggestif s’exerce en premier lieu sur ceux qui, ne connaissant rien au football, se laissent emporter par leurs sonorités exotiques. Comme l’écrit Joy Sorman : « le vocabulaire technique, c’est le potentiel poétique » (p. 73). 

ATTAQUE

Ailier droit, n° 7, Ludique (capitaine)

23Il semble juste de donner le brassard de capitaine à l’avant droit, Ludique. Le trait dominant du numéro spécial est bien sûr son rapport au jeu ; nous l’avons déjà envisagé de multiples manières, en évoquant la structuration par les pronostics comme l’humour souvent potache qui se dégage des textes. De même, l’envie de transgresser certaines règles, littéraires ou footballistiques, participe de cette dynamique. Ludique est donc la figure incontournable du Inculte FC, le joueur qui communique avec tous les autres, celui qui leur rappelle que le football n’est qu’un jeu, mais que ce jeu est important.

Ailier gauche, n° 11, Immodeste

24Immodeste, l’ailier gauche, a entendu le message de son capitaine : il sait bien que la prise de risque, l’exigence, l’ambition même, sont nécessaires pour débloquer une partie. Si Inculte ne se décrit pas comme un collectif d’avant-garde, cela n’empêche pas ses membres d’être expérimentaux ou irrévérencieux en certaines circonstances, de procéder d’une manière que n’auraient pas renié certains surréalistes ou situationnistes. Il y a une certaine dose de provocation à consacrer un numéro entier à une Coupe du monde qui n’a pas encore été jouée et à y inscrire en filigrane une vision collective de la littérature. Certes, depuis la Coupe de monde 1998, les intellectuels français ne doivent plus se cacher d’aimer le football, comme ce fut le cas dans les années suivant mai 68 ; cependant, en 2006, le football est loin d’être un sujet littéraire parfaitement régulier (ou alors esthétisé, magnifié, ce qui n’est pas la forme choisie par les incultes).

25Un certain penchant pour l’immodestie est également perceptible dans la section des « grands absents », où s’exprime un goût pour le panache et la bravoure, associé au regret très aristocratique de la disparition de ces valeurs. Les absents auxquels Arno Bertina consacre un texte sont Cantona puis Maradona, deux joueurs arrogants, conscients de leur immense valeur, fiers de prendre des risques et ne reniant jamais leurs excès.

Attaquant de pointe, n° 9, Réaliste

26Nous avons jusqu’ici une ligne d’attaque, qui pourrait, avec Immodeste et Ludique, manquer d’efficacité. D’où la nécessaire présence en pointe de Réaliste.

27Le glossaire situé à la fin du numéro spécial comporte justement une entrée « Réalistes » : « Se dit des moulus qui mettent au fond leur seule occasion. “Dominer n’est pas gagner. On a fait un bon match, mais ils ont été plus réalistes que nous” » (p. 209). Les faux moulus, ce sont les Italiens, admirés par les incultes, ceux qui, à l’inverse des idéalistes Brésiliens, ont su s’adapter aux exigences du jeu, affronter le réel dans sa complexité, et sortir en vainqueurs.

28Dans son texte sur le tacle, Joy Sorman approfondit la description de ce rapport au réel. La familiarisation avec le vocabulaire technique, déjà mentionnée au sujet de Poétique, n’était qu’une première étape dans l’appréhension du terme « tacler ». Le second moment a lieu un peu plus tard, en se confrontant au terrain, au « tacle réel », parfois douloureux, parfois salvateur : « la réalité du tacle m’est apparue dans toute sa complexité, emmêlée et incertaine. J’avais grandi. Tant mieux. Le mot n’est pas fait pour dire le monde intérieur, il désigne une part du réel. » (p. 74) Ainsi, par capillarité, à partir d’une définition un peu potache, il est possible de remonter jusqu’à une conception du mot et même du langage. Ce dernier ne sert pas seulement à décrire subjectivement une intériorité, il doit être mis au service de la réalité, toujours intérieure et extérieure à la fois.

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29L’existence d’un rapport d’analogie entre la littérature et le football chez les incultes étant désormais établi, nous ne pouvons que souhaiter la constitution effective du Inculte FC et le remplacement des caractéristiques proposées dans cet article par les noms propres des membres du collectif. L’Équipe de France des écrivains, entraînée par Jimmy Adjovi-Boco, ancien joueur du RC Lens, et comptant notamment Bernard Chambaz et François-Henri Désérable dans son effectif, pourrait être un premier adversaire.